L’essentiel
- Le Parlement a voté une augmentation de 353 millions d’euros du budget consacré à l’Outre-Mer en 2023
- Une augmentation bienvenue à Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire particulièrement touché par le sentiment de déclassement
- En réalité, l’État fournit un certain effort financier pour la collectivité, mais générant parfois des effets pervers
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Août 2021. Le jeune métropolitain Joris Le Gal a rejoint le club de football de l’AS Miquelon, afin d’y disputer le championnat local. Lors d’une action a priori anodine, le joueur se blesse, heureusement sans gravité.
Mais avant de retrouver les terrains, le jeune homme doit suivre une séance de kiné. Problème : l’archipel ne compte que deux centres médicaux, tous les deux basés à Saint-Pierre, l’autre versant de l’île. Si Joris souhaite se voir prodiguer des soins, il doit emprunter la voie maritime, ce qui lui prendra une journée complète. « Avec deux cailloux distincts impossible de faire autrement », confie le footballeur.
Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire oublié ?
Le son de cloche ne diffère pas chez les locaux. Justine, 25 ans, est née à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour elle, les insulaires sont « souvent oubliés ». Le secteur médical reste au cœur de ses préoccupations. « Même si on est bien équipés en termes de médecins généralistes, c’est plus compliqué pour les spécialistes, qui ne viennent que pour des missions courtes. Le pire étant en hiver. Là, dès lors qu’un accident grave arrive les choses deviennent assez complexes. » Pour cause, les routes sont selon la jeune femme, « impraticables et nécessitant de très nombreuses rénovations ». Une autre défaillance des services publics.
Autre problème, Saint-Pierre-et-Miquelon est particulièrement isolé dans l’Océan Atlantique. Cela se ressent alors pour le transport des marchandises acheminées et produites depuis l’Europe. Ainsi pendant la crise sanitaire, le site internet de La Première (antenne ultramarine de France Télévisions ndlr) relevait qu’un pack de 12 yaourts nature, coûtant 1,25 euro en métropole, revenait à 17,99 euros sur l’île.
Depuis le soufflet est retombé, mais Joris confie « avoir vu des prix bien plus élevés qu’en métropole ». Délégué général de la Fédération des Entreprises d’Outre-Mer (FEDOM), Laurent Renouf confirme que “les territoires ultramarins possèdent des micromarchés, indépendants de ceux de la métropole, avec des phénomènes de surcoûts assez importants”.
Dans un tel contexte, la manne financière votée par le Parlement qui prévoit une augmentation de 353 millions d’euros pour le budget consacré aux territoires ultramarins peut apparaître comme salutaire, avec notamment une hausse de 10 millions prévus pour financer « l’ingénierie nécessaire à la réalisation de leurs projets structurants ». Une décision s’inscrivant dans le cadre de la poursuite des « politiques de rattrapage », selon Laurent Renouf, pour qui une « économie administrée » demeure une réalité dans les DROM-COM.
Devenir « pêcheur ou fonctionnaire »
Les problématiques liées aux services publics ne doivent pourtant pas cacher un certain investissement de l’État dans ce territoire ultramarin. En badinant quelque peu, Joris affirme « qu’ici les locaux ont deux choix : devenir pêcheur ou fonctionnaire. » Pour cause, selon le rapport d’activité IEDOM en 2019, sur les 4 338 actifs de l’île, 1 560 étaient fonctionnaires soit 35 % de fonctionnaires. En métropole, ils ne représentent "que" 20 % de la population.
Une suremployabilité des fonctionnaires à laquelle s’ajoutent des traitements plus favorables. En effet, les agents de Saint Pierre-et-Miquelon déclarent gagner environ 38 000 euros annuels, soit près de 3 000 euros de plus qu’en métropole. De plus, les fonctionnaires mutés sur l’île recevront une augmentation de 40 % sur leur brut indiciaire. Une surrémunération régulièrement pointée du doigt par la Cour des comptes pour son coût pour les finances publiques mais qui permet de maintenir l’attractivité de l’île et d’y encourager les mutations.
Pour Laurent Renouf, ces hausses s’expliquent aussi par la situation géographique particulièrement isolée de Saint Pierre-et-Miquelon, qui entraîne un prix de la vie particulièrement cher. Le délégué général de la FEDOM donne comme exemple le prix des billets d’avion, atteignant « 1 500 voire 1 600 euros » depuis Paris.
Mais les fonctionnaires ne sont pas les seuls bénéficiaires de ces augmentations. Dans un rapport paru en 2020, la Chambre régionale des comptes de Saint-Pierre-et-Miquelon estimait à 109 millions d’euros le montant de l’effort budgétaire en autorisations d’engagement, consenti par l’État à la collectivité.
Mais « si l’augmentation du budget des Outre-mers bénéficiera en partie aux politiques publiques, la majorité des fonds seront alloués au dispositif LODEOM, visant à réduire le coût du travail dans les secteurs productifs outre-mer, » détaille Laurent Renouf. Comme quoi, de la métropole à l’Outremer, c’est la même politique de l’offre qui s’applique !