Deux hausses coup sur coup. Après un relèvement de 25 points de base le 16 mars, la Fed a augmenté son taux directeur de 50 points de base le 4 mai dernier, la cible de taux étant désormais fixée à 0,75-1%. Et dès l’annonce du relèvement de la cible de taux directeur de la Banque centrale américaine, de nombreux analystes ont ainsi promis un hard landing (atterrisage difficile) à l’économie américaine, mêlant hausse du chômage et ralentissement de la croissance dès 2022.
Entre inflation et récession, il semble qu’il faille choisir. La mise en œuvre d’une politique de désinflation, autrement dit de modération de la hausse générale des prix, s’opère souvent au détriment de la croissance économique et de l’emploi à court terme.
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Jerome Powell, le président du Conseil des gouverneurs de la Fed, croit, lui, en la possibilité d’un soft landing. Cet atterrissage en douceur verrait l’inflation retomber sans dégrader outre mesure les autres indicateurs de performance économique du pays. Lequel de ces deux scénarios est le plus probable ? Peut-on vraiment juguler une forte inflation sans provoquer une récession ? Pour l’Éco vous livre quelques clés pour que vous vous fassiez votre propre idée sur le sujet, en quatre questions.
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Comment lutte-t-on contre l’inflation ?
Contrôle des prix, baisse des salaires, intervention sur le marché des changes, etc. Théoriquement, de multiples leviers de politique économique sont à disposition des gouvernants pour modérer une hausse générale des prix jugée trop forte.
Dans les faits, les économies contemporaines sont, pour la plupart, libéralisées et ouvertes à la mondialisation, ce qui rend largement inopérants les outils précédemment évoqués.
Depuis les années 1980, le principal moyen de lutte contre l’inflation est la politique monétaire dite « restrictive ». Celle-ci comporte deux volets : la hausse du taux directeur et le ralentissement voire l’arrêt des programmes de rachat de titres.
Face à une inflation galopante, la Fed a décidé d’intervenir sur les deux tableaux. Jerome Powell a confirmé que la hausse de la cible de taux en mars serait vraisemblablement suivie de six autres relèvements au cours de l’année, ce qui pourrait positionner la fourchette de taux de la Fed autour des 2% en décembre 2022.
Quels sont les risques associés à une politique monétaire restrictive ?
En augmentant son taux directeur, une banque centrale renchérit le coût du refinancement pour les banques commerciales. Logiquement, celles-ci répercutent cette hausse en prêtant aux entreprises et aux particuliers à des taux plus élevés.
Le relèvement du taux directeur peut ainsi engendrer une baisse de l’investissement qui lui-même peut affecter négativement le volume d’activité économique et l’emploi. Jerome Powell prétend que la politique prudente de la Fed, incarnée par un relèvement très progressif du taux directeur, neutralise le risque de survenue d’une récession.
En conférence de presse, il s’est montré très rassurant, martelant que l’objectif de son institution était « de ramener l’inflation sous les 2% tout en maintenant à flot le marché du travail ».
Les économistes Alex Domash et Lawrence Henry Summers ne partagent pas son optimisme. Dans une étude publiée quelques jours après les annonces de la Fed, les deux économistes estiment que l’inflation a atteint aux États-Unis un niveau trop élevé pour qu’un soft landing soit encore possible.
Ils relèvent que la hausse des salaires bat actuellement des records (+6,5% en février 2022 par rapport à février 2021), alimentant la surchauffe de l’économie américaine. Selon leur modèle, la faire redescendre à 4% d’ici 2024 porterait le taux de chômage à 5,4% (contre 3,6% actuellement), et même à 8,4% si la Fed se fixait comme objectif de modérer la hausse des salaires à 3%.
Par le passé, les politiques désinflationnistes ont-elles toujours provoqué un repli de l’activité économique ?
Pas toujours mais très souvent. Un précédent a particulièrement marqué les esprits. Nommé en 1979 à la tête de la Fed avec le mandat d’éradiquer une inflation devenue problématique (elle dépassait alors les 10%), Paul Volcker procède à plusieurs hausses drastiques du taux directeur, celui-ci passant d’environ 10% en 1979 à 20 % en 1981.

Volcker obtient l’effet escompté ; la hausse générale des prix se stabilise autour de 3% dès 1983. Mais le prix à payer pour cette normalisation du taux d’inflation est élevé : en 1980 puis en 1982, le PIB américain recule et la lutte engagée contre l’inflation casse bel et bien la dynamique économique du pays à court terme.

L’analyse rétrospective menée par Domash et Summers sur le cas des États-Unis est sans appel : « Depuis 1955, tous les trimestres combinant une inflation supérieure à 4% et un taux de chômage inférieur à 5% ont été suivis par une récession dans les deux années suivantes ». Un ralentissement voire un repli de l’activité économique aux États-Unis semblent donc très probables à court terme.
Les situations françaises et américaines sont-elles comparables ?
Elles ne le sont pas pour deux raisons au moins. D’abord, la hausse générale des prix est incomparablement plus forte aux États-Unis que chez nous. Outre-Atlantique, elle a atteint +7% en 2021 et elle s’intensifie encore, ayant été mesurée à +8,5% en mars dernier par rapport à mars 2021. En France, l’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de seulement +1,6% en 2021 et de +4,5% en mars dernier par rapport à mars 2021.
Ensuite, les causes de l’inflation ne sont pas les mêmes des deux côtés de l'Atlantique. En France, elle est essentiellement importée, alimentée par la flambée des cours des matières premières énergétiques et les goulets d’étranglement affectant certains marchés sous l’effet de la forte reprise post-crise.
Aux États-Unis, c’est avant tout la hausse des salaires qui stimule l’inflation. Le marché du travail américain est plus que tendu. On compte aujourd’hui 1,73 emploi à occuper pour un chômeur disponible, un niveau jamais atteint depuis 1950. Jerome Powell l’a reconnu lui-même, cette situation est « malsaine ». Mais il estime encore possible de redresser la barre sans provoquer de choc récessif. Puisse-t-il avoir raison !
Pour aller plus loin :
Alex Domash, Lawrence H. Summers, « A labor market view on the risks of a U.S. hard landing », National Bureau of Economic Research, avril 2022.