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Designer industriel, ou la rencontre entre l'usine et l'art

Ce métier est fait pour vous si vous êtes créatif et aimez exprimer vos idées avec un coup de crayon, si vous êtes curieux, pragmatique et doté d’une forte empathie.

Lucile Chevalier
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Illustration de l'article Designer industriel, ou la rencontre entre l'usine et l'art

© Getty Images/iStockphoto

« Je prends mes feutres et mes crayons et je sors des dessins », décrit Jérôme Elie, designer industriel chez Lagrange, un fabricant lyonnais de petit électroménager d’une cinquantaine de salariés. Il planche sur une nouvelle crêpière. Comme toujours, ce sont les services marketing et commercial qui se sont attelés les premiers au nouveau projet.

En se fondant sur le retour des distributeurs et une analyse du marché, ils définissent les grandes caractéristiques du futur produit. Son prix, sa puissance, son public cible sont intégrés au cahier des charges, transmis à Jérôme.

Dans la tête du designer industriel, avant même qu’il ne trace la première courbe, ces consignes sont bien présentes mais aussi tous les éléments constitutifs de l’identité de Lagrange, son histoire, son savoir-faire, etc.

« Le design d’un produit, ses formes, les matières et couleurs, c’est la signature de la marque. Pour que n’importe qui, en un coup d’œil, identifie cette marque », explique Arnaud Delamézière, directeur de l’Institut supérieur d’ingénierie de la conception (Insic) à Saint-Dié-des-Vosges, en Lorraine. « Chez Lagrange, nous utilisons des matières nobles comme le bois, le verre ou l’inox. Le style est épuré. »

Le coup de crayon du designer

Jérôme médite, gamberge, trace, gomme. « Le premier croquis fixe l’idée et les premières courbes. Ensuite, les dessins se font plus précis sur les couleurs, les volumes, les matières. Pour arriver enfin à la 3D », décrit-il. « Il y a le design de produit, d’espace, de mode, le design graphique (concevoir un logo notamment), celui des interfaces… Mais tous les designers ont en commun le dessin. Quand ils réfléchissent, quand ils créent, quand ils expliquent, ils dessinent. C’est autant un mode d’expression que de pensée. Il leur permet de manipuler la complexité plus facilement », analyse Dominique Sciamma, actuel directeur de CY École de design et ex-directeur de Strate école de design.

La méthode du designer

Le second point commun est l’approche (voir « C’est quoi le design thinking ? »). « On pose une question - l’idée générique étant de savoir de quoi ont besoin les gens pour améliorer leur quotidien. Ensuite, on la confronte au terrain, on l’affine. Puis on trouve une solution, on la teste et enfin on la partage », poursuit le directeur de CY école de design, qui illustre son propos en prenant l’exemple du projet de fin d’études d’une ancienne de Strate. « Sa question était : comment préserver les enfants des écrans ? Sa solution fut ‘La Fabrique à histoire’, se présentant comme une radio, grâce à laquelle les enfants de 3 à 8 ans conçoivent des histoires à écouter. Pour la créer, elle a amalgamé le marketing, l’ingénierie, le graphisme, des auteurs. C’est cela, être designer ! »

C’est quoi le « design thinking » ?

À moins d’avoir passé ces cinq dernières années dans une grotte au milieu d’une zone blanche, il est difficile d’être passé à côté de ce nouveau concept… le « design thinking ».

En français, italien, anglais, sous forme de guide, kit ou boîte à outils, de 10 à 15 ouvrages sont publiés chaque année sur le sujet. Et dans leur titre ou à la quatrième de couverture, toujours la même promesse : en pensant comme un designer, vous créerez des produits et services innovants et connaîtrez enfin le succès.

Penser comme un designer, selon les prophètes du concept, implique de partir du client et de ses besoins, mais aussi de tester auprès d’eux les futurs produits, avant leur mise sur le marché. Il s’agit d’une démarche de co-création avec les consommateurs, et aussi avec les autres métiers dans l’entreprise : achats, commerce, marketing, etc.

