Comment le « statut » des femmes s’est-il transformé au cours de l’Histoire ? En dehors de l’époque contemporaine, les données font rapidement défaut. Pourtant, deux chercheurs de l’université de Stockholm, Arash Nekoei et Fabian Sinn, ont voulu répondre à cette question dans une perspective de très long terme en tentant de chiffrer l’évolution de ce statut depuis… 5 000 ans !
Ces deux économistes commencent leur enquête en observant que, de nos jours, une façon d’apprécier le statut des femmes consiste à quantifier leur présence dans le haut de la hiérarchie sociale : pourcentage de femmes parmi les cadres dirigeants, le personnel politique, les auteurs les plus lus, les Palmes d’or au Festival de Cannes, etc.
Ils en déduisent que si l’on disposait d’une base de données rassemblant les personnalités les plus éminentes à travers les âges, on pourrait effectivement suivre l’évolution du statut des femmes. Sauf que les homologues de l’Insee n’existaient pas à l’époque de Gengis Khan ou de la reine Margot. Aucune base de données n’est donc disponible.
Arash Nekoei et Fabian Sinn ont eu l’idée de bâtir un substitut proche de cette base manquante en faisant tourner de gigantesques programmes d’analyse de textes afin de répertorier toutes les personnes nées au cours des 50 derniers siècles mentionnées dans les encyclopédies du monde entier (telles que, par exemple, Wikipédia, l’Encyclopædia Britannica et l’Encyclopédie Universalis).
Ils aboutissent à un fichier contenant des informations sur la date et le lieu de naissance et de décès, le sexe, la profession, l’éducation et les antécédents familiaux de sept millions de personnes que l’on peut assimiler à « l’élite » des 50 derniers siècles. À une période donnée, le statut des femmes se mesure alors simplement par le pourcentage de femmes parmi l’élite de cette période.
En moyenne, 10 % de femmes dans l'élite

Le graphique de gauche, qui reproduit la trajectoire de ce pourcentage, livre un résultat contraire à un présumé sens de l’Histoire : le statut des femmes n’affiche aucune tendance à la hausse sur le long terme.
Au cours des 50 derniers siècles, la part des femmes parmi l’élite fluctue autour d’une moyenne particulièrement faible de 10 %. La principale exception est le troisième millénaire avant notre ère, où cette part s’élève à 22 %.
C’est principalement l’Égypte de cette époque qui explique cette exception. Les droits des femmes y étaient égaux à ceux des hommes, elles pouvaient demander le divorce, posséder et transmettre des biens, recevoir un héritage égal et même prétendre à l’immortalité.
Ce même graphique montre aussi que le statut des femmes progresse certes depuis les années 1800, mais qu’auparavant, il s’était souvent amélioré avant de régresser. À ce stade, rien ne permet de prédire le futur de la condition féminine dans les siècles à venir.
Les informations recueillies sur les sept millions de personnes formant l’élite des 50 derniers siècles fournissent un autre résultat majeur : pendant la plus grande partie de l’Histoire, les femmes devenues membres de l’élite sont soit nées dans des familles influentes, soit mariées à des hommes influents.
La part des femmes au sommet de la hiérarchie sociale s’expliquerait donc quasi exclusivement par leurs liens familiaux (le népotisme) et non par leurs mérites… Tout du moins pendant 47 siècles.
L'émergence de femmes émancipées
Aux alentours des années 1800, un phénomène nouveau vient modifier cet agencement, il s’agit de la prévalence croissante parmi l’élite de femmes qui ne sont pas nées dans une famille influente ou mariées à des hommes puissants et célèbres.
Au départ, ces femmes – que l’on peut qualifier d’émancipées (self-made) – sont principalement des écrivaines ou des poétesses. Le graphique de droite montre qu’elles émergent dès le XVIIe siècle dans l’Europe protestante, puis partout ailleurs environ deux siècles plus tard.
Cette montée en puissance des femmes de lettres est liée à l’augmentation de l’alphabétisation et du pouvoir d’achat des femmes qui ont permis l’émergence d’un marché d’une littérature dite « féminine » privilégiant la nouvelle plutôt que le roman et diffusée dans la langue du pays et non plus en latin.
Dès le début du XIXe siècle, aux écrivaines et poétesses viendront s’ajouter les artistes, les universitaires puis, enfin, le personnel politique. Après 47 siècles de stagnation, la progression constante des femmes émancipées dans le haut de la hiérarchie sociale apparaît comme la principale évolution du statut des femmes. S’il y a un sens de l’Histoire, c’est peut-être là qu’il se trouve.
Crédits photo : Dendera Tempel Kleopatra Cäsarion 07, par Olaf Tausch via Wikimedia Commons. CC BY 3.0.