- Accueil
- Politique économique
- Croissance
Opinion. La relance économique a surtout besoin de nouvelles idées
Politique économique
Opinion. La relance économique a surtout besoin de nouvelles idées
A-t-on vraiment besoin de croissance économique pour aller bien ? Pour la professeure de gestion Helen Etchanchu, le PIB et la croissance matérielle ne contribuent plus dans les pays développés à notre bien-être psychologique et social.
Helen Etchanchu, Professeure associé à Montpellier Business School.
© Simon LAMBERT/HAYTHAM-REA
Pourquoi elle ?
Dr Helen ETCHANCHU est Professeure associé, co-titulaire de la chaire COAST (Communication and organizing for sustainability transformation) et directrice du centre IMPACTS (Inclusive Managment, Prosperity And Collective Transformations for Sustainability), à Montpellier Business School.
Ses recherches explorent le pouvoir du langage et du sens dans la transformation durable de nos sociétés. Elle est co-autrice de l’ouvrage « Vers une autre gestion » de la série « Les petits manuels de la grande transition » chez Les Liens qui Libèrent.
Cette tribune est publiée dans le cadre de notre partenariat avec les Rencontres du Développement Durable.
À mi-chemin des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies et l’agenda 2030 en France, les résultats de l’ODD 8 (Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous) ne sont pas satisfaisants.
Sans surprise, le rapport 2022 des ODD souligne que le rebond de l’économie est mis à mal par de nouvelles vagues Covid, la guerre en Ukraine, l’instabilité politique, l’inflation, la crise de l’énergie, des chaînes logistiques interrompues…
À lire aussi > « Pour la planification écologique, nous avons déjà une boussole : les Objectifs du Développement Durable »
Éco-mots
Objectifs de développement durable (ODD)
Définissent 17 priorités pour un développement socialement équitable, sûr d’un point de vue environnemental, économiquement prospère, inclusif et prévisible à horizon 2030. On peut y trouver l’éradication de la pauvreté, la lutte contre la faim, l’accès à l’eau salubre… Le numéro 8 s'intitule « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ».
En 2022, le taux de chômage en France est de 7,4% en moyenne et les femmes gagnent 21% moins que les hommes. Le rapport note également que « La proportion de jeunes non scolarisés et sans emploi ni formation a atteint son niveau le plus élevé depuis 2005 (et par ailleurs) près d’un enfant sur 10 dans le monde travaille ».
La moitié la plus pauvre de la population mondiale se partagent 7% de la valeur économique mondiale quand 1% des plus riches s’en arrogent 20%. Et ces inégalités continuent de se creuser.
Il est urgent d’investir dans la santé, l’éducation, de transformer nos systèmes agricoles et énergétiques pour réduire nos émissions de CO². Mais on n’arrivera pas à atteindre ces objectifs de l’agenda 2030 tant qu’on continuera de se focaliser sur des indicateurs économiques qui ne sont pas en adéquation avec les enjeux, à savoir la croissance économique, mesurée par le PIB, ainsi que la productivité de l’emploi.
Rappelons à toute fin utile que le PIB ne mesure que la valeur monétaire des produits et services. Un PIB qui augmente peut contribuer ainsi directement à la destruction de la planète et aux inégalités : raser une forêt, vider les océans, brûler du charbon : autant d’activités en contradiction avec les ODD qui sont bénéfiques au PIB. De même, l’indicateur de productivité de l’emploi se trouve régulièrement en concurrence frontale avec l’objectif de plein emploi.
Vers une prospérité écologique et inclusive
Aujourd‘hui le lien entre croissance économique et travail décent semble si évident qu’il est devenu une croyance universelle qui dicte notre comportement économique.
Les sciences sociales ont démontré que les étudiants en école de commerce, ont, dans leur travail, un comportement en phase avec les théories économiques précisément car ils s’attendent à ce que les autres se comportent également de la sorte.
Des études ont démontré qu’il en est exactement de même pour les marchés financiers : si les autorités monétaires font part de leurs incertitudes, le marché baisse.
Ce sont donc surtout nos croyances et attentes qui dictent notre comportement économique et non pas des lois naturelles. L’idée acceptée de manière quasi-universelle aujourd’hui selon laquelle la croissance économique mesuré par le PIB est nécessaire pour soigner les maux de notre société n’est rien d’autre que cela : une idée.
