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L'État français, modèle grippé aux dépenses lourdes et à l'efficacité limitée
Politique économique
L'État français, modèle grippé aux dépenses lourdes et à l'efficacité limitée
Sélection abonnésLa pandémie l’a rappelé : les dépenses publiques ne sont pas un mal en soi. Plus un État dépense, plus il est efficace. Mais relativement à ce qu’il dépense, l’État français est vraiment peu efficace. Par excès de centralisation, éparpillement des structures et consanguinité administrative.
Julie de La Brosse
© Michal Matlon via Unsplash
« Les Français sont quand même un peuple étrange. Ils demandent à la fois toujours plus de services publics et toujours moins d’impôts. » Le haut fonctionnaire François Ecalle, président de l’association Fipeco, est habitué. Ces derniers 18 mois de crise sanitaire n’ont certainement pas guéri cette schizophrénie.
Alors qu’au début de la crise, on a déploré les mensonges, les lourdeurs administratives et les défaillances en tous genres de l’appareil d’État, depuis quelques mois, une petite musique se fait entendre autour de la nécessité d’un État fort. Sans doute que le « quoi qu’il en coûte », avec ses plus de 100 milliards d'euros en argent public, a permis de sauver des centaines de milliers d’entreprises de la faillite, redorant l’image d’un État souvent jugé trop gras et trop puissant.
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Seuls les plus libéraux des candidats à la prochaine élection présidentielle osent réclamer une réduction des effectifs de la fonction publique, à l’image de Valérie Pécresse (LT) qui propose de supprimer « 150 000 postes dans l’administration administrante. » « Car aujourd’hui, le sentiment qui domine est que le niveau des services publics n’est pas à la hauteur du niveau des prélèvements obligatoires », observe Alain Lambert, ancien ministre du Budget et président du Conseil national d’évaluation des normes.
« Les Français sont quand même un peuple étrange. Ils demandent à la fois toujours plus de services publics et toujours moins d’impôts. » Le haut fonctionnaire François Ecalle, président de l’association Fipeco, est habitué. Ces derniers 18 mois de crise sanitaire n’ont certainement pas guéri cette schizophrénie.
Alors qu’au début de la crise, on a déploré les mensonges, les lourdeurs administratives et les défaillances en tous genres de l’appareil d’État, depuis quelques mois, une petite musique se fait entendre autour de la nécessité d’un État fort. Sans doute que le « quoi qu’il en coûte », avec ses plus de 100 milliards d'euros en argent public, a permis de sauver des centaines de milliers d’entreprises de la faillite, redorant l’image d’un État souvent jugé trop gras et trop puissant.
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Éco-mots
Taux d’administration
Correspond à la part des agents de la fonction publique travaillant sur un territoire donné par rapport à la population totale de ce territoire. Il peut être décliné selon les différentes fonctions (éducation, santé, protection sociale) puis, ponctuellement, par niveau d’administration (centrale, locale, sécurité sociale, etc.).
Alors, de quoi souffre vraiment l’État français ? Dans une étude qu’il actualise chaque année, Patrick Artus, conseiller économique de la banque Natixis, cherche à rapporter l’efficacité des pays en fonction de leur niveau de dépenses. Ce ratio est calculé à partir de 14 critères : espérance de vie, taux de chômage, classements d’éducation, nombre de lits d’hôpitaux ou encore taux d’homicides. L’économiste en a tiré au fil du temps deux enseignements majeurs : plus un État dépense, plus il est efficace ; relativement à ce qu’il dépense, l’État français est très peu efficace…
Le taux d'emploi des jeunes (14e critère, inclus dans le segment Éducation) est absent de ce graphique, car nous avons jugé qu'il faisait doublon avec le taux de chômage. Crédits : Pour l'Éco.
Le niveau des transferts sociaux, très élevé en France, explique en grande partie ce mauvais score. Or cette situation résulte davantage d’un choix politique, celui de l’État-providence, que du mauvais fonctionnement de l’État. « Par ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le nombre de fonctionnaires n’a pas grand-chose à voir avec cette inefficacité apparente. Avec des fonctionnaires nombreux, mais mal payés, nous sommes tout à fait dans la moyenne européenne des dépenses de fonctionnement », observe Jean-Ludovic Silicani, ex-commissaire à la réforme de l’État.
Éco-mots
Ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux et des transferts sociaux modifiant les revenus des ménages, permettant de réaliser l'assurance sociale et l'aide sociale. La redistribution est horizontale et verticale.
