C’est une question qui est régulièrement au centre du débat public : les immigrés sont-ils des contributeurs nets ou une charge pour les finances publiques d’un État ? En d’autres termes, perçoivent-ils plus que ce qu’ils ne versent via l’impôt et les cotisations ?
À quelques mois de la présidentielle, on fait le pari que le sujet va revenir sur le devant de la scène. Hasard du calendrier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a répondu à cette interrogation début novembre avec ses Perspectives des migrations internationales 2021, « pour disposer de données fiables, actualisées et comparables à l’échelle internationale ».
Les résultats sont clairs : « Dans les 25 pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles, en moyenne au cours de la période 2006-18, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. »
Étonnant ? Pas vraiment, répond Lionel Ragot, professeur d’économie à l’université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii. En 2018, l’expert a procédé, avec Xavier Chojnicki et Ndeye-Penda Sokhna, à des calculs similaires pour estimer l’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France.
Contributeur net
Qui verse plus au budget qu’il n’en reçoit.
Un impact relativement faible
Les économistes ont ainsi comparé la contribution des immigrés et celle des natifs entre 1979 et 2011. Soit la différence entre les taxes, cotisations et impôts que ces personnes ont versés aux finances publiques et l’ensemble des bénéfices qu’elles en ont retirés.
Cela a demandé aux auteurs de passer au crible les données des enquêtes de l’Insee sur le budget des familles qui recensent les dépenses et ressources des ménages en France : prestations sociales (APL, chômage, pensions de retraite, etc.), taxes (habitation, foncière, etc.), impôts (TVA, CSG, impôts sur le revenu, etc.)
Si les chiffres peuvent varier d’une étude à l’autre, l’impact budgétaire de l’immigration reste relativement neutre, concluent les recherches. L’OCDE l’estime entre -1 et 1 % du PIB dans la plupart des pays. De manière générale, « la contribution des immigrés aux finances publiques, positive ou négative, reste relativement faible », commente Lionel Ragot.
Immigré
Toute personne née à l’étranger, qui ne possédait pas la nationalité française à la naissance.
L’âge et le niveau de qualification déterminants
Le constat peut étonner, car « il y a un hiatus entre la perception individuelle d’un immigré et le résultat obtenu pour l'ensemble des immigrés », explique Lionel Ragot.
« On entend souvent dire, à juste titre, que les immigrés ont un taux de chômage plus élevé et donc qu’ils perçoivent plus d’allocations-chômage. Qu’ils ont en moyenne plus d’enfants, touchant ainsi davantage d’allocations familiales. Qu’ils sont moins qualifiés, payant par conséquent moins d’impôts et de taxes, lesquels sont souvent proportionnels aux revenus. Mais cette vision individuelle n'est pas conforme à ce que rapporte l’ensemble de la population immigrée aux dépenses publiques. »
Dépenses publiques
Les dépenses publiques comprennent les dépenses de l’État appelées dépenses budgétaires, mais aussi les dépenses des collectivités territoriales et des organismes de Sécurité sociale. Elles sont financées par les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) et par l’endettement.
Pour expliquer cet équilibre entre dépenses et contributions, les économistes s’appuient, généralement, sur deux types de dépenses pour calculer l’impact budgétaire de l’immigration : les dépenses et recettes individualisées d'une part. Les dépenses de biens publics d'autre part.
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En France, mais aussi dans les pays de l’OCDE, les études montrent qu’un immigré contribue de manière moins importante qu’un natif. Mais ce qui est central, c’est que sa participation aux finances publiques dépend de deux critères : son âge et son niveau de qualification.
Une population immigrée majoritairement active
Globalement, c’est lorsque l’on est actif que l’on contribue le plus aux finances publiques. A contrario, les jeunes représentent un coût important (éducation, santé) pour les finances publiques, sans encore verser d’impôts ou de taxes. Les seniors, qui certes contribuent, nécessitent plus de dépenses de la part de l’État (pensions de retraite, santé, etc.) par rapport à ce qu’ils versent.
