“Depuis que le prix de notre eau a explosé, je ne me lave plus et ne bois plus de pastis !” Philippe Machetel, le maire de Saint-Guilhem-le-Désert a beau ironiser, il est décontenancé. Depuis 2015, la gestion de cette ressource vitale n’est plus du ressort des municipalités, mais de l’intercommunalité, l’échelon supérieur regroupant plusieurs communes. Un transfert de compétence imposé par l’application de la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe). Ce nouvel épisode de concentration des pouvoirs a conduit, ici, à multiplier le prix de l’eau par 2,7 pour ces 265 habitants.

Pourtant, jusqu’en 2018, les résidents exploitaient une source à proximité. Des eaux souterraines jaillissent à la surface, formant le Verdus, une petite rivière traversant la commune. Utilisée pour son rôle naturel premier - hydrater la faune et la flore avoisinantes - elle a permis, après assainissement, d’abreuver la population. Et ce, sans forage et donc à moindre coût. Mais la loi NOTRe a réorganisé le circuit de l’eau pour toute la communauté de communes.
Le petit village de l’Hérault a vu la gestion technique et l'assainissement de l'eau se déporter 20km plus loin. Les coûts en développement des infrastructures et en maintenance se sont rajouté au prix de l’eau, désormais homogénéisé sur toute l’intercommunalité.
Is big really beautiful ?
Depuis les années 2010, plusieurs réformes territoriales se sont enchaînées, portées par la conviction du “big is beautiful” (“plus c’est gros, plus c’est beau). Si, en théorie, rassembler des villes, des territoires, des départements ou des régions, peut permettre de mutualiser des coûts, la réalité est souvent différente.
“L’Etat a créé des intercommunalités [en 1992, ndlr], sans avoir vraiment optimiser la complémentarité entre les territoires”, commente Gérard-François Dumont, économiste et démographe, directeur de la revue Populations et avenir. “Les périmètres administratifs sont rigides et se substituent aux souplesses préexistantes”. Ils interdisent les arbitrages au cas par cas, même quand les systèmes ont prouvé leur efficacité, comme la gestion de l’eau à Saint-Guilhem-le-Désert.
Région, département, intercommunalité, commune...
Quels pouvoirs ?
Exemple de répartition des compétences avec la ville de Clamart, dans les Hauts-de-Seine.

La loi NOTRe a toutefois épargné une des compétences des maires : l’enseignement primaire. “La commune met à disposition les locaux et organise l’accueil périscolaire”, raconte Denis Bertholom, maire de Larmor-Baden (Morbihan). Mais symbole du millefeuille administratif français, c’est l’Académie de Rennes qui rémunère les enseignants. Quand l’institution a annoncé retirer le dernier professeur de la commune en juin 2015, le maire a assisté, impuissant, à la fermeture de la grille. “Pourtant, on a les moyens de payer son salaire. Ça vaudrait le coup économiquement pour l’attractivité de notre commune” assure l’édile.
Les élèves larmoriens étudient désormais dans une commune 5km plus loin. Depuis avec ses 54% de maisons secondaires et ses 887 habitants - une population vieillissante - la commune côtière se meurt peu à peu. “Quand il faut aller faire quelques courses, les parents font ça près de l’école, là-bas”, s’émeut le maire. Même la Poste et le dernier distributeur à billets ont failli disparaître. Par chance, une école privée accueille 40 à 50 élèves dans le bourg. “Mais on n’a aucun moyen de développer ces initiatives. On n’a pas le droit de subventionner les écoles privées. Notre seul pouvoir a été de mettre à disposition des tables, une salle pour la cantine ou les spectacles”.
Il faudrait agir exactement à l’inverse avec des lois inspirées de celles du XIXe siècle qui édictent de grands principes, et ensuite laisser les maires mettre en oeuvre leur politique en fonction des réalités locales.
Gérard-François DumontÉconomiste et démographe, directeur de la revue Populations et avenir.
Pour lutter contre cet enclavement, et afin d'inciter les entreprises à s’installer sur leur territoire, il restait quelques leviers aux communes, dont la subvention, à condition que la région participe en amont ou que l’Etat donne son accord directement. Mais la loi NOTRe a rebattu ces cartes-là. La compétence du développement économique a été renforcée en faveur des régions. Les maires n’ont plus que l’immobilier comme argument pour attirer les entrepreneurs : ils peuvent mettre à disposition des locaux pour usage professionnel en échange d’un très faible loyer.
Vers une prise de conscience nationale ?
Avec ce ping-pong entre niveaux territoriaux, les maires ont-ils été dépossédé de l’administration de leur propre commune ?
“Nos gouvernements successifs ont considéré que la compétitivité de la France dans le monde ne passait que par les métropoles et que le reste des territoires n’étaient pas capables d’innover”, constate Gérard-François Dumont. “Il faudrait agir exactement à l’inverse avec des lois inspirées de celles du XIXe siècle qui édictent de grands principes, et ensuite laisser les maires mettre en oeuvre leur politique en fonction des réalités locales.”
La représentation nationale semble toutefois prendre conscience de ces dysfonctionnements. Les députés assouplissent régulièrement la loi NOTRe. Une modification a même concerné le maire héraultais.
Après une campagne de lobbying, Philippe Machetel et ses comparses sont parvenus, en décembre, à obtenir la rétrocession de la compétence de l’eau à la commune, à condition que les communes voisines acceptent. De quoi trinquer à son troisième mandat au lendemain des élections municipales ? Saint-Guilhem-le-Désert pourrait à nouveau jouir du Verdus, mais le décret d'application laisse planer un doute quant à la possibilité pour la commune de retrouver l'ancien prix de son eau.
Crédit photo : ©HAMILTON/REA