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Politique économique

Les femmes et les hommes inégaux devant la justice 

Malgré le principe d’égalité face au droit, les hommes et les femmes ne sont pas pris en charge de la même manière par le système judiciaire. Immersion dans les coulisses où biais et préjugés sont légion.

Adeline Raynal
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© LUDOVIC/REA

En France, 3,3 % des personnes détenues sont des femmes. Elles sont donc ultra-minoritaires dans les prisons. Seraient-elles plus respectueuses de la loi ? La justice fait-elle preuve de clémence à leur égard ?

En dépit du principe d’égalité face au droit, des historiens, sociologues et même des professionnels de la justice confirment que le parcours des individus dans les systèmes judiciaire et pénitentiaire est influencé par le fait qu’ils sont perçus comme homme ou femme.

Grand Ecart #7 La justice institutionnalise la violence masculine

Les femmes commettent avant tout moins d’actes violents que les hommes. Dans une interview publiée sur le site de la section française de l’Observatoire international des prisons, la sociologue Coline Cardi explique : « Dès le plus jeune âge et dans tous les espaces de socialisation (la famille, l’école…), […] il y a tout un tas de mesures de contrôle social qui permettent de prévenir et de sanctionner en amont les infractions potentielles des femmes, si bien qu’elles n’adviennent pas, ou moins facilement que chez les hommes. »

En Chiffres

3,3%

C'est la part de femmes dans la population carcérale française. 

Mesures alternatives

Selon l’experte, les femmes sont aussi moins souvent arrêtées. « Le traitement policier est extrêmement genré. La figure du délinquant, c’est un homme, que l’on va appréhender davantage dans l’espace public. De fait, les femmes n’ont pas le même accès à l’espace public, donc les arrestations sont davantage orientées vers les hommes », souligne Coline Cardi.

Par ailleurs, la justice condamne moins les femmes à de la prison. Dans une étude de l’Insee parue en 2017, les sociologues Faustine Büsch et Odile Timbart ont montré que, à gravité des faits et personnalité de l’auteur comparables, l’institution judiciaire privilégie les mesures alternatives aux poursuites pour 60 % des femmes et seulement 40 % des hommes.

À lire aussi : Genre, crime et délinquance : la justice institutionnalise la violence masculine

« Quand elles sont condamnées, les femmes bénéficient de sanctions moins lourdes que les hommes […] [parce que] la délinquance féminine est dans l’ensemble moins grave que celle des hommes. Les femmes sont condamnées pour des affaires moins complexes et ont surtout deux fois moins souvent des antécédents judiciaires. »

Les femmes jugées bénéficient de l’a priori selon lequel elles sont moins violentes par nature. C’est ce qu’ont démontré les universitaires Maxime Lelièvre et Thomas Léonard au début des années 2010.

Ils ont étudié les représentations de genre lors des procès en comparution immédiate et remarquent que « spontanément, les gens ont tendance à penser que la délinquance serait une “affaire d’hommes”, sauf pour de rares délits associés au genre féminin et que l’écart de pénalisation ne serait que le reflet du fait que les hommes sont plus “criminels” que les femmes. »

Mais, notent les deux universitaires, « les sanctions prononcées sont plus clémentes à l’égard des femmes, surtout dans les cas de violences », ce qui s’explique selon eux par l’histoire du délit telle que les magistrats se la représentent.

En 2012, la vice-présidente du TGI de Pontoise confiait au quotidien La Croix : « Nous sommes toujours un peu surpris d’avoir à juger une femme, c’est tellement rare ! […] Devant ces prévenus atypiques, peut-être tentons-nous davantage de […] mettre au jour les raisons économiques, sociales et psychologiques les ayant amenées à enfreindre la loi. »

Psy contre prison

Cette différence de traitement se constate même chez des mineurs. Le sociologue Arthur Vuattoux a analysé le traitement judiciaire réservé aux jeunes délinquants.

