Sociologie
Pauvreté en France : la crise économique du Covid n'aurait pas aggravé la situation
Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté n'a pas augmenté lors de la crise sanitaire, selon une étude de l'Insee dévoilée le 3 novembre. Mais l'institut concède des réserves, en particulier sur les revenus non déclarés et celui des étudiants.
Cathy Dogon
© Mathilde MAZARS/REA
Un million de personnes seraient tombées dans la pauvreté à cause de la pandémie. Cette information a beaucoup circulé en 2020, notamment après un article du Monde à ce sujet le 6 octobre. Dans les locaux de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les analystes se sont frottés le menton pendant un an : le chiffre est-il réaliste ?
9,3
millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France, selon la dernière estimation de l'Insee.
Leur constat est tombé le 3 novembre 2021, lors de la publication annuelle de leur estimation sur la pauvreté en France : elle stagne. De 14,8 % des ménages en 2019, elle serait passée à 14,6 % en 2020, soit 9,3 millions de personnes sous le seuil de pauvreté.
Alors, le million de précaires post-Covid serait-il une fake news ? : « Lorsque l’on prend connaissance d’un chiffre », prévient Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee, intervenu lors des Journées de l'économie de Lyon dont Pour l'Éco est partenaire, « il faut faire preuve de méfiance en l’absence de limites ».
Deux réserves pourraient expliquer cet écart, concède le patron de l’Institut. « Premièrement, notre calcul n’intègre pas les revenus non déclarés. Pendant la pandémie, les travailleurs au noir ont pu pâtir plus intensément de la crise économique. Deuxièmement, nous saisissons mal le revenu des étudiants selon leur relation financière avec leurs parents. »
Ces deux biais introduisent une marge d’erreur potentielle. L'Insee se base en effet sur les données fiscales mais celles-ci cachent une partie de la réalité. Dans un billet de blog, Jean-Luc Tavervenier admet : « les travaux complémentaires menés par l’Insee sur les données de La Banque postale et sur le recours à l’aide alimentaire (+ 11 % des volumes d’aide alimentaire et + 7 % des inscriptions) conduisent à conclure que la pauvreté s’est sans doute intensifiée ».
Impossible d’analyser la marge d'erreur potentielle de l’estimation du niveau de pauvreté la plus alarmante (un million de personnes devenues pauvres) parce que la source est inconnue. Or la méthodologie constitue le nerf de la guerre de la vérité en économie.
Une bonne enquête est une enquête répétée dans le temps.Jean-Luc Tavernier,
directeur général de l’Insee.
Des enquêtes récurrentes
Depuis 1946, l’Insee produit des analyses à intervalle régulier. Le recensement de la population, son enquête la plus importante, représente 17 % de son budget (433,2 millions d’euros en 2020).
Source : Rapport d'activité 2020 de l'Insee.
L’Insee dépend du ministère de l’Économie et des Finances mais « conduit ses travaux en toute indépendance professionnelle » peut-on lire dans son rapport d’activité 2020. Implantés dans l’ensemble du territoire français, les 5 196 salariés sont des agents de l’État. Parmi eux, 809 statisticiens s’activent à la récupération de données via le démarchage téléphonique, des sondages numériques, le traitement de données publiques comme les impôts ou encore des données privées.
Pour mesurer la chute du PIB pendant le premier confinement, l’Insee s’est rapproché des banques et a récupéré le montant des transactions par carte bleue. « Nous avons été les plus rapides au monde à donner une estimation nationale », se targue le DG. « Quelques mois plus tard, notre méthodologie traditionnelle a confirmé la fiabilité de ce chiffre. »
Source : Rapport d'activité 2020 de l'Insee.
La force de l’Insee, c’est justement de produire des statistiques récurrentes avec les mêmes indicateurs. « Une bonne enquête est une enquête répétée dans le temps », reprend le patron de l’institut.
« L’estimation de la pauvreté en France est une de nos études annuelles. Quand le chiffre d’un million de personnes tombées dans la précarité a commencé à circuler, nous avons hésité à bousculer notre calendrier pour le vérifier rapidement. Cela nous aurait obligé à trouver de nouveaux indicateurs, parce que les données fiscales sur lesquelles nous nous basons habituellement mettent du temps à tomber. Nous avons jugé que notre méthodologie habituelle était la plus fiable, et qu’il fallait alors prendre notre mal en patience. »
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