Il faut donc s’ouvrir à l’autre. Mais pour s’ouvrir, il faut s’enfermer dans une recette standardisée en cinq étapes : empathize (être empathique), define (définir), ideate (imaginer), prototype (" prototyper ") et test (tester). Un brin absurde pour Natasha Jen, designer au sein du cabinet américain Pentagram, qui conte cette anecdote : « Dans un hôpital américain, dans la salle d’IRM d’un service pédiatrique, les murs sont décorés par des dessins de Tigrou et Winnie. Cet environnement permet d’apaiser les enfants. Fallait-il vraiment en passer par toutes les étapes du design thinking, dépenser temps et argent, comme l’a fait cet hôpital, pour avoir cette idée ? ».

La place du designer

Il intervient en effet au milieu de la chaîne. Dans l’industrie, « il fait l’interface entre le "besoin client" et la production. Le produit qu’il dessine sera fabriqué en série, réparé et recyclé », détaille Tanguy Prigent, spécialisé dans le recrutement de profils ingénieurs et techniciens au sein du cabinet Page Personnel.

Ainsi Jérôme Elie, crayonnant sa crêpière, choisit matières et formes permettant de garder ou de réduire la température. Il pense aussi à l’emboîtement des différentes pièces, leur fabrication. L’idée d’un bloc en inox, il l’a eue très tôt. « C’est séduisant, mais je savais que cela serait difficile. J’ai cherché des solutions, je suis allé voir des fournisseurs. Et, enfin, nous avons conçu un prototype pour valider la démarche », poursuit-il.

Gamin, il voulait être inventeur. Plus tard, au lycée, à travers un stage aux Beaux-Arts de Toulon, il s’est découvert une forte sensibilité au beau et à la création. « J’ai le sourire en allant travailler, c’est signe que j’ai trouvé mon métier et ma place. Mais j’ai dû pas mal bouger en France pour y arriver », explique-t-il.

« Il y a deux types d’employeurs, soit les entreprises elles-mêmes, soit les bureaux d’études et agences de design, sous-traitants pour cette étape dans la conception des produits », précise Arnaud Delamézière, le directeur de l’INSIC. Chaque entreprise a aussi sa propre stratégie de développement et de lancement de nouveaux produits. « Plusieurs de mes anciens camarades de promo, faute de trouver dans le design, se sont rabattus sur le métier de ‘concepteur’. Il y a plus d’offres, mais moins de création. Il faut techniquement être très bon, mais ce n’est pas le travail du concepteur de séduire et de donner envie. » Jérôme lui n’aurait pas pu. Il lui aurait manqué quelque chose.

Quelles formations ?

Deux chemins mènent à ce métier à cheval entre les arts et l’industrie. Sur le premier, on trouve les écoles d’arts appliqués. Les deux établissements les plus réputés se trouvent à Paris, l’École nationale des arts décoratifs et l’École nationale supérieure de création industrielle.

Sur le second chemin, se trouvent des écoles d’ingénieurs ayant ouvert une option « design », telles l’École des mines de Nancy ou encore l’Université de Technologie de Compiègne. Certains ingénieurs complètent leur cursus avec une année en école d’arts et inversement. Avoir une double casquette (technique et artistique) ouvre plus de portes et de postes.

Spécialités à choisir au lycée : Sciences de l’ingénieur ; Arts

Salaires

Un designer industriel débutant (0 à 2 ans d’expérience) gagne autour de 28 000 € bruts par an.

Un designer industriel avec de 2 à 5 ans d’expérience gagne entre 30 000 et 34 000 € bruts par an.

Pour aller plus loin

À picorer - Le design à travers 15 pièces emblématiques. Lien : www.artguide.fr/histoire-design-15-pieces-emblematiques/

À lire - Histoire des objets. Chroniques du design industriel de Raymond Guidot, Éditions Hazan, coll. Beaux-Arts, 576 pages.

À voir - à Paris, musée des Arts décoratifs ; à Marseille, musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, au château Borély ; à Nantes, musée des Arts décoratifs du château des Ducs de Bretagne.

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