La proposition a lancé la campagne d’Anne Hidalgo pour l’Élysée. Si elle est élue, l’actuelle maire de Paris veut « multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves ». Et commencer, précise-t-elle dans son nouveau livre, par « aligner a minima le salaire des nouveaux professeurs sur le salaire médian des titulaires d’un bac +5 ».
Si la proposition semble légitime au vu des baisses qu’ont connues les salaires des enseignants ces dernières décennies, le financement de la mesure semble complexe.
Des salaires relatifs qui baissent malgré les revalorisations
Le débat part d’un constat : les salaires des enseignants ont beaucoup baissé ces dernières années. « Les jeunes enseignants sont passés d’un salaire équivalent à 2,3 fois le SMIC en 1980 à un salaire à peine au-dessus du SMIC aujourd’hui (1,2 fois le SMIC) », a calculé l’économiste Lucas Chancel.

Dans son ouvrage Salaires des enseignants. La Chute (L’Harmattan, 2021), Bernard Schwengler, professeur de SES s’est affairé à de nombreux calculs. En analysant l’évolution des salaires de toutes les catégories d’enseignants entre 1982 et 2018, les différentes réformes, et en comparant les niveaux d’ancienneté, le Strasbourgeois en est arrivé à une conclusion : « S’il y a des facteurs qui ont entraîné des hausses de salaire, sur l’ensemble, les effets de baisse l’emportent assez largement. »
Principale explication ? La perte de valeur du point d’indice, à partir duquel est calculé le salaire brut d’un enseignant. « Ce point d’indice n’est plus revalorisé en raison de la volonté de l’État de réduire les dépenses publiques. »
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Point d’indice
Sert à calculer le salaire brut d’un fonctionnaire. Le traitement mensuel de chaque fonctionnaire est obtenu en multipliant la valeur du point d’indice par l’indice majoré qui lui est propre et défini en fonction de son échelon, son grade, son cadre l’emploi et son ancienneté.
Plusieurs travaux montrent qu’augmenter les enseignants permettrait d’attirer plus de candidats et d’améliorer la qualité des enseignements.
Asma Benhenda,chercheuse en économie à l’University College de Londres
Le ratio coûts-bénéfices de la mesure
Les conséquences sont multiples pour le secteur public avec un risque de démoralisation des fonctionnaires et des difficultés de recrutement.
En dix ans, les concours, toutes disciplines confondues, ont perdu un tiers de leurs candidats. Dans le premier degré, 466 postes n’ont pas été pourvus cette année et 645 dans le secondaire.
« Il y a une pénurie structurelle d’enseignants depuis une vingtaine d’années », déplore Asma Benhenda, chercheuse en économie à l’University College de Londres. D’autant que « le métier cumule à la fois des conditions de travail difficiles et des salaires faibles. Ce qui pèse sur son attractivité ».
En Chiffres
869 300
Soit le nombre d’enseignants que compte la France en 2021 dans les écoles et établissements du second degré.
Source : DEPP - L’Éducation nationale en chiffres, édition 2021
Augmenter les salaires permettrait-il de rendre la profession plus attractive ? Oui, répond Asma Benhenda. « Plusieurs travaux ont été menés et montrent qu’effectivement, cela permettrait d’attirer plus de candidats. En parallèle, cela permettrait d’augmenter la qualité des enseignements. »
Pour fixer le montant de la hausse, la chercheuse propose de se baser sur un ratio coûts-bénéfices. « Il faut quantifier le coût d’un côté et le bénéfice de l’autre pour savoir à partir de quand, le coût marginal est égal au bénéfice marginal. C’est-à-dire le moment où il faut arrêter d’augmenter le salaire. Un calcul d’optimisation en somme. »
Coût marginal
Coût que l’entreprise (ou ici la société) va devoir débourser pour produire la dernière unité de bien (ou ici de service), par exemple pour produire le dernier t-shirt sorti de l’usine.
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S’appuyer sur le marché du travail
Pour ce qui est de la question de l’élasticité de l’offre enseignante en fonction du salaire, Asma Benhdenda suggère de « calculer pour chaque euro supplémentaire proposé à un futur enseignant, combien de candidat supplémentaire on pourrait avoir ».
Cela nécessiterait des travaux empiriques en France qui, jusque-là, n’ont pas été menés. Néanmoins, « il en existe dans d’autres pays et il n’y a aucune raison pour que ce soit fondamentalement différent ici ».
Il faut toutefois prendre en compte l’état du marché du travail puisque « des études montrent que lors de périodes de récession, la profession enseignante peut être plus attractive puisque les autres opportunités ont baissé en valeur ».
Coût d’opportunité
Le coût d’opportunité revient à peser le pour et le contre, en économie. Il représente la différence financière que coûte une opportunité économique plutôt qu’une autre. Le coût d’opportunité mesure en fait le manque à gagner si l’on opte pour une solution plutôt que l’autre.
Entre 40 milliards et 50 milliards d’euros en plus
La question du ratio coûts-bénéfices est plus pertinente que simplement celle des coûts, argue Asma Benhenda. Des coûts qui sont d’ailleurs difficiles à estimer précisément.
