Orientation
L'ingénieur en réalité virtuelle, au service d'une technologie qui se démocratise
Ce spécialiste met au point des programmes permettant de recréer numériquement un environnement et invente ses interactions avec l’utilisateur. L’industrie en demande de plus en plus.
Lucile Chevalier
© Getty Images
Le cinéaste américain Morton Heilig était avant-gardiste. En 1962, il crée le Sensorama, l’ancêtre des casques de réalité virtuelle. Le prototype ressemble à une grosse borne d’arcade. Le spectateur s’assoit, insère un jeton dans la fente sur le côté de la machine, et choisit une aventure : balade à moto dans les rues de Brooklyn, vol en hélicoptère, etc.
Il plonge ensuite sa tête dans une niche et regarde les images défiler sur le grand écran. Son siège vibre, les haut-parleurs susurrent dans ses oreilles des sons d’ambiance, une soufflerie envoie une brise sur son visage.
L’expérience est totale. Mais le prototype ne va pas convaincre les investisseurs. Pas encore… Près de 60 ans plus tard, le marché de la réalité virtuelle pèse 18,8 milliards de dollars, soit une hausse de 78,5 % par rapport à 2019, selon le cabinet d’investissements IDC.
18,8 milliards de dollars
Le montant du marché de la réalité virtuelle en 2020
Jusqu’en 2023, il devrait continuer de croître chaque année à un rythme moyen de 77 %. En France, l’Agence pour l’emploi des cadres (Apec) constate depuis 2017 « un boom des embauches de spécialistes en réalité virtuelle au sein des entreprises de services numériques ». Parmi ces spécialistes : l’ingénieur en réalité virtuelle.
Derrière une pomme, tout un programme
Il est l’architecte du monde virtuel et met au point des programmes informatiques qui vont permettre de recréer virtuellement un environnement ou un objet et rendront possibles les interactions entre l’utilisateur et ce nouveau monde.
Par exemple, depuis votre canapé, vous faites vos courses dans le magasin virtuel de Wallmart – la chaîne de magasins s’est associée avec l’agence numérique Mutual Mobile pour créer, en 2017, une application non encore commercialisée proposant une nouvelle expérience d’achat.
Le rayon primeurs dans lequel vous vous baladez est l’œuvre de l’ingénieur en réalité virtuelle. C’est lui qui a créé les codes informatiques pour reconstituer numériquement les stands et leurs contenus. Vous attrapez une pomme et la mettez dans votre panier.
Derrière cette interaction, il y a aussi un programme informatique et l’œuvre de l’ingénieur en réalité virtuelle, qui l’a pensée, conçue et testée.
« Depuis trois ans, nous formons nos étudiants sur le sujet de la réalité virtuelle. Nos ingénieurs de dernière année, spécialisés en informatique, ont droit à des modules plus poussés. La demande est venue des industriels et entreprises du BTP », explique Morgan Saveuse, directeur des études au CESI École d’ingénieurs. Le moteur de croissance de ce marché est en effet moins à chercher du côté de l’industrie du divertissement et des jeux vidéo que dans d’autres secteurs.
L’industrie s’y met aussi
Quand Antoine Bernard a créé en 2016, au sein de la Station F (Paris), l’agence de réalité virtuelle Reality, à son grand étonnement, les demandes sont venues presque exclusivement de l’industrie.
Certains cherchent un moyen original de communiquer sur leur savoir-faire lors de salons internationaux. « Une visite virtuelle d’usine est beaucoup plus parlante que de simples photos dans une plaquette pour montrer aux visiteurs et futurs clients la fiabilité de l’appareil de production », argumente le dirigeant de Reality.
D’autres sont en quête de solutions pour former efficacement et à moindre coût leurs salariés. « Avec la réalité virtuelle, un casque, des manettes et une petite salle suffisent pour qu’un intérimaire ou un opérateur apprenne seul et en conditions réelles les gestes de sécurité ou le maniement d’une nouvelle machine », ajoute-t-il. En phase de conception, la réalité virtuelle a là encore un grand intérêt.
« Reproduire virtuellement un produit permet de détecter les failles et de le tester sans avoir recours aux traditionnels prototypes physiques. Il y a 20 ou 30 ans, de gros industriels y avaient déjà recours. Toutefois, à l’époque, cela coûtait très cher, une centaine de milliers d’euros. La baisse du coût des équipements [divisé par trois, NDLR] a démocratisé la réalité virtuelle », analyse David Baudry, responsable de l’équipe de recherche Ingénierie & Outils numériques au CESI.
Cela devrait continuer. « La crise sanitaire crée de nouveaux besoins, d’autres usages, comme celui du bureau virtuel avec le développement du télétravail », observe Morgan Saveuse du CESI ingénieurs.
Quelle(s) formation(s) ?
Le diplôme d’ingénieur suffit pour se faire ouvrir les portes du métier. Les ingénieurs spécialisés en informatique sont privilégiés. Il existe aussi de nombreux masters dédiés dont les plus prisés sont ceux de Réalité virtuelle et systèmes intelligents, à l’université Paris-Saclay, et Management des technologies interactives 3D, aux Arts et Métiers ParisTech.
En région, l’université de Strasbourg, dans son master Ingénierie, propose une spécialisation Informatique, image, réalité virtuelle, interactions et jeux et les Arts et Métiers, à Laval, un master Management des technologies interactives 3D.
De la science-fiction pas si fictive
Ces GAFAM… Toujours à se mesurer les uns aux autres ! Quand Raymond Kurzweil, directeur de l’ingénierie de Google, promet pour 2045 la numérisation du cerveau et donc l’immortalité, Amazon Prime Video produit une série de science-fiction se déroulant en 2033 et imaginant un « paradis connecté ».
Upload, réalisé par Greg Daniels – à qui on doit les séries The Office et Parks and Recreation – nous plonge dans un futur où la mort n’est en rien une fatalité.
Il est possible, presque banal, de télécharger sa conscience dans un monde virtuel, aussi vrai que nature, et de vivre ainsi éternellement.
Science-fiction irréaliste ? Pas si sûr. Car certaines des technologies présentées dans la série existent déjà.
Facebook, avec Codec Avatars, crée ainsi des avatars virtuels très réalistes. Le dispositif repose sur deux studios de capture – l’un pour le visage, l’autre pour le corps – et une grande quantité de caméras.
La start-up britannique Teslasuit a créé une combinaison haptique : 92 balises électriques réparties du torse aux jambes, envoient des petites décharges électriques indolores.
L’assemblage de plusieurs électrostimulations à un rythme précis permet de simuler le choc d’une collision ou encore de donner l’impression de sentir l’eau virtuelle caresser sa peau.
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