- L’équité (respect des priorités) : aucun élève ne doit avoir « d’envie justifiée » (justified envy), c’est-à-dire s’être vu refuser l’admission dans une école alors qu’il accorde à celle-ci une priorité plus élevée qu’un autre élève admis dans cette école ;
- La non-manipulabilité (strategy-proofness) : on veut qu’il soit dans l’intérêt de l’élève d’être sincère, c’est-à-dire de soumettre ses vraies préférences plutôt que de proposer une école où il aurait plus de chance d’être admis.
Problème : ces trois critères ne sont pas compatibles. Il faut donc trouver une solution optimale.
L’algorithme des mariages stables
L’algorithme retenu pour Parcoursup est celui des mariages stables, mis au point en 1962 par les économistes et mathématiciens David Gale et Lloyd Shapley, à l’origine pour modéliser le marché matrimonial et s’assurer des meilleurs mariages possibles. Un blockbuster de l’éducation, affirme Julien Grenet : « C’est le plus utilisé sur les marchés scolaires ».
« En tant que professeur d’informatique, je vous le dis : on ne peut pas faire mieux, ajoute Gilles Roussel, président de l’université Gustave Eiffel et nouvellement nommé directeur du Comité Éthique et Scientifique de Parcoursup (dont faisait partie Julien Grenet avant d’en démissionner en 2019). C’est celui qui permet d’avoir les meilleures associations entre les demandes des étudiants, les classements des formations et les disponibilités de places. »
Le casse-tête de la hiérarchisation
Si l’algorithme est fiable, alors pourquoi le même fiasco chaque année ? Le principal problème pointé : l’absence de hiérarchisation des formations par les élèves, cette absence de choix étant imposée par le ministère de l’éducation supérieure. L’intention était louable : pour les élèves, il peut être difficile de faire un choix définitif lors de l’envoi de ses vœux. Au gré des rencontres, voire des résultats au bac, leurs désirs de formations s’affinent.
Mais cette autorisation à ne pas choisir tout de suite a eu des effets pervers. « It cannot work » (ça ne peut pas marcher) aurait tout bonnement dit Alvin Roth, récipiendaire du prix Nobel d’économie avec Lloyd Shapley pour ses travaux sur les allocations stables. Car sans hiérarchisation, les affectations ne se font plus de manière immédiate : il faut attendre qu’un élève ayant reçu une proposition la refuse avant de remettre en jeu cette place et l’attribuer à un autre élève.
À chaque étape, cela prend du temps. Beaucoup de temps. « La phase complémentaire dure jusqu’à mi-septembre », insiste Pauline Lebaron, responsable des questions universitaires à l’UNEF.
Une attente terriblement anxiogène pour les étudiants qui, parfois, ne pouvant ou ne voulant pas attendre, choisissent d’accepter une proposition moins bonne que celles qu’ils auraient pu recevoir au terme du processus. « Certains doivent trouver un logement, d’autres ne supportent tout simplement pas, psychologiquement, d’attendre », regrette Julien Grenet. Une critique qu’accepte aisément Gilles Roussel. Le comité a, par le passé, recommandé la hiérarchisation et compte se replonger dans le sujet : « Ce délai et cette anxiété posent un vrai problème ».
Le modèle allemand
À l’anxiété s’ajoute « la violence symbolique » du système, explique Julien Grenet, dans une critique reprise par Gilles Roussel et Pauline Lebaron. « Dès les premiers jours de Parcoursup, les étudiants qui ont de très bons résultats reçoivent des propositions de toutes les formations qu’ils ont demandées. Ils savent où ils seront l’année suivante et peuvent préparer le bac sereinement. Pour ceux qui ont de moins bons dossiers scolaires, il peut y avoir zéro proposition. Même s’ils savent qu’ils en recevront probablement, ils doivent attendre. Ils sont dans une situation très stigmatisante par rapport à leurs camarades et préparent le bac dans le stress. »
Utilisée jusqu’à l’installation de Parcoursup, la hiérarchisation des vœux permettait d’évaluer la satisfaction des élèves en mesurant la proportion de ceux ayant obtenu leur premier vœu. « On a perdu un outil de pilotage du système, une information très utile sur la demande. Beaucoup de pays l’utilisent de manière efficace », précise Julien Grenet.