Doubler les salaires des enseignants, comme le propose Anne Hidalgo, équivaudrait à mettre 40 milliards d’euros en plus sur la table, estime le professeur de SES, Bernard Schwengler. « C’est en effet ce que représentent actuellement les rémunérations d’activité des fonctionnaires de l’Éducation nationale, sans les universitaires. »
Le montant est toutefois discuté par la classe politique. Jean-Michel Blanquer parle d’un « coût cumulé de 150 milliards à la fin d’un quinquennat ». D’après le ministère de l’Éducation, « l’enveloppe budgétaire allouée aux salaires des personnels de l’Éducation nationale représente environ 50 milliards d’euros » actuellement et il faudrait « ajouter chaque année au nouveau budget, une somme correspondant à 20 % de l’enveloppe initiale, soit 150 milliards ».
Des dépenses perennes
Augmentation d’impôts, de la dette ou baisse des autres dépenses ? La maire de Paris n’a, pour l’heure, pas donné de détails sur le financement d’une telle mesure. Mais il est important de considérer l’augmentation de ces salaires comme des dépenses pérennes, précise Philippe Martin, professeur d’économie à Sciences-Po. Elles devraient en effet s’inscrire sur plusieurs décennies « puisqu’il faudra aussi financer les retraites des enseignants ».
Pour Asma Benhenda, ce sont davantage des arbitrages politiques que des questions économiques : « Nombre de décisions politiques font perdre de l’argent à l’État et pourtant, on les prend quand même. Certes le budget de l’Éducation nationale est l’un des plus importants (76 milliards d’euros en 2021 pour l’enseignement scolaire, NDLR), mais cela dépend de la priorité que l’on veut donner à l’éducation. »
Pourquoi 40 milliards ?
Interrogé sur les détails de l’addition, Bernard Schwengler explique s’être appuyé sur « des données émanant de la direction du budget du ministère des Finances et des Comptes publics ».
Il poursuit : « Les rémunérations d’activité correspondent à la somme des salaires bruts de l’ensemble des agents de l’Éducation nationale et du privé sous contrat. Pour 2019, le montant total était de 38 932 milliards d’euros, contre 38 357 milliards d’euros en 2018. Les données pour l’exercice 2020 ne figurent pas encore sur le site du ministère. 40 milliards est donc un chiffre arrondi vers le haut.
Et de prévenir : « Ce chiffre n’intègre pas les dépenses liées au financement de la retraite des agents publics, ni les autres dépenses du ministère de l’Éducation nationale (investissement, matériel etc.). »
En Allemagne, un enseignant gagne plus du double qu’en France
Pour autant, est-ce réalisable ? « Bien sûr ! », s’exclame un autre économiste, spécialiste du sujet, qui a tenu à rester anonyme. « Les autres pays paient davantage leurs enseignants et ne sont pas forcément en faillite. »
Si l’on compare avec les salaires des enseignants dans les pays de l’OCDE, la France se situe en effet en-dessous de la moyenne. En 2019, un enseignant de collège gagnait environ 27 867 euros bruts annuels en début de carrière, soit 2 322 euros bruts par mois. Son homologue allemand affichait un salaire de 4 916 euros bruts mensuels (58 995 euros bruts annuels par an), soit plus du double.
Nuance toutefois : les contreparties ne sont pas les mêmes outre-Rhin – les enseignants travaillent davantage, peuvent s’occuper de deux matières, rencontrent plus régulièrement les parents d'élèves et partent à la retraite à 67 ans, bien plus tard qu’en France, où certains arrêtent d’enseigner entre 57 ans et 62 ans.
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La centralisation française
Plus globalement, la structure du financement des salaires diffère entre les pays. Chez nos voisins germaniques, ce sont les Länder qui financent l’éducation. Une « responsabilité financière beaucoup plus simplifiée où s’applique le principe du ‘décideur-payeur’», indique le think tank libéral Ifrap dans un rapport de 2013. « 80 % du budget éducatif des Länder est reversé au fonctionnement des établissements publics, dont le versement des salaires des professeurs. »
La concurrence entre Länder est rude : pour attirer les enseignants, certains proposent des heures de cours en moins, une aide pour s’installer ou de meilleurs salaires.
Au Royaume-Uni, les dépenses locales sont aussi importantes. « Les autorités locales administraient près de 73,4 % du budget de l’enseignement obligatoire en 2010. »
La France s’illustre, quant à elle, par un financement central du système éducatif. En 2019, l’État assurait 57,3 % du financement de la dépense intérieure d’éducation (DIE).
Au sein de l’Hexagone, pas question de payer différemment en fonction des matières enseignées comme en Allemagne et au Royaume-Uni. Si la sacro-sainte grille salariale unifiée règne, le système d’affectation des enseignants peut néanmoins être perçu comme une sorte de rémunération en nature, nuance Asma Benhenda. L’affectation dépend en effet de l’ancienneté, de l’expérience ou de la situation familiale, ce qui avantage très fortement les enseignants expérimentés. De quoi démotiver encore plus les nouveaux entrants.
Dépense intérieure d’éducation (DIE)
L’ensemble des dépenses effectuées pour l’enseignement scolaire, extrascolaire de tous niveaux, l’organisation du système éducatif (administration générale, orientation, documentation pédagogique et recherche sur l’éducation), les activités connexes telles que l’hébergement, la restauration, la médecin scolaire, les transports et les dépenses demandées par les institutions (fournitures, livres, habillement).