« Si je suis élu, je supprimerais Parcoursup ! » . La proposition, radicale voire démagogique, a connu un joli succès auprès de certains candidats à l’élection présidentielle, en mai dernier. Tour à tour Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo, Fabien Roussel ou bien encore Yannick Jadot ont dénoncé une « boîte noire », « un Koh-Lanta de l’orientation », « un système inhumain », qui ne servirait qu’à apprendre aux jeunes « à mentir en écrivant dix lettres de motivation différentes ». Fichtre.
Génération liste d’attente
Créé en 2017 pour remplacer la plateforme Admission post-bac (APB) dans le cadre de la « Loi orientation et réussite », le principal défaut de Parcoursup est son incapacité à apporter une réponse rapide aux futurs étudiants : au soir du premier jour de la phase d’admission, la majorité d’entre eux est sur liste d’attente, et les journées sont très longues pour celles et ceux qui doivent attendre que des candidats mieux classés se désistent, afin que leur dossier remonte dans les files d’attente et qu’une proposition d’admission ferme leur soit faite.
À cela plusieurs explications : le côté « catalogue » de Parcoursup, qui existait déjà avec APB, pousse les jeunes à multiplier les vœux ; tout se fait en ligne, à distance, il suffit de cliquer pour candidater et de copier-coller une lettre de motivation vite rédigée. En 2022 chaque candidat, toutes séries du bac confondues, a ainsi formulé près de 13 vœux principaux, auxquels peuvent s’ajouter des sous-vœux par type de formation (licence, classe prépa, etc.).
Autre explication à ces longues journées d’attente très stressantes : le manque de connaissances de l’offre pléthorique de l’enseignement supérieur pousse beaucoup de futurs étudiants vers les formations les plus connues, accentuant l’effet de « goulot d’étranglement ».
Enfin la suppression du classement des vœux qui prévalait du temps d’APB explique également l’embouteillage : avec APB, chaque lycéen recevait une proposition d’admission le premier jour, même si elle ne correspondait pas à son vœu préféré. Désormais l’absence de classement permet aux jeunes de réfléchir un peu plus longtemps à leur choix d’orientation, mais tout en contribuant aussi à faire durer l’attente.
Là où APB attribuait une place en prenant en compte les exigences des établissements, et les vœux des lycéens, Parcoursup se contente de classer les demandes. Un même lycéen peut donc se retrouver avec plusieurs propositions d’admission, plusieurs refus, et plusieurs listes d’attente, ou un mixte des trois. Charge à lui de décider quels vœux il met « en attente », et quels vœux il jette. Et la machine de remouliner et redistribuer les places devenues vacantes, tous les matins jusqu’à la fin de la phase principale d’admission - le 15 juillet.
À lire aussi > Parcoursup est-elle le moyen le plus efficace de décider du futur des lycéens ?
Trier les étudiants plutôt que de créer des places
Mais alors pourquoi avoir remplacé APB par Parcoursup ? L’un des arguments avancés à l’époque par le gouvernement d’Emmanuel Macron était de mettre fin au tirage au sort. D’abord appliqué dans la filière STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) sans émouvoir grand monde, le tirage au sort s’est en effet trouvé étendu à quelques facultés de médecine, provoquant alors l’émoi des familles et de l’opinion publique.
Comment accepter, effectivement, que l’avenir des jeunes se joue au hasard, et sans prendre en compte ni leurs résultats scolaires, ni leur motivation ? Pourtant, dans les faits, le tirage au sort n’a au pire concerné que 0,5 % des étudiants… Un autre argument au changement de plateforme était le fort taux d’échec en première année de licence universitaire, qui frôlait les 40 % dans certaines disciplines.
Sur le papier, en permettant à toutes les filières de choisir leurs étudiants via les classements, y compris dans les licences universitaires dites non sélectives et sans tension, le système allait permettre une meilleure réussite des étudiants.