Décentraliser à reculons
Derrière la dégradation des services publics se cachent en réalité les dysfonctionnements de l’administration tricolore et de son infernale bureaucratie. La crise sanitaire a montré à quel point la multiplicité des acteurs, l’éparpillement des compétences et, plus généralement, l’inutile complexité de l’appareil public nuisait à la mise en œuvre des politiques publiques.
On se souvient notamment de la fameuse circulaire de 45 pages du ministère de la Santé destinée à organiser la vaccination dans les Ehpad. Deux chiffres pour mesurer l’ampleur du problème : il existe en France 93 700 structures relevant des administrations publiques contre 15 000 en Allemagne. Et alors qu’en Allemagne, en Belgique ou en Suède, les dépenses des administrations territoriales représentent plus de 40 % des dépenses publiques, en France, elles atteignent à peine 20 %.
L’écart de dépenses sur l’enseignement s’explique par la proportion plus élevée de jeunes en France. La dépense unitaire française est 12 % moins élevée qu’en Allemagne. À l’inverse, l’écart sur les retraites s’explique par une dépense unitaire plus élevée en France : 23 733 euros contre 18 036 euros outre-Rhin. Crédits : Pour l'Éco.
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La preuve que la décentralisation à la française reste encore très imparfaite. Dans les années 1980, les premières lois de décentralisation augmentent les compétences des collectivités territoriales, sans vraiment décharger ni dégraisser le pouvoir central, lequel reste tiraillé entre ses aspirations girondines (autonomie des régions) et sa vieille tentation jacobine (centralisatrice). « Résultat, 40 ans plus tard, on a toujours une administration centrale pléthorique dont le seul objectif est de contrôler les administrations locales en multipliant les règlements absurdes », déplore Alain Lambert.
Tous les ministères ne sont pas concernés au même chef. Bercy, dont on a longtemps critiqué l’opacité des rouages, est désormais cité en exemple pour son agilité et sa capacité à travailler main dans la main avec les territoires et les entreprises. Pendant la crise, on a d’ailleurs loué la capacité du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, à déployer des fonds en un temps record en s’affranchissant des lourdeurs administratives habituelles.
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À l’inverse, le ministère de l’Environnement est devenu l’emblème de la machine à fabriquer des normes kafkaïennes et inapplicables. « Le fait que ce soit une matière nouvelle explique en partie la sur-réglementation. Mais globalement, l’administration centrale est obsédée par la légalité, elle ne réfléchit plus en objectifs à atteindre, mais de moyens pour y parvenir », dénonce Alain Lambert, sans préciser que les parlementaires, jugés sur le nombre d’amendements qu’ils déposent, participent aussi de cette inflation normative.
L’éducation, gouffre paradoxal
À chaque problème sa loi et à chaque revendication sociale son budget supplémentaire… C’est en effet un autre écueil régulièrement mis en avant : ce réflexe très français qui consiste, face à un problème, à commencer par augmenter les budgets. En ce sens, l’exemple de l’Éducation nationale est sans doute le plus probant. Avec 140 milliards d’euros par an, soit 5,2 % de son PIB, la France investit davantage dans l’éducation que la moyenne des pays de l’OCDE.
Pourtant, elle dégringole dans la plupart des classements internationaux. « Il est avéré que la réussite d’un système éducatif n’est pas seulement liée au budget alloué, mais aussi aux pédagogies mises en place », explique Éric Charbonnier, à la direction de l’éducation de l’OCDE.
Concours trop académiques, professeurs mal formés à la pédagogie, rémunérations peu incitatives et manque de hiérarchie… Depuis des années, les faiblesses du système français sont connues.
Mais l’inertie prévaut. « Les dernières réformes vont dans le bon sens, avec notamment plus d’autonomie accordée aux établissements, mais même votées, elles restent soumises à de fortes résistances du corps enseignant, qui refuse toute forme d’évaluation », précise Éric Charbonnier.
« C’est d’ailleurs un autre vieux problème français. Qu’il s’agisse de la Cour des comptes ou des rapports parlementaires, personne n’écoute jamais les préconisations des experts », estime François Ecalle, citant l’exemple du TGV, dont on sait qu’il est une aberration économique et environnementale, mais qui ressurgit à chaque présidentielle. « Dans la santé, c’est pire. Depuis des années, on dit qu’il faut investir massivement dans la prévention pour faire faire des économies à l’ensemble du système, mais rien n’est fait dans ce sens », regrette Patrick Artus.
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Institution étatique indépendante, elle a pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public, de la bonne tenue des comptes des organismes publics et d’en informer les citoyens.
À quand une DRH de la fonction publique ?
