Un bien qui appartient à tout le monde n’est à personne, c’est la « tragédie des biens communs » décrite par l’écologue américain Garrett Hardin1, qui propose de le privatiser pour que son propriétaire en prenne soin, ou de le nationaliser afin que l’État en fixe les règles d’exploitation et d’utilisation dans l’intérêt général.
On pourrait penser que notre planète bleue ne manque pas d’eau puisque les océans, mers, lacs et fleuves représentent 75 % de sa surface. En tant que matière, l’eau est effectivement abondante et n’est pas véritablement limitée – c’est la même quantité depuis des milliards d’années, en permanence remise en circulation par son cycle naturel. Cependant, l’eau exploitable est rare : seulement 2,5 % de l’eau est douce, 0,25 % seulement est accessible (lacs, rivières et sous-sol). Et surtout, l’eau elle est très inégalement répartie, sans oublier les dérèglements climatiques qui perturbent la temporalité de son cycle naturel, sa disponibilité et la qualité de ses réserves.
Ni publique, ni privée
Il est donc très important d’attribuer une valeur à l’eau, même si celle-ci diffère selon des intérêts parfois divergents ou concurrents : usages domestique et socioculturel pour les ménages, facteur de production pour l’agriculture et l’industrie, non-usage pour la biodiversité et l’environnement. Il n’existe pas de relation évidente entre la valeur de l’eau et son prix et l’absence de valorisation, ou une mauvaise valorisation, entraîne des externalités négatives (rejets de polluants, dégradation des écosystèmes marins et d’eau douce…) et contribue au stress hydrique. Par ailleurs, l’eau a de facto un coût car pour la rendre accessible, il faut la stocker, la rendre potable et la transporter. Il est donc nécessaire de mettre en place un régime de propriété adapté pour gérer son exploitation, sa consommation et sa préservation. Des droits de propriété aux niveaux local, national, voire international, sur une ressource telle que l’eau ne suffisent pas à fixer des droits d’usage.
La Nobel américaine 2009, Elinor Ostrom2, a montré que la propriété publique du bien et sa gestion par l’État ou bien sa propriété privée pour éviter les gaspillages, n’étaient pas les seules options. Selon elle, laisser les individus s’organiser peut donner de meilleurs résultats. L’économiste britannique Ronald Coase, Nobel 1991, a lui aussi proposé cette troisième voie : pour lui, des droits de propriété négociés et clairement attribués sont la meilleure garantie de maximiser le bien-être. Ainsi un « faisceau de droits » indépendants, mais possiblement cumulatifs (accès, prélèvement, gestion, droit d’exclure et d’aliéner) accordés aux parties prenantes (propriétaires, gestionnaires, utilisateurs) afin qu’ils s’entendent dans la préservation de l’eau, pourrait mettre fin à cette « tragédie des biens communs ».
1. The Tragedy of the Commons, Science, 1968.
2. Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, 1990.