Et qui plus est, il s’avère aujourd’hui que c’est une fausse bonne idée. Elle est du moins bien trop simpliste. Certains économistes, comme Tim Jackson ou Kate Raworth, proposent de la remplacer par une vision plus globale de l’économie, celle de la prospérité.
Éco-mots
Théorie du Donut
Modèle économique et cadre visuel pour la durabilité de l'économie — présenté sous forme de beignet — combinant le concept de limites planétaires avec celui, complémentaire, de frontières sociales, développé par l'économiste Kate Raworth.
Rappelons que contrairement aux autres ODD comme la santé ou la lutte contre la faim dans le monde, la croissance économique n’est pas un objectif ou une fin en soi, mais un préalable pour atteindre l’emploi et la prospérité. Le véritable objectif est bien la prospérité et le travail décent. Heureusement pour nous il y a plein de moyens de prospérer.
Si l’on veut atteindre les ODD, on a besoin d’un réel changement de paradigme, à la fois sur nos modèles d’organisation et sur nos croyances et manières de communiquer sur l’économie et le développement durable.
Nous n’avons plus de temps et d'argent à perdre dans des efforts qui ne traitent les problèmes qu’à la marge. Nous devons changer radicalement nos systèmes socio-économiques et nos visions du monde pour remettre en question les pratiques qui nous ont amenés sur cette voie non durable.
Tant que nos modèles d’affaires continuent à encourager les gens à consommer plus pour avoir des tarifs préférentiels, nous ne verrons aucun progrès significatif. Au contraire, les plus avancés inventent déjà les modèles d’affaires de demain, qui créent de la valeur en aidant les gens à consommer moins et mieux.
Le point-clé à retenir, c’est que le PIB et la croissance matérielle ne contribuent pas à notre bien-être psychologique et social. Le concept de prospérité serait, lui, davantage en lien avec ces aspects. La prospérité est une vision d’espoir (Pro (pour) spérité (speres = espoir et attentes)) d’une économie qui sait subvenir aux besoins humains, matériels comme immatériels, dans le respect des limites planétaires.
En France, le PIB et la croissance matérielle ne contribuent pas à notre bien-être psychologique et social.Helen ETCHANCHU
Professeure associé à Montpellier Business School.
Selon cette vision élargie de l’économie il ne faut pas prendre en compte uniquement la valeur monétaire des biens et des services mais également l’utilité et la contribution au bonheur des gens, ce que les économistes appelleraient l’utilité marginale.
Il faut donc se demander si la croissance économique améliore le bonheur des gens. Et la réponse est « non » dans les pays développés où l’utilité marginale de chaque euro gagné au-delà du salaire moyen diminue.
Éco-mots
Utilité marginale
Désigne l'utilité qu'un agent économique tire de la consommation d'une quantité supplémentaire d'un bien. L'utilité marginale décroît marginalement : cela signifie qu'il arrive un moment où une unité supplémentaire de consommation d'un bien apporte moins d'utilité ou de plaisir que la consommation de l'unité précédente. Par exemple, un individu assoiffé tirera une grande utilité marginale en buvant son premier verre d'eau, puis celle-ci diminuera nécessairement verre après verre.
La réponse est « oui », dans des pays où les gens souffrent largement d’insuffisances matérielles comme le logement, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’énergie. Bien entendu, il y a de la vraie pauvreté aussi en France. C’est pourquoi les solutions ne peuvent pas être universelles.
La science de la psychologie positive étudie ce qui rend les gens heureux et montre que ce sont avant tout nos relations sociales. Le fait de consommer des biens active notre cercle de récompense mais celle-ci n’est que de courte durée. Et les plus heureux sur le long-terme sont bien ceux qui ont de bonnes relations sociales.
En outre, la psychologie humaine a besoin de sens et d’un but. Les managers et particulièrement les jeunes vivent ce manque de sens aujourd’hui. C’est pourquoi ils s’orientent vers des métiers qu’ils estiment plus utile à la société.
Le concept de prospérité combat non seulement la pauvreté matérielle mais également la pauvreté de sens. Les enjeux socio-écologiques majeurs du 21ème siècle nous poussent à nous interroger sur nos convictions profondes afin d’amorcer un changement radical.
Un débat au programme des RDD
« Au sein de la chaire COAST et plus récemment avec le centre de recherche IMPACTS, nous explorons cette nouvelle vision autour de la prospérité dans le monde du management. Dans le cadre des RDD, nous aurons une journée entière de débat dédié à ce concept autour du thème « repenser pour prospérer » le 21 octobre à Montpellier Business School. »