Les discriminations entraînent des inégalités et celles-ci coûtent très cher : 10 milliards d’euros chaque année1, soit 166 fois plus que le budget 2021 du ministère chargé de l’Égalité des chances (60 millions). « Une réduction, même modeste » des deux plus importantes discriminations – le taux d’emploi et les revenus des personnes discriminées en raison de leur sexe et de leur origine ethnique – « rapporterait 7 % du PIB en 20 ans, soit 150 milliards d’euros », estime le Conseil d’analyse économique2.
Qui paye l’addition faramineuse des discriminations ? Au premier chef, les personnes discriminées elles-mêmes (femmes, personnes avec ascendance migratoire, habitant(e) s de quartiers sensibles, handicapé(e)s…) : empêchées de réussir et de produire à hauteur de leur potentiel, elles subissent un malus économique et social direct. Mais les entreprises, et la société tout entière, payent aussi un lourd tribut.
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Recettes perdues, dépenses évitables
À l’échelle de la collectivité, former des individus, donc un « capital humain », qui sera par la suite discriminé, c’est s’empêcher de faire fructifier cet investissement de départ, de créer de la richesse nationale et donc de distribuer des revenus. Le coût social est également élevé. Il se mesure en termes d’exclusion, de ségrégation territoriale et de santé dégradée.
France Stratégie3 calcule qu’une réduction des discriminations permettrait non seulement aux finances publiques de bénéficier d’un surcroît de rentrées fiscales (impôts, dont TVA, et cotisations sociales) d’environ 4 %, mais réduirait aussi les dépenses publiques (surchômage, aides sociales…) d’environ 1 %.
C’est sur le marché du travail que les discriminations sont les plus importantes et les plus pénalisantes, car le travail est un facteur essentiel d’insertion sociale. Et le genre reste le premier facteur de discrimination et d’inégalité d’accès à l’emploi et aux postes qualifiés. À temps de travail équivalent, les femmes gagnent (pour elles) ou coûtent (à leur employeur) 16,8 % de moins que les hommes4 : elles devraient logiquement être préférées par les entreprises, parce que moins coûteuses, mais non.
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De plus, remplacer des hommes par des femmes plus talentueuses augmenterait de 10 % la productivité moyenne du travail. D’ailleurs, l’Index Women Equity5 montre que les entreprises petites, moyennes et intermédiaires (PME et ETI) dirigées par des femmes sont plus rentables (8,4 % en 2019 contre 6,4 % pour celles dirigées par des hommes). Leur chiffre d’affaires a augmenté de 5,5 %, contre 4,8 % quand le patron est un homme.
Se priver des compétences des femmes nuit aux entreprises. De manière générale, les femmes dirigeantes sont plus diplômées que les hommes. Et gare à l’argument selon lequel leur absence dans les hautes sphères hiérarchiques s’expliquerait par le temps et l’énergie consacrés à la vie de famille : en majorité, les femmes aux postes de direction sont mariées et ont des enfants. Le reproche est de mauvaise foi. En réalité, bien que mères et très occupées, ces dirigeantes réussissent très bien. Raison de plus pour briser le fameux plafond de verre : les femmes candidates aux hautes fonctions sont surentraînées !
Une perte d’intelligence
Quant aux discriminations ethno-raciales, elles infligent une double nuisance aux entreprises. Dans un contexte de mondialisation, s’équiper d’équipes diversifiées permettrait de mieux comprendre et de mieux pénétrer les marchés hors du marché domestique. Se priver de diversité nuit aussi à l’intelligence collective, donc à la résilience.
Une entreprise raisonne mieux et résiste mieux quand les têtes pensantes ne sont pas toutes blanches, quinquagénaires et masculines. L’intérêt économique serait donc d’inclure les populations discriminées et de réduire les écarts de salaires discriminants.
Le coût du travail serait réajusté à la hausse, avec un risque : si la productivité n’augmente pas plus vite que le coût du travail, alors les prix des produits pourraient augmenter et la concurrence pourrait contraindre les entreprises à réduire leurs profits, voire leur production et, in fine, leurs embauches. En outre, l’emploi risque d’être moins bien rémunéré en moyenne s’il est mieux partagé et si la quantité de travail est plus abondante. C’est mécanique.
Des biais inconscients
Pourquoi faire des études si on anticipe d’être discriminé ? Les discriminations subies dans l’accès à l’emploi et aux postes qualifiés réduisent les incitations à travailler et le rendement des études universitaires. Elles découragent d’investir dans sa formation, en termes de durée comme de choix de filières.
Pour le discriminé, l’analyse coût-bénéfice du diplôme surévalue le coût du diplôme et sous-évalue sa valeur. Les préjugés, les stéréotypes et les rôles sociaux qui biaisent les décisions des employeurs sont « humains » : chacun a une préférence objective pour ceux qui sont proches culturellement.
Ces biais peuvent d’ailleurs coexister avec une volonté affichée, réelle et honnête, d’égalité des opportunités. Mais ils débouchent, comme des prophéties auto-réalisatrices, sur une moindre qualification des populations discriminées, qui sont en quelque sorte bloquées sous un plafond de réussite, quand elles ne sont pas condamnées à l’échec scolaire et professionnel. L’addition, individuelle et collective, est vraiment très salée.