Les garçons sont là encore majoritaires mais surtout, lors de l’instruction, « les filles sont beaucoup plus orientées vers un accompagnement psycho-social, on recherche leurs vulnérabilités psychologiques, on s’intéresse à leur intimité, on interroge leur sexualité, alors que dans le cas d’un garçon, l’institution regarde plus ses fréquentations ».

Le traitement policier est extrêmement genré. La figure du délinquant, c’est un homme, que l’on va appréhender davantage dans l’espace public. De fait, les femmes n’ont pas le même accès à l’espace public, donc les arrestations sont davantage orientées vers les hommes.
Coline Cardi

Sociologue

En étudiant les dossiers, il s’est aussi aperçu que la justice « pathologise » la relation des filles avec leurs parents et décide plus souvent de mesure intrusive pour leur vie privée.

« Elles sont moins incarcérées que les garçons, mais, pour les mêmes faits, la peine de prison dure quelques semaines à quelques mois pour eux, alors que les filles se voient imposer des mesures de suivi psychologique qui peuvent durer jusqu’à deux ans », observe Arthur Vuattoux.

Il conclut : « L’institution judiciaire produit, reproduit et légitime, dans une certaine mesure, des schémas de déviance genrés. »

La justice pour mineurs serait-elle sexiste ? « Dans un sens, oui, elle l’est de manière systémique, tout comme elle est raciste et classiste. En revanche, elle ne l’est pas si l’on entend par là qu’elle serait composée d’individus tous foncièrement sexistes », nuance Arthur Vuattoux.

Chez les victimes aussi

Qu’en disent les avocats, qui doivent faire respecter les mêmes droits qu’ont chacun et chacune de leurs client(e) s ? « L’institution est faite d’êtres humains biaisés qui prennent des décisions lors d’audiences sous pression », rappelle Edmond-Claude Fréty, avocat au Barreau de Paris.

L’institution judiciaire produit, reproduit et légitime, dans une certaine mesure, des schémas de déviance genrés.
Arthur Vuattoux

Sociologue

Si quand on est accusé, le genre a une influence, qu’en est-il lorsqu’on est victime ? Antoinette Frety est la sœur d’Edmond-Claude. Ils travaillent en binôme.

Elle observe : « Un homme se confie plus à moi s’il a été victime d’agression sexuelle, je pense que c’est en partie parce que je suis une femme. » Et quand il s’agit de dénoncer une agression sexuelle d’un homme sur un autre homme, « une main aux fesses par exemple, on entend parfois dire que ce n’est pas bien grave, alors que ce discours lénifiant est devenu innaceptable si la victime est une femme ».

Pour Valérie Duez-Ruff, également avocate au Barreau de Paris, le prisme du genre intervient devant une femme victime d’agression sexuelle : « La parole, la moralité et les mœurs d’une femme sont très souvent questionnées. »

Tous les maillons

Bref, la justice ressemble à la société : elle applique un traitement différencié des hommes et des femmes reposant sur des stéréotypes de genre. Alors, quelles solutions ? Sensibiliser.

« Le seul moyen de lutter contre ces biais liés au genre, c’est d’être informé. Avec mon association Cerveau Droit, nous sensibilisons les élèves avocats parisiens aux liens entre neurosciences et droit, relate Edmond-Claude Fréty. Mais lorsqu’on fait appel à des jurés, ils ne sont absolument pas sensibilisés aux biais de perception liés au genre », déplore l’avocat.

Sans oublier les comportements et les habitudes sexistes de la part des professionels du droit eux-mêmes, ajoute Valérie Duez-Ruff, se souvenant de quelques collègues aux plaidoieries discriminantes.

Il faudra sensibiliser tous les intervenants d’une chaîne judiciaire en manque chronique de moyens si l’on veut une société qui parvient à juger sans genrer.

Nos sources sur le parcours judiciaire des femmes :

L’ouvrage collectif Penser la violence des femmes, sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost, La Découverte, 2012

L’essai Adolescences sous contrôle, Arthur Vuattoux, 2021

L’étude « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee, mars 2017