Il y a des flux d’étudiants à gérer, et pas assez de places pour que chacun puisse étudier dans la filière de son choix. Plutôt que de financer des places supplémentaires dans les universités et d’embaucher des enseignants, on a ajouté de la sélectivité dans Parcoursup
Alban Mizzi,Doctorant et chargé de cours en sociologie à l’université de Bordeaux
Mais la réalité est ailleurs, selon Pierre Chantelot, enseignant-chercheur à l’université de Marne La Vallée, membre du syndicat enseignant SNESUP, et élu au CNESER : « La véritable raison du passage d’APB à Parcoursup est qu’il a permis d’introduire la sélection des candidats dans toutes les filières, y compris celles qui ne sont pas en tension. Une perspective qui a pu séduire des collègues puisque les conditions de travail n’étant pas en voie d’amélioration, avec des effectifs très importants, il est tentant de pouvoir choisir les meilleurs des étudiants. »
Ainsi, depuis 2017, même les formations les moins courues sont contraintes de classer les dossiers des candidats, en fonction de critères qui leur sont propres et sont partiellement expliqués sur le site Parcoursup, dans la fiche descriptive de chacune d’entre elles.
L’intérêt du classement des candidatures est qu’il introduit l’idée que si tel ou tel étudiant n’est pas retenu par une formation, c’est qu’il n’a pas les capacités de réussir dans la filière qui l’a écarté. « Ce qui n’est pas toujours vrai, souligne Alban Mizzi, spécialiste de Parcoursup, doctorant et chargé de cours en sociologie à l’université de Bordeaux. La réalité est qu’il y a des flux d’étudiants à gérer, et pas assez de places pour que chacun puisse étudier dans la filière de son choix. Plutôt que de financer des places supplémentaires dans les universités et d’embaucher des enseignants, on a ajouté de la sélectivité dans Parcoursup ».
À lire aussi > Débat. La massification de l'université est-elle une démocratisation ?
Un travail d’orientation délégué sans moyens
Autre problème que Parcoursup était censé régler : la concentration de trop d’étudiants sur les mêmes vœux. Ainsi à eux trois, en 2021, le diplôme d’État d’infirmier, la PASS (première année d’études de santé), et les écoles d’ingénieur ont concentré 24 % de la totalité des 7,9 millions de vœux différents enregistrés sur Parcoursup.
Tandis que d’autres filières aux débouchés assurés peinent à faire le plein : « Chez nous, souligne Pierre Chantelot, nous n’avons plus que 25 étudiants dans une promo qui pourrait en accueillir 35, alors que nous sommes dans un domaine industriel qui recrute, et que nos diplômés ne connaissent pas le chômage ».
Le manque d’imagination des futurs étudiants, la faute à Parcoursup ? Là encore, la plateforme a le dos large. S’il n’a pas été pensé comme un outil d’orientation, Parcoursup a tout de même connu de nombreuses améliorations au fil des ans : ainsi il propose une carte des formations qui permet à un candidat de repérer facilement les formations qui l’intéressent dans un domaine précis, suivant plusieurs critères (type de diplôme, privé ou public, distance de son domicile).
De même chacune des 20 000 formations présentes sur Parcoursup à sa fiche dans laquelle sont recensés les attendus, les débouchés, les critères de sélection et de réussite. Mais encore faut-il que le jeune ou ses parents disposent des bagages et de l’aisance nécessaire pour aller « faire leur marché » dans cette jungle.
À défaut, en théorie, ils doivent pouvoir compter sur les conseillers d’orientation (les psyEN), et sur les professeurs principaux. Sauf que les premiers sont en sous-effectif chronique, et les seconds, auxquels le ministère de l’éducation nationale avait promis 54 heures supplémentaires pour travailler sur l’orientation de leurs élèves, n’en ont jamais vu la couleur.
« On bricole, reconnaît Sophie Vénétitay, professeure de SES en Seine-Saint-Denis, et secrétaire générale du SNES-FSU, premier syndicat d’enseignants du secondaire. Nous n’avons pas été formés pour ce travail d’orientation, et nous manquons de connaissance sur toutes les formations et leurs exigences.»
Si on ajoute à cela des classes de terminale qui dépassent bien souvent les 30 élèves, on comprend que la mission est très compliquée à remplir, et repose avant tout sur la bonne volonté des enseignants.
Dit autrement : Parcoursup n’est pas la maladie, mais le symptôme, un révélateur des choix politiques successifs qui depuis une quinzaine d’années ont consisté à sous-investir dans l’orientation et l’enseignement supérieur, en attendant que le baby boom des années 2000, qui a logiquement entraîné le baby boom des étudiants 18 ans plus tard, soit absorbé.