Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Maintenir son pouvoir d’achat ou son niveau de vie est l’une des principales préoccupations des Français en cette veille d’élection présidentielle. Malgré la crise sanitaire et économique qui a fait chuter le PIB de 8 %, leur niveau de vie s’est maintenu, voire a progressé1.
Pourtant, de très nombreux ménages ont le sentiment qu’il a baissé depuis le début du quinquennat. Comment expliquer cet écart entre la réalité statistique et leur ressenti au quotidien ?
Tout d’abord, qu’est-ce que le pouvoir d’achat ? C’est la quantité de biens et services que les ménages peuvent potentiellement se procurer grâce à leur revenu disponible. Tout dépend du niveau de leurs revenus et du prix des biens qu’ils achètent.
Pour pouvoir consommer (et épargner), ils disposent de leurs revenus primaires (ceux qu’ils tirent de leur travail et de leur patrimoine immobilier et financier) auxquels s’ajoutent les transferts sociaux monétaires que sont les retraites, les revenus de remplacement, l’allocation-chômage et les aides sociales, notamment familiales.
De ce montant, il faut évidemment soustraire les prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations sociales) qui réduisent leur pouvoir d’achat, ainsi que les taxes sur la production et la consommation.
En 2018, le revenu disponible moyen1 s’élevait ainsi à 29 710 euros par an et par unité de consommation, composé à 61 % des salaires et traitements et à 38 % des transferts sociaux monétaires.
Toutefois, ce revenu disponible des Français est calculé pour l’ensemble de la population, or personne ne s’identifie à une moyenne parce qu’elle ne reflète pas la diversité des situations et des modes de vie, ni ne correspond à ce que chacun ressent.
Chaque catégorie sociale vit sa propre structure de revenus, répartie entre salaires, retraites, dividendes, loyers ou transferts sociaux et patrimoine. Or ces différentes composantes ne se valorisent pas au même rythme et ne subissent pas le même niveau de prélèvements obligatoires.
Transferts en nature et services régaliens
En France, où le système de redistribution est très performant en matière de solidarité sociale nationale, les ménages bénéficient aussi de services publics gratuits ou quasi-gratuits : l’enseignement, l’hôpital, les médicaments, les vaccins, les allocations logement, les chèques énergie/inflation ou l’action sociale.
Ces prestations, appelées « transferts en nature », représentent en moyenne 8 800 euros par an et par unité de consommation et s’ajoutent au revenu disponible.
Pour les 10 % les plus pauvres, ces transferts en nature représentent 1,7 fois les transferts sociaux monétaires et contribuent à hauteur de 44 % à leur niveau de vie, six fois plus que pour les plus aisés.
Il faut aussi prendre en considération les dépenses collectives de l’État et des collectivités locales que sont les services régaliens (sécurité intérieure et extérieure, justice…), les équipements collectifs urbains, l’environnement nettoyé et préservé…
Ces services, non individualisables, ne sont pas directement payés par les consommateurs, mais contribuent aussi à l’augmentation de leur pouvoir d’achat et à leur bien-être social. Depuis peu, ces dépenses collectives sont valorisées en termes monétaires par l’Insee, et représentent 4 130 euros par an.
Au total, cette redistribution élargie, moins visible pour les ménages, est évaluée à 12 930 euros par an et permet d’établir un niveau de vie élargi de 42 640 euros en moyenne par an et par unité de consommation, 3 553 euros mensuels, soit une hausse de 43,5 % du revenu disponible moyen des ménages.
Les pertes financières plus marquantes que les gains
Avec cette approche du « niveau de vie élargi », explique l’Insee, les deux tiers des Français reçoivent en moyenne davantage en transferts et en services publics qu’ils ne versent en impôts et taxes, contre environ un tiers selon l’approche usuelle antérieure.
Par ailleurs, le ressenti des ménages dépend, pour chacun d’eux, de la composition de leurs dépenses de consommation et du poids de leurs dépenses contraintes ou pré-engagées, comme le carburant, l’électricité, l’alimentation, la cantine des enfants, les assurances, les abonnements internet ou encore les dépenses de logement.
Non seulement ces dépenses sont peu négociables, mais elles sont plus lourdes pour les plus modestes. Elles sont prégnantes car fréquentes, récurrentes et inévitables. Elles ne laissent pas à chaque foyer la même marge de manœuvre.
Or ce que les ménages retiennent pour évaluer leur propre niveau de vie, c’est cette marge discrétionnaire qu’ils peuvent utiliser plus ou moins librement. Pour Agnès Benassy-Quéré, économiste au Trésor public, les ménages sont plus ulcérés par les pertes financières qu’ils ne sont rassurés par les gains.
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Les mesures gouvernementales favorables au revenu comme la suppression de la taxe d’habitation, la hausse de la prime d’activité ou les chèques d’accompagnement social ont eu moins d’impact que la hausse de la fiscalité comportementale (tabac, énergie) ou la réforme des aides au logement (APL).
Les ménages ressentent plus fortement les hausses de prix qui réduisent leur capacité de consommer des biens courants que la baisse des prix ou la gratuité de ce qui maintient ou améliore le niveau de vie élargi.
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Dépenses anti-déclassement
En outre, le niveau de vie standard en France dépend aussi de la norme sociale, des innovations et des publicités qui véhiculent une certaine vision de la société et dictent en quelque sorte aux ménages les dépenses impératives pour ne pas subir de déclassement.
On le voit, la notion de niveau de vie est bien plus large et significative que le revenu disponible ou le pouvoir d’achat. D’abord, le niveau de vie tient compte du nombre de personnes dans le ménage, il fait la différence entre un célibataire et une famille nombreuse. Ensuite, il prend en considération cette redistribution élargie.
Encore faut-il que celle-ci soit efficace – bien ciblée et ressentie par ses bénéficiaires –, car elle est largement financée par la dette et les citoyens de demain demanderont des comptes.
1. Insee, France, portrait social et Insee Références, édition 2021