Sociologie
Carte scolaire, tranports publics... Comment combattre les discriminations territoriales
La carte scolaire, l’urbanisme, les transports publics sont des leviers majeurs pour compenser le handicap que représente un lieu de résidence perçu comme « à risque », notamment par les employeurs.
Lucile Chevalier
© Getty Images
Depuis une loi de 2014, une entreprise n’a plus le droit de rejeter une candidature au motif que la personne habite trop loin ou dans un quartier ayant mauvaise réputation. Dans la pratique, cette discrimination reste difficile à démontrer.
Néanmoins, par cette loi, l’État reconnaît qu’une partie des citoyens accèdent plus difficilement à l’emploi au seul motif qu’ils habiteraient au mauvais endroit.
« La constitution sociale des territoires s’est construite au fil du temps, de l’implantation des industries et activités économiques et de la politique de logement et d’urbanisme », explique Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. C’est en Île-de-France qu’elle est la plus frappante.
« En Seine-Saint-Denis, près de trois habitants sur 10 sont pauvres. La population est fortement touchée par le chômage et les actifs sont majoritairement ouvriers ou employés, catégories les plus vulnérables face à la pauvreté. »Insee
« Dans les Hauts-de-Seine, le taux de pauvreté est plus de deux fois moindre (12,2 %), le taux de chômage un des plus bas de la région, et les cadres représentent 37 % de sa population active contre 13 % en Seine-Saint-Denis », continue l’Insee.
Cette ségrégation de l’espace a cours également au niveau des communes. À Paris, par exemple, le taux de pauvreté varie de 8,3 % dans le 7e arrondissement à 24,4 % dans le 19e. Cette faible mixité sociale façonne les préjugés et donc les discriminations.
À CV identiques, réponses différentes
En 2016, trois professeurs d’économie, Yannick L’Horty, Mathieu Brunel et Pascale Petit, ont mené une expérience. Ils ont répondu à des offres d’emploi franciliennes en envoyant des CV comparables. Seul un paramètre changeait : l’adresse du candidat.
Résultat : un postulant résidant dans un quartier parisien cossu a trois fois plus de chances de décrocher un entretien d’embauche que l’habitant d’un quartier intermédiaire à Bondy (Seine-Saint-Denis).
« En l’absence d’une information complète sur la productivité des candidats, les employeurs leur attribuent ce qu’ils pensent être les caractéristiques moyennes des populations particulièrement représentées dans les quartiers, c’est-à-dire des Français issus de l’immigration, aux revenus fragiles et aux situations d’emploi instables. Selon ces représentations, le lieu de résidence serait perçu comme un signal de moindre fiabilité professionnelle ou d’un réseau social peu diversifié », concluent les trois économistes*.
Malheureusement, les crises accentuent ces écarts. « Depuis 2008, la pauvreté a davantage augmenté dans les communes où elle était déjà fortement présente », note l’Insee. Et plus il y a de l’entre-soi, plus il y a des préjugés. La solution pour casser ce cercle vicieux : favoriser la mixité sociale dans les quartiers.
Le risque du ghetto
Les maires et élus locaux sont en première ligne. « Ils disposent de différents leviers : la politique d’urbanisme, de transport et l’organisation d’activités périscolaires et de loisirs », explique le directeur de l’Observatoire des inégalités.
20 %
de logements sociaux dans chaque agglomération de plus de 50 000 habitants, la solution à la ségrégation territoriale ?
La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) de 2000 oblige les communes de plus de 3 500 habitants, intégrées dans une agglomération de plus de 50 000 habitants à avoir au moins 20 % de logements sociaux. L’essentiel est de ne pas tous les construire au même endroit – sinon, on crée des ghettos.
Concernant les transports, il suffit parfois d’une ligne de bus pour désenclaver un quartier et faciliter l’accès au cœur des services – entreprises, équipements sportifs et culturels, offre de soin.
Enfin, avec l’organisation d’activités périscolaires et de loisirs, les maires permettent aux plus modestes d’accéder à des activités hors de leur portée s’ils devaient en payer le véritable prix.
L’entre-soi dès le collège
Nantes Métropole a beaucoup œuvré dans ce sens. Tout projet de construction immobilière doit comprendre 35 % de logements sociaux. Une règle qu’elle adapte selon les sites. « Elle a également entrepris un certain nombre d’actions à destination de quartiers défavorisés », avance Hervé Guéry, Nantais et directeur du bureau d’études Compas, spécialisé dans l’observation sociale des territoires.
Elle a désenclavé le quartier de Malakoff, situé à 500 mètres du château des Ducs de Bretagne, mais pris en étau entre des infrastructures ferroviaires et routières, en construisant un nouveau pont sur la Loire et en y amenant lignes de bus et de tramway.
Elle a construit une piscine, une école, a ouvert une bibliothèque et une maison de quartier. « Ces équipements ont été détruits en juillet 2018, lors de quatre nuits d’émeutes, largement couvertes par les médias, et faisant suite à la mort d’un jeune abattu lors d’un contrôle par la police. Cela démontre à quel point le problème est complexe, et les solutions imparfaites », pointe Hervé Guéry.
Selon lui, l’État devrait revoir la carte scolaire. Car c’est au collège que commence la construction de l’entre-soi. Les parents qui le peuvent fuient le collège du quartier pauvre. Ils inscrivent leurs enfants dans le privé ou misent sur des options élitistes (langue, musique, etc.) leur ouvrant les portes d’établissements situés dans les quartiers cossus.
« Il faudrait construire une nouvelle carte scolaire avec une pointe partant du centre-ville et s’étalant jusqu’aux quartiers périphériques. Ainsi dans une même classe, se mélangeraient des enfants issus de toutes les classes sociales et cela tuerait dans l’œuf les clichés », estime-t-il.
* « Effets de quartier, effet de département : discrimination liée au lieu de résidence et accès à l’emploi » Revue Économique, 2016
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