Economie
Maxime Combes : « Si j’étais président… je conditionnerais les aides publiques aux entreprises »
S'il était président de la République le temps d’une journée, Maxime Combes, économiste, membre de l’Observatoire des multinationales, conditionnerait les aides publiques des entreprises à plusieurs objectifs, notamment d’emplois et de respect de l’environnement.
Maxime Combes, (propos recueillis par Cathy Dogon)
© sarah alcalay/pool/REA
Maxime Combes est économiste, membre de l’Observatoire des multinationales. Depuis la politique du Quoi qu’il en coûte, il recense les aides publiques versées aux entreprises à travers la campagne de signalements Allô Bercy sur Twitter. D’après lui, cette intervention de l’Etat ne poserait pas de problème si elle était conditionnée à plusieurs objectifs, notamment d’emplois et de respect de l’environnement.
240 milliards d'euros. C'est le montant d'aides publiques attribuées aux entreprises pendant la pandémie. Il est utilisé par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances en cette rentrée 2021 et se décomposerait comme suit : 35 milliards pour le Fonds de solidarité ; autant pour l'activité partielle ; 10 milliards d'exonérations de charges, soit 85 milliards d'euros de subventions, 685 000 prêts garantis par l'État (PGE) pour 139,3 milliards d'euros, et 20 milliards d'euros qui seraient liés à d'autres formes de prêt).
Comme on a entendu parler de « maquis » d’aides sociales en France, on peut parler d’un « maquis » des aides publiques aux entreprises. Sauf qu’il y a un écart notable en termes de devoirs entre les deux types de bénéficiaires.
Éco-mots
Prêt garanti par l'État (PGE)
Possibilité pour les entreprises de s'endetter avec la caution bancaire du gouvernement, et de commencer à rembourser un an après avoir souscrit. Le prêt peut s'élever à trois mois du chiffre d'affaires 2019 ou deux années de masse salariale. Le chef d'entreprise peut décider de rembourser immédiatement son prêt, de l'amortir sur 1 à 5 ans supplémentaires (4 ans maximum en cas de décalage d’un an supplémentaire de l’amortissement du capital), ou de mixer les deux.
Quand vous êtes chômeur et que vous acceptez votre plan d’aide de retour à l’emploi, vous vous engagez de manière écrite et signée à faire une recherche active d’emploi et de mettre sur le site de Pôle emploi un CV, etc. Il y a des contrôles. Vous êtes invité chaque mois à dire où vous en êtes de votre activité.
Pour les entreprises, ce n’est pas du tout le cas. Y compris sur les PGE en 2020 et 2021, une des aides qui a été la plus encadrée, les entreprises ne sont pas tenues d'envoyer régulièrement ni l'état de leur compte ni l'évolution de leur business model. Ce n’est pas prévu, alors que cette aide aurait pu être conditionnée.
La conditionnalité est mettre en place des objectifs de moyens et de résultats pour accéder à la subvention. Un objectif de moyens peut s’opérer tout de suite, via un contrat d’objectifs et de moyens (COM) dont les pouvoirs publics et les collectivités ont l’habitude. Il peut concerner l'efficacité du service ou du produit proposé, mais aussi son empreinte environnementale ou ses incidences sociales. Si l'objectif n'est pas rempli, l'organisme public peut demander le remboursement des aides. Mais ça ne s’est encore jamais vu.
Transformer notre modèle économie
En période post-Covid, mettre en place une telle conditionnalité prendrait tout son sens. Pour nous, tout l’enjeu consiste à se servir de ce moment de crise grave pour transformer notre modèle économique. Mais en 2020, Bruno Le Maire a répété à plusieurs reprises que l’enjeu pour la France était de sauver l’appareil productif tel qu’il existe. Que le jour d’après, l’appareil productif français soit le plus proche possible de celui du jour d’avant.
Dans ce sens là, effectivement, vous sortez tout l’argent disponible pour simplement faire en sorte qu'au lendemain de la crise Air France soit en mesure de faire autant de vols que la veille. A-t-on réellement envie qu'Air France continue sur sa lancée ?
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Il aurait par exemple été possible d’élaborer un modèle sur une base 100 des vols insoutenables sur le plan écologique opérés en 2019, et passer à 0 en 2030 (Air France a accepté de supprimer quelques lignes aériennes, mais les aides ne sont globalement pas conditionnées).
Ce type de contrats pourrait se faire au cas par cas, ou dans le cadre d’une politique publique plus générale.
Le débat sur la conditionnalité n’est pas un débat sur la sortie ou non du capitalisme, c’est un débat sur sa transformation. C'est très « social-démocrate » comme approche.Maxime Combes,
économiste.
On pourrait conditionner l’ensemble des marchés publics. Prenons l’exemple des dispositifs de recherche : l’État pourrait attribuer le crédit impôt recherche tel qu'il existe aujourd’hui, mais le circonscrire à tels ou tels types d’innovation et assumer de ne pas couvrir l’ensemble des recherches.
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Crédit impôt-recherche (CIR)
Déduction de charge, basée sur l'impôt sur les sociétés, pour les entreprises cherchant à innover ou améliorer leur compétitivité. Le crédit impôt recherche s'élève à 30 % des dépenses de recherche inférieures ou égales à 100 millions d’euros (ou 50 % dans les départements d'outre-mer et en Corse pour les dépenses engagées au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2019). Pour les dépenses au-delà de 100 millions d’euros, il est égal à 5 %.