Cette absence de hiérarchisation est réversible. Lorsque Julien Grenet en faisait encore partie, le Comité avait proposé de s’inspirer du modèle allemand : pendant un mois, les vœux des élèves allemands ne sont pas classés. Puis, lorsqu’ils ont une vision plus claire de leurs options, les élèves hiérarchisent, pour accélérer la procédure. Il faudrait au moins, conseillait le comité, hiérarchiser à l’approche du bac…
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L’opacité des critères de sélection
Autre point de friction : l’opacité des critères de sélection. Ici, deux procédures s’opposent :
- Les filières « sélectives », telles que les classes préparatoires, IUT, BTS, etc.,
- Les filières « non sélectives » comme les universités qui, historiquement, n’avaient pas le droit de classer selon les dossiers des élèves mais le peuvent désormais depuis la mise en place de Parcoursup, au point que certains observateurs se demandent s’il faut continuer la distinction entre les filières.
« C’est un abus de langage », estime Pauline Lebaron pour l’Unef. La seule différence, c’est que les filières « non sélectives » ne peuvent pas refuser un candidat si elles ont encore de la place.
Leurs processus de sélection s’appuient sur ce qu’on appelle des « algorithmes locaux », c’est-à-dire des formules faites à partir de critères telles que les notes, leurs coefficients ou la prise en compte ou non des appréciations des professeurs dans les dossiers.
En 2020, l’UNEF a saisi le Conseil d’État qui, à son tour, a saisi le Conseil constitutionnel, sur l’opacité de ces algorithmes locaux. Depuis l’année dernière, ces formations ont l’obligation d’établir un rapport, publié sur la plateforme, pour expliquer leur classement. « Une victoire, se réjouit Pauline Lebaron. Mais il y a encore un énorme travail de transparence à faire. Ces rapports ne disent pas grand-chose des algorithmes. On n’a pas les calculs, les coefficients et donc finalement on a assez peu d’éléments sur le détail du classement. » Un argument que reprend Julien Grenet. « Beaucoup d’universités utilisent au sein de la plateforme un outil d’aide à la décision (OAD), avec les notes et les coefficients. Pourquoi les étudiants n’ont-ils pas accès à cette information ? »
Dans d’autres pays, comme l’Espagne, les étudiants connaissent les formules de calcul et les seuils d’admission, souligne le directeur de recherche. « Les élèves savent où ils ont des chances d’être acceptés. Ça économise du temps et de l’énergie et cela permet de se concentrer sur les formations accessibles. »
L’enjeu des places disponibles
Dans son rapport publié en février 2022, le Comité Éthique et Scientifique alerte sur ce qu’il perçoit comme la cause réelle du trouble des étudiants : « le sous-investissement général dans l’enseignement supérieur et particulièrement dans les universités peut conduire à une offre insuffisante, notamment en filières sélectives (par exemple en instituts universitaires de technologies [IUT]), mais ce n’est pas le dispositif technique qui est en cause ».
Le constat est partagé par Pauline Lebaron et l’Unef, dont la revendication principale est l’investissement massif et la création de place : 130 000 dans le public en licence.
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« La critique de système est un fourre-tout, estime quant à lui Julien Grenet. Ce n’était pas écrit que Parcoursup survivrait et la plateforme est considérée comme ayant relevé le défi technique. Personne ne va se risquer à court terme de modifier en profondeur la plateforme, mais on espère une amélioration… »
Gilles Roussel, qui n’était pas encore directeur du Comité, persiste et signe : « quand on a de la fièvre, ce n’est pas le thermomètre qu’il faut changer ».