Alors, à l’heure où les enjeux environnementaux et de santé n’ont jamais paru aussi cruciaux, comment rendre l’État plus efficace ? Sans doute l’idée de le réformer en profondeur est-elle désormais un peu éculée. En 1995, déjà, Jacques Chirac se faisait élire en promettant une grande réforme de l’État… Et puis, les sondages le confirment : ce n’est pas la taille de l’État-providence qui pose problème, mais plutôt sa paralysie. De ce point de vue, certaines choses peuvent être améliorées.
Avec la réforme de l’ENA (rebaptisée Institut national du service public), le gouvernement espère ouvrir la haute administration à des profils plus variés et favoriser la mobilité entre les administrations nationales et territoriales, grâce notamment à la création d’une véritable DRH de la fonction publique. Par ailleurs, des réflexions sont en cours pour tenter de redonner du sens et de la motivation aux agents publics, notamment en augmentant les salaires.
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Dans son livre blanc sur la fonction publique rendu en 2008, Jean-Ludovic Silicani plaidait pour la mise en place d’une rémunération au mérite. « Enfin, parmi les réflexions à mener, il serait temps de se demander comment attirer et garder les meilleurs talents au sommet de l’État, y compris ceux qui viennent du privé », estime David Martimort, économiste et directeur d’études à l’EHESS.
Sur ce point, l’avis des experts est d’ailleurs assez unanime : la tendance actuelle à interdire les passerelles entre le public et le privé est une aberration qui pénalise l’action publique. En avril dernier, les Français se sont par exemple émus de voir l’administration recourir à grands frais à des cabinets de conseil pour planifier la stratégie de vaccination nationale.
Mais David Martimort s’insurge : « On ne peut pas croire tout à la fois que l’État est la solution à tous les maux de l’économie, lui reprocher d’être inefficace et penser que s’appuyer sur l’expertise du secteur privé est une solution à bannir. » Sauf à être un peu schizophrène, bien sûr…
L'État, un actionnaire qui tâtonne
Usinor, Pechiney, Alstom… Dans l’inconscient collectif, ces noms restent associés à un traumatisme, celui du démantèlement et de la déconfiture d’anciens fleurons nationaux. Dès que le mot « privatisation » surgit dans le débat public, la réaction est épidermique.
Récemment, le projet de réorganisation d’EDF en trois entités pour séparer le nucléaire du reste du groupe coté en Bourse a fait bondir les syndicats, mais aussi une partie de la classe politique et des anciens dirigeants du groupe, qui craignaient la dislocation et la cession des activités rentables de l’ancien monopole de l’électricité. Face à la bronca, le gouvernement a préféré faire marche arrière et temporiser jusqu’à la prochaine présidentielle.
En prenant les manettes de Bercy, puis de l’Élysée, l’ancien banquier d’affaires Emmanuel Macron avait pourtant des velléités de remettre un peu d’ordre dans les « joyaux de la couronne ». En 2014, l’Agence des participations de l’État, qui gère la majeure partie des actions de celui-ci dans les entreprises, se dote d’une doctrine destinée à poser les règles d’une intervention publique raisonnée.
À l’époque, l’idée sous-jacente est surtout de pouvoir renflouer les caisses en ne conservant dans le giron de l’État que les entreprises jugées stratégiques. En 2018, Bruno Le Maire annonce 15 milliards d’euros de cessions, soit le plus grand programme de privatisations depuis 10 ans. Un an plus tard, l’État se sépare de 52 % de la Française des jeux pour près de deux milliards d’euros.
Mais la crise est passée par là. Soudainement, l’argent public s’est mis à couler à flots et les certitudes du passé ont de nouveau volé en éclat. En 2020, le gouvernement décide d’arrêter toute cession jusqu’à la fin du quinquennat. La vente d’ADP, qui a fait l’objet d’un gigantesque référendum d’initiative partagée, est repoussée jusqu’à nouvel ordre. Et à la place, l’État décide de renflouer Air France, dont il était pourtant prévu qu’il vende les dernières actions, mais qui est désormais jugé « stratégique et vulnérable ».
En septembre dernier, le gouvernement a de nouveau réalisé un virage à 180 degrés en faisant racheter par EDF les anciennes activités nucléaires d’Alstom, qui avaient été vendues à General Electric en 2015… À ce rythme, c’est vers un programme de nationalisations massives que l’on se dirige ! Arnaud Montebourg et Marine Le Pen en ont d’ailleurs fait une promesse de campagne : s’ils sont élus, ils prévoient tous deux de renationaliser les autoroutes..