Ce serait de vraies politiques d’innovation, de recherche et développement, d’investissement pour ces grandes entreprises.
Pourquoi pas, aussi, un soutien massif à l’économie sociale et solidaire (ESS) dans cette perspective de transformer notre modèle économique, ce serait une réponse adaptée aux défis de notre temps. L'ESS représente 10 % du PIB français. On aurait très bien pu décider de dédier non pas 10 % mais 20 % des 150 milliards d’euros du plan de relance pour promouvoir ce mode de gouvernance.
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Économie sociale et solidaire
Ensemble des activités économiques dont l'objectif principal n'est pas de réaliser du profit mais la réalisation d'un objectif commun. Elles s'exercent sous forme de coopératives, d'associations ou encore de mutuelles. L'ESS représentait 10 % du PIB français et 14 % des emplois privés en 2020 (200 000 entreprises et structures et 2,38 millions de salariés)
Ces propositions ne sont pas révolutionnaires. Bercy pourrait dire : « Notre enjeu est de sauvegarder l’emploi. On vous donne beaucoup d’argent pour que ces emplois restent au sein de votre entreprise, vous les gardez jusqu’à 2035, mais en contrepartie vous transformez votre appareil productif tel qu’il est en 2021 avec tels objectifs. Si vous refusez, il n’y a pas d’aides publiques.
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Cette politique interventionniste ne questionne finalement que très peu le droit de propriété et le droit de décider ou d’organiser son modèle économique en tant qu’entreprise. Mais le service public intervient avec un objectif de politiques environnementale et d’emplois d’ici à 2035.
C’était normalement le travail de Français Bayrou et de son Haut commissariat au plan. Il aurait dû proposer plus précisément un objectif pour l’économie française d’ici 2025, 2030, 2035 : nous dépendons aujourd’hui de l’industrie du luxe, de l’exportation de l’aviation, de train, de métros, etc. Aurons-nous besoin de cette économie en 2025 ? N’a-t-on pas besoin de métiers du care ?
Le débat sur la conditionnalité n’est pas un débat sur la sortie ou non du capitalisme, c’est un débat sur sa transformation. C'est très « social-démocrate » comme approche. En tant qu'économiste venant plutôt des cercles hétérodoxes, en période d’effondrement de l’économie (volontaire comme avec le confinement ou pas), je sais qu'il y a besoin de politique contracyclique pour remédier aux effets les plus néfastes sur l'emploi, la précarité, le chômage, etc. La question est : quelle politique contracyclique de soutien ?
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Politique budgétaire contracyclique
Intervention de l'État pour relancer la croissance économique puis profiter de l'amélioration pour rétablir son budget à l'équilibre.
Aides publiques et dividendes
Il n'est pas aberrant de verser des aides publiques aux entreprises, mais ne pas les conditionner est problématique. Sans doute, pendant le Covid, une grande partie de ces aides étaient justifiées – celles de votre restaurateur, de votre coiffeur...
Mais les entreprises du CAC 40 ont toutes touché une forme d'aide publique liée à la pandémie : chômage partiel, baisse de l'impôt de production, plan sectoriel de relance, du soutien direct de la BCE sur les marchés financiers. Au regard des aides publiques versées, on peut se demander si elles n’ont pas servi à maintenir la rémunération des actionnaires et des dirigants du CAC 40 – plus de 80% des entreprises du CAC 40 qui ont eu recours au chômage partiel ont versé un dividende en 2021.
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Quelques dirigeants annonçaient en 2020 une réduction de 20 % de leur rémunération. Elle s’est souvent opérée... sur un mois seulement, et uniquement sur la partie fixe, pas sur la part variable. Le PDG de Kering, François-Henri Pinault, a perçu plus pendant la crise en 2020 qu’en 2019 : +15,2 % selon nos calculs.
Certaines multinationales nous ont répondu avoir bénéficié de très peu. Le problème est qu’il existe une absence de transparence sur les aides publiques. Il faut que les pouvoirs publics – Bercy et le ministère du Travail – disent combien et pourquoi ils versent aux entreprises, qu'ils rendent publiques les données. Il n’est aujourd’hui pas possible d’opérer un contrôle démocratique : ni les parlementaires ni les experts ne peuvent dire à quoi a servi cet argent.
Pour plus de transparence
Pour travailler, l’Observatoire des multinationales s’est basé sur les rapports d’activités fournis par les multinationales pour leurs assemblées générales : entre 200 et 400 pages, dans lesquelles les économistes recherchent les tableaux pour constituer nos bases de données. C’est un travail gigantesque, accompli avec de tout petits moyens.
En ce qui concerne l’attribution du chômage partiel, nous avons épluché des centaines d’articles de presse locale. Il y a peu d'informations par exemple sur Bouygues et le chômage partiel, mais le journal local a écrit sur la filiale en Paca. C’est comme ça que nous avons remonté les informations.
Pendant le premier confinement, les journalistes me rétorquaient que le gouvernement cherchait à sauver l’économie avec le « Quoi qu’il en coûte », qu’il était courageux. Je leur répondais : « Regardons où va l’argent. » Dans les pays anglo-saxons, il y a cette tradition du « Follow the money ». Les journalistes notamment retracent le parcours des aides publiques. En France, beaucoup moins.
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