C’est là que les différences des structures d’âge entre la population native et la population immigrée sont importantes : « La population immigrée se concentre sur les tranches 20-60 ans, donc celles qui rapportent aux finances publiques », nous indique Lionel Ragot. « Il y a très peu de très jeunes immigrés, par définition. Et au-delà de 60 ans, un certain nombre d’entre eux repartent dans leur pays d’origine. Ils pèsent donc moins sur les finances publiques – même s’ils continuent de percevoir certaines prestations comme les retraites par exemple. »
Du côté de la population native par contre, on trouve davantage de personnes aux âges différents : enfants, jeunes, actifs, seniors…
Répartition par âges de la population native et immigrée en France. Source : « L'impact budgétaire de 30 ans d'immigration en France : une approche comptable », avril 2018, Xavier Chojnicki, Lionel Ragot et Ndeye-Penda Sokhna, CEPII
Population active
Personnes, en âge de travailler, qui occupent un emploi ou qui en recherchent activement un (inscrites au chômage).
Par ailleurs, au sein de la population active, le niveau de qualification joue un rôle important. « Plus on est qualifié, plus on contribue aux finances publiques », résume Lionel Ragot.
En somme, même si en moyenne un immigré contribue moins aux finances publiques qu'un natif, comme la population immigrée se concentre dans les tranches des 20-60 ans – les âges où l’on occupe un emploi plus ou moins qualifié –, les dépenses de l’État pour cette population et les cotisations qu’elle verse s’équilibrent pour aboutir à un impact de l’immigration relativement neutre.
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Mais pour l’OCDE, les États auraient tout à gagner en favorisant davantage l’intégration sur le marché du travail. « Combler l’écart d’emploi entre les immigrés d’âge de forte activité et les nés dans le pays, qui ont le même âge, sexe, et niveau d’études, pourrait accroître la contribution budgétaire nette totale des immigrés de plus d’un tiers de point de PIB dans environ 30 % des pays. »
Une recommandation qui résonne alors que la pandémie a anéanti une grande partie des progrès accomplis ces dix dernières années en matière d’intégration des immigrés, souligne encore l’OCDE. Ce qui fait réagir Ylva Johansson, commissaire aux Affaires intérieures de la Commission européenne, lors de la présentation de l’étude : « Si ces personnes arrêtaient de travailler, l’économie serait à l’arrêt. »
Débats dans les méthodes de calcul
Moins d'immigrés donc moins de dépenses de biens publics ?
Est-ce qu’avec moitié moins d’immigrés en France, l’État dépenserait autant pour la défense ? Dans les études qui calculent l’impact budgétaire de l’immigration, certains économistes prennent en compte le coût des dépenses de type biens publics, soit celles qui touchent toute une population sans affecter individuellement chaque personne. C’est ce que paie un État pour la défense, la diplomatie, la sécurité, etc.
Doit-on prendre en compte ces coûts dans le calcul ? La question fait débat parmi les experts. Dans son étude, l’OCDE propose deux calculs : l’un avec ces dépenses en les distribuant au prorata du nombre d’immigrés, l’autre sans. Cela change quelque peu les conclusions puisque choisir d’intégrer ou non ces coûts, rend l’impact budgétaire légèrement négatif ou faiblement positif.
La question des enfants d’immigrés
Un autre point fait controverse dans le calcul : faut-il prendre en compte la deuxième génération ? « Si l’on reprend la définition de l’Insee d’un immigré, la réponse est négative. Ces individus sont des natifs, car nés en France », répond Lionel Ragot. L’un des arguments pour le faire est de dire que, sans l’immigration de leurs parents, ils ne seraient pas présents.
Ajouter ces jeunes au calcul change complètement la donne puisque les sommes versées par un État pour l’éducation des enfants sont importantes.
Or, souligne l’OCDE dans son étude, les résultats sont biaisés : on ne prend en compte que leur coût lorsqu’ils sont jeunes et considérés comme immigrés. Une fois adultes, lorsque leur contribution aux dépenses publiques devient positive, ils sont assimilés à des natifs.