Au regard des plans de relance massifs actuels, en France et en Europe, ce scénario devrait se reproduire.
En réalité, l’inflation est déjà à l’œuvre et s’observe via le canal des matières premières. Les prix du pétrole et du blé ont fortement progressé ces derniers mois.
Constatant que la création monétaire s’emballe, les investisseurs se réfugient sur les actifs réels : une telle masse monétaire en circulation pourrait impacter la confiance dans la monnaie et donc lui faire perdre de sa valeur.
Les matières premières, elles, restent des éléments concrets et par conséquent, la demande de ces actifs augmente.
Fatalement, la règle de l’offre et de la demande entraînera une hausse de leurs prix.
Toutefois, au regard des règles de calcul de l’inflation en France, cette hausse pourrait ne pas être retranscrite dans les statistiques.
L’indice des prix à la consommation (IPC), qui mesure l’évolution du niveau moyen des prix des biens et services consommés par les ménages, est faussé par deux éléments : le coût réel de l’immobilier dans le panier moyen des ménages et l’aspect qualitatif des produits achetés.
Dans l’IPC, la location d’un bien représente officiellement 6 % du panier moyen de la ménagère, alors qu’en réalité, le logement représente entre 25 et 30 % du budget.
Autre écueil : l’investissement immobilier n’est pas intégré dans le calcul. L’IPC d’un ménage propriétaire en est donc exclu, alors que celui-ci doit bien souvent rembourser le crédit lié à son acquisition.
Sans oublier que la bulle immobilière – hausse des prix dans l’acquisition de logement depuis plus d’une décennie – n’a pas été, elle non plus, répercutée.
Quant à l’aspect qualitatif, il tire les prix vers le bas, maquillant leur réalité. Par exemple, l’iPhone 12, plus performant, était au même prix que le précédent.
L’Insee estime donc que le consommateur a « plus » pour « la même dépense ». Chaque année, cet aspect « qualité » biaise le prix d’un quart des biens utilisés dans le calcul du panier moyen, faussant l’IPC.
En intégrant correctement ces données, nous connaîtrions une inflation de l’ordre de 4 % à 5 % sur ces dernières années.
Comment expliquer ce « déni de réalité » ? L’inflation est un des outils permettant de calculer certaines prestations sociales, mais aussi la revalorisation des salaires des fonctionnaires.
En la sous-estimant, l’État réalise mécaniquement des économies. Mais la réalité de la situation des ménages, en dépit de ce maquillage de l’inflation, revient comme un boomerang.
Le mouvement des « gilets jaunes » a prospéré sur cette baisse de pouvoir d’achat masquée par les statistiques.
Non, la déflation menace toujours !
Laurence Scialom (à droite sur la photo), économiste, professeure des Universités à Paris Ouest Nanterre, est membre des conseils scientifiques de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Elle a récemment publié La Fascination de l’ogre, ou comment desserrer l’étau de la finance (Fayard).
Les plans de relance, en Europe et en France, ne réveilleront pas l’inflation. Leurs montants, comparés aux efforts des États-Unis, ne chambouleront pas la tendance déflationniste à l’œuvre en Europe depuis plusieurs années.
À lire : L’inflation est-elle bel et bien morte ?
Pour rappel, depuis 2013 la Banque centrale européenne n’a pas atteint sa cible d’inflation (2 % par an) en dépit des nombreux outils monétaires actionnés : taux d’intérêt faibles, voire négatifs, rachat de dette publique auprès des investisseurs privés sur le marché secondaire.
Les mécaniques de cette tendance déflationniste sont tenaces et les milliards déversés n’y changeront rien.
Tout d’abord, les entreprises françaises sont massivement endettées. En cas de bénéfice, elles privilégieront le remboursement de leurs dettes à l’investissement dans des outils productifs ou la Recherche et développement.
Surtout, nous faisons face à une croissance atone, une demande privée insuffisante qui n’est pas assez relayée par la demande publique.
Pourtant, les taux d’intérêt au plus bas auraient pu permettre aux États et à la France de mener de grands projets d’investissement.
En revanche, l’écart entre le plan américain et son équivalent européen – géré in fine à l’échelle de chaque pays de l’Union – est tellement important qu’on pourrait assister à une pression inflationniste venue des USA.
Les taux d’intérêt outre-Atlantique pourraient repartir à la hausse.
Résultat, nous pourrions assister à une dépréciation du taux de change euro/dollar. Or les matières premières sont libellées en dollars.
De fait, les entreprises devront faire face à un accroissement de leurs coûts de production qui se répercutera sur les prix des biens et services. L’inflation en Europe ne serait donc pas « structurelle », mais bien « importée ».
Si la remontée des taux atteint l’Europe, la situation deviendrait dramatique au regard de notre endettement public et privé.
La BCE aura du mal à justifier la perpétuation de sa politique de taux d’intérêt très bas et ses rachats massifs de dette.
Le coût de la dette de certains États membres pourrait s’envoler, portant en germe l’éclatement de la zone euro.
Concernant l’inflation, le problème majeur est d’ordre idéologique. Il faut en finir avec ce vieux logiciel de maîtrise de l’inflation et accepter une cible de l’ordre de 4 à 5 % par an.
Malheureusement, la structure institutionnelle en Europe bloque toute initiative allant dans ce sens pourtant vertueux. La zone euro partage une monnaie commune, mais n’a pas de budget fédéral. La BCE fait face à 19 risques de dette souveraine.
Et toute réforme communautaire doit être actée à l’unanimité, impossible au regard des divergences de points de vue entre, par exemple, l’école rigide allemande et celles des pays du Sud.
Pourtant, c’est bien d’un acte de refondation économique et monétaire dont a besoin l’Europe.
Celui-ci pourrait passer par l’établissement d’un véritable budget fédéral ou par un acte souverain d’annulation des dettes publiques par la BCE.
Cet argent « libéré », qui pourrait réveiller l’inflation, pourrait surtout servir un plan de relance réellement ambitieux, orienté vers les enjeux économiques de demain : les investissements verts et particulièrement la construction d’infrastructures éco-responsables.
La situation actuelle impose aux institutions européennes de rompre avec la gestion de « bon père de famille ». Oui, il est l’heure d’envisager des solutions radicales.