Vendredi 27 septembre, lors de la présentation du troisième budget de l'ère Emmanuel Macron, les experts s’interrogent. Certains d'entre eux estiment que ce nouvel exercice est la traduction dans les lignes comptables de la crise des Gilets Jaunes. Des mesures visent en effet à soutenir le pouvoir d'achat des ménages, en réponse à cette crise sociale et politique déclenchée en novembre 2018. Pour d'autres, le gouvernement confirme une ligne "anti-sociale" favorable aux réformes structurelles.
Bref, construire un budget n’est pas uniquement un exercice arithmétique ou comptable. Il ne s’agit pas seulement de prévoir les recettes d’un côté, les dépenses publiques de l’autre, puis de tenter d’équilibrer l’ensemble. Il s’agit d’utiliser les dépenses publiques, les recettes publiques et le solde public pour intervenir sur le niveau de la demande intérieure.
Le budget est un instrument conjoncturel, pour mettre en musique les choix politiques et sociétaux qui sont faits par l’exécutif puis adoptés, avec des modifications (amendements) par le Parlement. Quand les recettes sont inférieures aux dépenses, le déficit est stimulant pour l’économie réelle car l’excès de dépenses soutient la demande des agents économiques.
À l’inverse, quand les recettes sont supérieures aux dépenses, l’excédent est déprimant : on freine la demande des agents économiques.
Le reflet de la place de l'Etat
Le budget reflète donc les choix de société faits par les électeurs. Aux États-Unis, par exemple, les citoyens souhaitent que l’État soit limité à son rôle « régalien » (justice, police, armée, administration centrale) pour assurer le bon fonctionnement du marché. Il n’intervient qu’à la marge dans l’éducation, la santé (c’est un état providence « résiduel » n’assurant que les fonctions sociales essentielles), les retraites ou la vie des entreprises : les dépenses publiques y représentent 36 % du PIB environ.
Les Français, eux, accordent à l’État une place importante dans leur vie : ils veulent bénéficier de crèches, d’écoles publiques, d’hôpitaux, de logements sociaux et d’un système de retraite sécurisant. Très logiquement, les dépenses publiques grimpent en France à plus de 56 % du PIB. Bien plus qu’aux États-Unis ou même en Allemagne.

Un levier pour changer la donne
Au-delà de cette vision « photographique », le budget est aussi un acte politique qui indique le type d’État (régalien- libéral ou interventionniste-providence) qui permettra la mise en oeuvre du programme politique et des orientations sociétales : le budget permet de réduire les inégalités (via l’impôt), d’accompagner les personnes en difficulté (via les aides sociales), d’inciter les gens à arrêter de fumer ou à utiliser des matières polluantes (via les taxes…), de favoriser l’éducation, la santé ou les services publics plutôt que la défense (au travers des montants de dépenses allouées aux uns et aux autres).
Le système fiscal, notamment, est étroitement lié aux objectifs de justice sociale que se donne un gouvernement issu des élections. La création de l’impôt sur le revenu – proposée par Joseph Caillaux, alors ministre des Finances, en 1907 et votée par l'Assemblée en 1914 – a ainsi marqué une véritable rupture dans la société française : pour la première fois, les citoyens étaient imposés en fonction de leurs revenus et non plus sur la base de leurs terrains, portes ou fenêtres !
Même chose en 1981, quand François Mitterrand, premier président socialiste de la Ve République, instaura l’impôt sur les grandes fortunes : ce nouvel instrument fiscal visait à traduire le choix, exprimé par les électeurs, d’une société plus égalitaire. Les divers aléas de l’IGF depuis 1981, réformé, supprimé, puis rétabli sous la forme de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), démontrent combien, d’un gouvernement à l’autre, la notion de justice sociale évolue.-

Les impôts modifient le comportement des citoyens
Taxes sur le tabac, sur l’alcool, sur le diesel, et peut-être bientôt sur d’autres matériaux polluants… L’impôt est aussi une manière pour l’État d’amener les citoyens à adopter un comportement qui soit bon pour eux mêmes, leur santé ou la collectivité. En ce sens, le budget reflète également les engagements sanitaires et environnementaux d’un pays. Il s’agit de « faire faire » ou d’« empêcher de faire », de consommer, d'investir, d'épargner, ou non, dans tel ou tel domaine économique.
Enfin, le budget est, avec la politique monétaire, l’un des principaux leviers économiques dont dispose un gouvernement. L’économiste John Maynard Keynes a théorisé l’impact de la politique budgétaire sur l’activité économique : il considère que lorsqu’un pays accroît ses dépenses en faveur des citoyens (par des aides sociales) ou réduit les impôts, il permet aux ménages de dépenser plus.
Cette consommation va relancer l’activité des entreprises et être bénéfique à toute l’économie. Un budget plutôt généreux pour les ménages est souvent qualifié de « keynésien ». Pour les Keynésiens, l’État est à la fois régulateur et gestionnaire. Ne se contentant pas de ses fonctions régaliennes, il doit aussi « assurer » la sécurité économique et sociale de la population : croissance économique, plein emploi, stabilité des prix et progrès social. Et intervenir quand le marché est inefficace. Cependant, dépenser plus (ou avoir moins de recettes via la réduction des impôts) conduit en général à l’accroissement du déficit public et de la dette.
Pour les économistes dits néoclassiques, la dette et le déficit sont dangereux. Contrairement à Keynes, ils sont défavorables à l’accroissement des dépenses. Cette théorie est aussi appelée « libérale » car, mécaniquement, elle réduit le rôle de l’État et considère que les agents économiques (ménages, entreprises) n’ont pas besoin de s’appuyer sur le « bras » de la dépense publique pour prospérer.