La liste donne le vertige et atteste du manque criant de compétitivité d’une partie de l’économie française.
Au premier trimestre 2022, le déficit commercial, soit la différence entre les exportations et les importations de marchandises, s'est creusé à 31 milliards d'euros, contre 16,2 milliards à la même époque de l'an dernier. Et il atteint désormais 100 milliards sur douze mois glissants selon la direction générale du Trésor. Si, comme le martèle régulièrement Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, « la puissance d’une grande nation se mesure à son commerce extérieur », la situation tricolore semble dramatique…
Dans son dernier rapport, le Haut-Commissariat au plan (HCP) identifie 884 postes pour lesquels le déficit commercial de la France est supérieur à 50 millions d’euros, ces postes représentant 78 % du déficit hors hydrocarbures. On y trouve pêle-mêle les vélos électriques, les antibiotiques, les défibrillateurs, les montures de lunettes, les fibres optiques, les moissonneuses-batteuses, les cuisinières électriques ou encore les prothèses auditives et les pneumatiques.
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Déficit commercial
Solde négatif de la balance commerciale d’un pays qui correspond à la situation dans laquelle, en valeur, les importations de marchandises sont supérieures aux exportations. La situation inverse correspond à un excédent commercial.
Un signe de bonne santé économique ? Pas forcément
Une analyse plus fine des ressorts de ce déficit commercial vient pourtant nuancer ce constat catastrophiste. Cette montée en flèche du déficit français tient, tout d’abord, en partie à un effondrement conjoncturel et donc potentiellement transitoire des exportations.
En 2020, l’aéronautique, l’un des fleurons du « made in France », a par exemple connu un coup d’arrêt brutal et la reprise des ventes d’Airbus Commercial Aircraft et Airbus Helicopters n’est que progressive. Plus fondamentalement, les discours politiques alarmistes à propos du déficit commercial, invariablement présenté comme l’un des pires maux économiques, ont fini par imposer dans l’opinion générale l’idée qu’une nation économiquement forte est forcément en position d’excédent commercial. Or l’histoire récente des faits économiques prouve exactement l’inverse.
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Des années 1970 à 2000, les États-Unis étaient au faîte de leur puissance économique : classés, et de loin, premiers exportateurs mondiaux, ils ont été structurellement en déficit commercial sur cette période.
La trajectoire macroéconomique du Japon constitue un autre contre-exemple convaincant du bien-fondé des excédents. Depuis 1985, Tokyo n’a connu que huit exercices (légèrement) déficitaires sur le plan du commerce extérieur, quand Paris en comptait 22 dans le même laps de temps.
Pour autant, depuis cette date, la croissance économique de l’archipel est devenue atone et sa compétitivité n’a cessé de s’éroder, sa part dans les exportations mondiales passant de près de 15 % en 1985 à moins de 4 % aujourd’hui. Si la compétitivité d’une économie nationale se mesure à sa capacité à conserver, voire gagner des parts de marché à l’international, comment expliquer le paradoxe japonais ?
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La surabondance de l’épargne
Pour le comprendre, il suffit de revenir à deux équations macroéconomiques fondamentales (à noter que la suite de l'article ne contient pas d'autres équations). Dans l’approche dite « par les dépenses », le PIB s’exprime comme la somme de la consommation (C), de la dépense publique (G), de l’investissement (I) et des exportations (X) auxquelles on retranche les importations (M), cette équation étant rendue par :
PIB = C + G + I + (X-M)
Dans l’approche dite « par les revenus », il se comprend comme l’addition de la consommation (C), de l’épargne (S) et des impôts perçus par l’État et versés par les ménages et les entreprises (T), cette équation étant donnée par :
PIB = C + S + T
La combinaison de ces deux équations1 permet de parvenir à l’une des relations fondamentales de la macroéconomie :
(S-I) + (T-G) = (X-M)
Celle-ci permet de comprendre que les déficits commerciaux proviennent soit des déficits publics (quand la dépense publique (G) est supérieure aux impôts perçus par l'État (T)), soit d’un manque d’épargne par rapport au volume d’investissements engagés dans le pays (quand l'investissement (I) dépassé l'épargne (S)). Ainsi, la principale source de l’excédent commercial du Japon n’est plus la force de frappe exportatrice de ses firmes, mais davantage la propension élevée à l’épargne de sa population vieillissante (ici, l'épargne (S) prévaut sur l'investissement (I)).
De même, si l’excédent commercial structurel de l’Allemagne (environ 200 milliards d’euros chaque année depuis 2013) résulte indéniablement de sa compétitivité sur de nombreux produits, il tient aussi au sous-investissement chronique du pays et à l’épargne surabondante de sa population, plus âgée que la nôtre (en 2019, 29 % des Allemands avaient plus de 60 ans contre 26,1 % des Français).
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Des gains mutuels
Mais alors, pourquoi les politiques restent-ils alarmés par la situation française ? Dans un article de 2018, l’économiste Robert Z. Lawrence avait listé cinq raisons pour lesquelles la focalisation excessive sur le déficit commercial était souvent trompeuse d’un point de vue économique. Il expliquait notamment qu’elle conduisait à perdre de vue le fait qu’il existe des gains mutuels à l’échange entre pays.
Importer à bas coût des marchandises dont la production serait plus onéreuse, si elle était réalisée sur le territoire national, génère un avantage pour les entreprises comme pour les ménages qui y recourent.
Les premières deviennent plus rentables et peuvent réinvestir le surplus dégagé tandis que les seconds voient leur pouvoir d’achat augmenter, ce qui leur permet d’épargner ou de consommer davantage, y compris des biens et des services produits sur le territoire national.
Gains à l’échange
Dans la théorie néoclassique, il s’agit des gains tirés du libre-échange grâce auquel les producteurs et les consommateurs d’une économie nationale dégagent un surplus par rapport à la situation d’autarcie.
Les « déficits jumeaux » de la France
R. Z. Lawrence ajoutait cependant qu’un déficit commercial structurel n’est tenable qu’à deux conditions. Il faut, d’une part, qu’il alimente l’investissement plutôt que la consommation, et d’autre part que le déficit public qu’il engendre puisse être durablement financé.
Or le déficit commercial français ne valide pleinement aucune de ces deux conditions. Certes, il tient pour partie à des investissements publics d’avenir – dans les infrastructures ou l’éducation par exemple. Mais il est avant tout engendré par un appétit des ménages français pour les produits importés, largement financés par endettement public. Et si celui-ci se réalise actuellement à des taux très avantageux, son volume ne cesse d’augmenter, représentant 116,4 % du PIB au troisième trimestre 2021.
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La France connaît ainsi ce que les économistes nomment des « déficits jumeaux », le déficit public alimentant le déficit commercial. Si cette situation n’a rien d’alarmant à court et moyen terme, l’analyse économique estime qu’à long terme, la soutenabilité du déficit commercial est conditionnée à celle du déficit public. Et rares sont les économistes à prétendre que, dans les conditions actuelles, une croissance éternelle de l’endettement public est possible.
Déficits jumeaux
Situation dans laquelle le déficit public alimente le déficit commercial d’un pays.
1 On procède d’abord à l’association C + S + T + M = C + G + I + X puis aux simplifications suivantes : S + T + M = G + I + X puis (S-I) + (T-G) = (X-M)
Les questions au programme de SES au lycée dont des notions ou des mécanismes sont abordés dans cet article :
Première : « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Terminale : « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? »