Dans de nombreux pays, il a été documenté qu’en moyenne les hommes sont plus violents que les femmes, prennent plus de risques et font moins attention à leur santé (en conséquence, ils meurent plus jeunes). Comment expliquer, sans verser dans un biologisme primaire, la persistance de telles différences de comportement entre les sexes ?
Une équipe d’économistes a récemment mis en évidence que les comportements associés aux stéréotypes masculins trouvaient leur origine dans la lutte pour s’accaparer les femmes lorsqu’elles constituaient une « ressource » rare. Les stéréotypes « virilistes » se sont ensuite transmis de génération en génération comme faisant partie intégrante de la culture du groupe alors que le facteur déclencheur avait disparu depuis longtemps1.
Pour aboutir à cette conclusion, nos économistes se sont appuyés sur une expérience naturelle unique dans l’histoire : la déportation par la Grande-Bretagne de très nombreux bagnards vers l’Australie.
Entre 1787 et 1868, la Grande-Bretagne y a déporté 132 308 hommes et (seulement) 24 960 femmes. Ces personnes condamnées (puis ex-condamnées à la fin de leur peine) formaient la majorité de la population coloniale en Australie jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Les migrants volontaires, moins nombreux, étaient aussi principalement des hommes attirés par les opportunités économiques offertes par l’agriculture et l’exploitation minière après la découverte de l’or dans les années 1850. À cause de cette nette prédominance masculine parmi les bannis et les migrants, le rapport du nombre d’hommes à celui des femmes – le « sex ratio – a été fortement biaisé pendant plus d’un siècle en Australie.
Le graphique montre que ce rapport était de 3 hommes pour 1 femme en 1830 et qu’il n’atteint sa valeur d’équilibre (1 pour 1) que vers les années 1920-1930.
Les premiers recensements fiables de la population australienne datent de 1836 et de 1842, respectivement dans les provinces de Nouvelle-Galles du Sud et de Tasmanie.
Les auteurs de l’étude ont donc pu calculer les sex ratios aux dates des recensements – ce qu’ils appellent les « sex ratios historiques » – dans les 34 comtés formant ces deux provinces. Il s’avère que ces sex ratios différent très sensiblement d’un comté à l’autre.
Les auteurs ont alors eu l’idée de regarder si les différences géographiques entre les sex ratios historiques correspondent aujourd’hui à des comportements masculins différents selon les mêmes zones géographiques. La réponse est clairement positive.
Référendum sur le mariage gay
Le graphique, qui résume les calculs des auteurs, donne une idée de l’amplitude du phénomène pour quelques indicateurs significatifs. De nombreuses études en psychologie ont montré que les hommes évitent plus que les femmes les services de santé, ce qui se traduit par des taux de suicide plus élevés parmi eux.
Avec les données dont ils disposent, les auteurs ont pu estimer qu’une augmentation d’une unité du sex ratio historique était associée à une hausse du taux de suicide masculin contemporain de 26 %. Ils ont également estimé qu’une telle augmentation était associée à une hausse contemporaine de 16 % du taux d’agressions sexuelles.
L’« identité » masculine peut aussi se manifester dans les choix professionnels. L’étude montre effectivement qu’une augmentation d’une unité du sex ratio historique correspond à un déplacement d’environ un point de pourcentage de la proportion d’hommes employés dans des professions considérées comme non genrées (par exemple l’immobilier et la vente au détail) ou plutôt féminines (par exemple : enseignant ou réceptionniste) vers des professions à prédominance masculine (comme menuisier ou métallurgiste).
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L’étude met également en relation les résultats du référendum sur l’adoption du mariage homosexuel ayant eu lieu en Australie en 2017. Il apparaît que la part des votes en faveur de ce type de mariage est nettement plus faible dans les zones où les sex ratios historiques étaient les plus élevés. Les auteurs estiment qu’une hausse d’une unité du sex ratio historique est associée à une diminution d’environ 6 % du pourcentage au soutien actuel au mariage homosexuel.
Enfin, l’étude met en évidence que les garçons, mais pas les filles, sont plus victimes de harcèlements scolaires dans les zones affichant les plus hauts niveaux de sex ratios historiques. Une augmentation d’une unité du sex ratio historique est associée à une hausse de 13,7 % des signalements pour harcèlement sur les garçons. Les normes supposées de la masculinité se perpétuent dès le plus jeune âge dans la cour de récréation.
Sources
1. Ralph De Haas, Pauline Grosjean et Victoria Baranov, « Men », VOXEU Columns 2 avril 2020.