Selon de nombreuses enquêtes internationales, comparés à la moyenne des actifs occupés, les médecins jouissent d’une meilleure santé physique, mais d’un moins bon équilibre psychique couplé à un usage plus important de médicaments.
Ainsi, aux États-Unis, plus de 10 % des médecins déclarent en abuser, 20 % se disent déprimés et plus de 30 % affirment souffrir de burn out.
À lire aussi > Tenir compte de la santé mentale, nouvel impératif politique
Comment expliquer cette mauvaise santé mentale des médecins ?
Faut-il incriminer les difficultés d’un métier marqué par le poids des responsabilités et les menaces latentes de poursuite pour faute professionnelle ?
Faut-il y voir, au contraire, les manifestations de traits de caractère particulièrement prononcés chez ceux qui choisissent ce métier et qui les prédisposent à surconsommer drogues et médicaments (il a été documenté, par exemple, que les médecins sont plus « perfectionnistes ») ?
Une étude récente sur les Pays-Bas apporte des éléments de réponse fiables à ces interrogations. Dans ce pays, jusqu’en 1999, les personnes désireuses d’entamer des études de médecine étaient, dans un premier temps, présélectionnées en fonction de leur parcours scolaire.
Puis, parmi tous ces candidats potentiels, un tirage au sort désignait ceux qui seraient effectivement admis à la faculté de médecine.
Le cœur de l’étude a consisté à éplucher les ordonnances consignées dans les fichiers de l’assurance maladie afin de connaître, pour toutes les personnes ayant participé aux loteries organisées entre 1987 et 1999, leur consommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, de sédatifs et d’opioïdes une fois qu’elles étaient installées dans la vie active.
Les femmes surtout
Parmi tous les participants aux loteries, seuls les gagnants sont devenus médecins, ils forment le groupe « test » de cette étude. Les perdants, qui forment le groupe de « contrôle », se sont dirigés vers d’autres professions.
Comme ces deux groupes comprennent des dizaines de milliers de personnes voulant toutes a priori devenir médecin, en moyenne, les éventuels traits psychologiques propres à ce métier seront les mêmes dans ces deux groupes.
Il suffit alors de comparer la consommation des médicaments listés plus haut entre ces deux groupes pour savoir si l’exercice de la profession de médecin est la seule cause d’une surconsommation de tels médicaments.
Les résultats de l’étude témoignent que c’est bien le cas, mais ils pointent aussi que cette surconsommation touche nettement plus les femmes que les hommes.

La figure 1 montre ainsi qu’en moyenne, une femme sélectionnée par la loterie pour devenir médecin consommera au cours de sa vie active 36 % de plus d’antidépresseurs, 27 % de plus d’anxiolytiques, 37 % de plus d’opioïdes et 81 % de plus de sédatifs qu’une femme n’ayant pas été sélectionnée.
En revanche, la figure 2 montre que ces chiffres sont significativement plus faibles pour un homme sélectionné par la loterie : il consommera au cours de sa vie active « seulement » 8 % de plus d’antidépresseurs, 5 % de plus d’anxiolytiques, 28 % de plus d’opioïdes et 55 % de plus de sédatifs qu’un homme n’ayant pas été sélectionné.
Le stress du pénal
Ce ne sont donc pas des traits de personnalité plus répandus chez les médecins qui expliquent leur surconsommation de médicaments censés lutter contre l’anxiété et la dépression.
À lire aussi > Stress, burn out, pénibilité psychique... Quand le travail pèse sur la santé mentale
Ce sont les conditions de travail et de vie associées à cette profession. Et les femmes sont particulièrement touchées.
Ce résultat complète les constats d’enquêtes factuelles menées dans plusieurs pays indiquant que les femmes médecins se suicident plus que leurs homologues masculins, se plaignent souvent de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et peinent plus que les hommes à trouver un équilibre entre leurs tâches professionnelles et leur vie familiale.
Une amélioration de la santé mentale des médecins nécessite donc de diminuer, autant que faire se peut, le stress inhérent à l’exercice de cette profession.
L’organisation globale de la médecine fait partie des grandes réformes rituellement évoquées, mais qui peinent à se concrétiser. À cet égard, on pourrait au moins songer à mieux protéger les médecins de la menace d’être poursuivis pénalement pour chacun de leurs actes.
Récemment, les États du New Jersey, de New York et de Pennsylvanie ont fait un pas dans cette direction en décidant que les patients atteints de Covid-19 ne pouvaient intenter de procès envers leurs médecins dans le traitement de cette maladie.