Fin mars 2022, au Salon des Seniors, à Paris. Éliane 73 ans, Marie-France, 70 ans et Danielle, 64 ans, cheveux blancs soigneusement coiffés, s’installent sans hésitation, stylo et questionnaire en main, l’air concentré. Leur mission du jour : évaluer des start-up.
Les trois amies, rodées à l’exercice depuis plusieurs années déjà, prennent leur mission très au sérieux car « on prépare l’avenir », confient-elles. Les trois porteurs de projets qu’elles vont rencontrer ce matin-là ont en effet pour point commun de vouloir améliorer le quotidien des seniors.
Ces entrepreneurs sont accompagnés par l’équipe de la Silver Valley, un pôle d’innovation spécialisé dans la « silver économie », l’expression générique qui recouvre tous les acteurs économiques s’intéressant à la question du bien vieillir dans notre société.
Installée en région parisienne depuis presque 10 ans, la Silver Valley joue notamment le rôle d’incubateur de start-up et fait régulièrement appel à sa communauté, composée de 9 000 seniors, pour évaluer leur potentiel.
Cet accompagnement très poussé des entrepreneurs se justifie par les spécificités du marché de la silver économie.
Selon les projections de l’Insee, en 2050, la France comptera 24 274 500 de personnes âgées de 60 ans et plus (soit un tiers de la population). « Mais cette population ne sera pas homogène », avertit Nicolas Menet, directeur général de la Silver Valley.

« Nous aurons à la fois des jeunes seniors encore salariés, des gens en pré-retraite ou retraités, des personnes dépendantes, des couples, des célibataires, des urbains, des personnes à la campagne, vivant dans des logements sociaux ou propriétaires de leur maison… autant d’aspects que les porteurs de projet doivent prendre en compte dans leur business model. » Les évolutions des habitudes de consommation sont aussi à surveiller de près.
« Par exemple, en cinq ans, le taux d’équipement en ordinateurs, smartphones et tablette des seniors est passé de 60 % à 70 % (contre 82 % pour l’ensemble de la population). Les entrepreneurs doivent avoir ces mutations en tête. »
Un marché subventionné
Au Salon des Seniors, Éliane, Marie-France et Danielle ne sont donc pas surprises d’avoir deux projets numériques à évaluer. La start-up Educawa, d’abord, qui propose une plateforme en ligne pour assister les grands-parents dans l’aide au devoir de leurs petits-enfants, et Ellii, un site internet regroupant des activités en présentiel et en visioconférence pour les seniors.
Les trois jurées ne les ménagent pas, les questions fusent : « Combien ça coûte ? » ; « Comment comptez-vous vous faire connaître ? », etc. Chacun autour de la table a bien conscience que le marché de la silver économie est très concurrentiel. « Les seniors sont un public sursollicité, il est difficile de faire émerger une nouvelle offre face à toutes celles qui existent déjà », reconnaît Andréa Abbou, cofondateur d’Ellii.
Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le niveau de vie médian des retraités est légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population. De fait, leurs modes de consommation sont particulièrement suivis.
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Par ailleurs, la silver économie se compose d’une multitude de petits projets de niche. « La concurrence est forte parce que le marché est très subventionné. Pas mal de projets émergent en région et s’inscrivent dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, car ils travaillent sur l’aide aux personnes âgées. Ce ne seront pas les licornes de demain, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être rentables et se développer », analyse Nicolas Menet.
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Les acteurs du secteur sont aussi très diversifiés. « On a d’un côté des start-up qui innovent et proposent par exemple des technologies pour détecter les chutes, comme des bracelets connectés. Et d’autre part, des entreprises plus traditionnelles qui mettent en place de nouveaux services, à l’image du groupe La Poste, qui envoie ses facteurs auprès des personnes isolées pour garder le lien social, réalise du portage de repas à domicile ou peut mettre en place de la télé-assistance », détaille Thomas Rapp, maître de conférences à l’université Paris Cité, spécialisé notamment en économie du vieillissement.
Cibler sans enfermer dans une case
Il est donc difficile d’évaluer le nombre d’entreprises qui s’inscrivent dans la silver économie. « Il faudra trouver une définition précise pour mieux délimiter le secteur », admet Sébastien Podevyn-Menant, directeur général de France Silver Eco, le réseau national des acteurs publics et privés de la silver économie.
La crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur à la filière, en mettant, entre autres, en lumière l’isolement des personnes âgées. De nouveaux besoins ont été identifiés et des services inédits ont vu le jour. À l’automne 2021, le gouvernement a proposé de mettre en place Ma Prime Adapt’, une aide spécifique pour l’adaptation des logements destinés aux personnes âgées.
« Si cette mesure est adoptée, ce serait un accélérateur énorme pour le marché du bâtiment et de l’aménagement dédié aux seniors », signale Sébastien Podevyn-Menant. La silver économie concerne finalement tous les pans de l’économie : les loisirs, la finance, le tourisme, les transports, etc.
Toutefois, les seniors ne souhaitent pas être étiquetés : « Estampiller un service “bon pour les seniors”, c’est rater sa cible à coup sûr », avertit le directeur général de France Silver Eco. Illustration au Salon des Seniors : la start-up Les Flâneuses est celle qui a le plus convaincu les trois jurées.
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Son offre : une chaise à roulettes qui peut servir autant aux familles avec des enfants qu’à des personnes handicapées ou âgées qui fatiguent au cours d’une visite d’un musée, par exemple. « C’est une très bonne initiative, car elle profite à tout le monde », jugent à l’unanimité les trois complices.