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Politique économique

Plafond de la dette. La France doit-elle imiter les États-Unis ?

Le système américain de plafond sur la dette présente le lourd inconvénient de faire planer la menace régulière d'un défaut de paiement en cas de désaccord politique trop profond, mais il a aussi l'avantage d'imposer une limite à l’endettement d’un pays. Ce qui ne ferait pas de mal à la France, selon l’enseignante Martine Peyrard-Moulard.

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© Midjourney

Si, dans quelques jours, les élus Démocrates et Républicains du Congrès ne se mettent pas d’accord pour relever le plafond de la dette publique, le gouvernement américain risque bien d’être à court d’argent. Il risquerait alors de ne pas pouvoir honorer toutes ses factures, ni payer tous ses fonctionnaires, ni demander de nouveaux emprunts, ni même rembourser certaines créances.

Les États-Unis seraient alors menacés de défaut de paiement ! Une banqueroute qui serait lourde de conséquences pour la première puissance économique et financière elle-même, mais aussi pour le monde entier en raison des retombées financières, même si plus de 75 % de la dette américaine est entre les mains des Américains.

Aux États-Unis, c’est le Congrès formé du Sénat et de la Chambre des représentants, et personne d’autre, qui fixe chaque année un plafond légal à la dette américaine et qui détient le pouvoir d’émettre de nouveaux emprunts au-delà. Signe que le Congrès possède un réel pouvoir dans la démocratie américaine.

Le montant maximal d’endettement public atteint désormais le montant record de 31 400 milliards de dollars (29 000 milliards d’euros). Or, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a indiqué dans un courrier envoyé au président de la Chambre des représentants, le républicain Kevin McCarthy, partisan d’une réduction drastique des dépenses publiques : "il est probable que nous ne serons pas en mesure de respecter toutes les obligations du gouvernement d’ici le début de juin, et peut-être dès le 1er juin, si le Congrès ne lève pas ou ne suspend pas la limite de la dette avant cette date".

L’échéance se rapproche !

Or, si les élus n’arrivent pas à se mettre d’accord, c’est le shutdown, c’est-à-dire la fermeture des activités "non essentielles" du gouvernement fédéral (les services publics gérés par les États fédérés ne sont pas concernés) et ses fonctionnaires, en chômage technique, ne seront plus payés tant qu’un compromis n’aura pas été trouvé et qu’une nouvelle loi n’aura pas été votée. Les États-Unis ont déjà connu plus d’une vingtaine de shutdowns, d’une durée moyenne de huit jours. Le plus souvent c’est pour des raisons de politique intérieure à propos du niveau et de la structure des dépenses publiques et des impôts, que les Républicains et les Démocrates s’opposent.

Au cours de leur histoire, les deux plus longs shutdowns ont eu lieu pendant la présidence démocrate de Bill Clinton en 1995-1996 (21 jours) et celle du républicain Donald Trump en 2018-2019 (35 jours). En fait, la plupart du temps, c’est sans crise que le Congrès vote une loi provisoire de dépassement ou de suspension de cette limite d’endettement. C’est même un "classique" de la vie budgétaire américaine qui s’est déjà produit 78 fois depuis les années 1960.

Toutefois en cas de réelle difficulté, il leur reste encore une possibilité, néanmoins très controversée : la Constitution américaine inclut en effet un 14e amendement qui stipule que « la validité de la dette publique des États-Unis, autorisée par la loi, ne doit pas être remise en question ». Ce qui signifie que limiter les possibilités d’emprunt serait alors incompatible avec cet amendement et le Président pourrait continuer d’emprunter pour payer ses factures et donc contourner le Congrès, comme si le plafond de la dette n’existait plus. C’est juridiquement risqué et contestable en tant qu’abus de pouvoir exécutif car emprunter au-delà de la limite légale d’endettement fixée par le Congrès est contraire à la loi.

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Cette situation est-elle concevable en France ?

Non, et c’est dommage diront certains. Car avec une dette de près de 3 000 milliards d’euros (112 % du PIB) auxquels il faut rajouter 1 000 milliards d’euros de retraites des fonctionnaires à la charge de l’État, des dépenses publiques qui pèsent plus de 57 % du PIB et un taux de prélèvements obligatoires record de plus de 45 % du PIB, ce serait l’occasion de contraindre l’État à réfléchir au risque de dérive budgétaire, à la nécessité de maîtriser les dépenses publiques et donc in fine à ses missions.

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En effet, le Parlement ne peut pas vraiment bloquer le budget car la Constitution de la VRépublique favorise une continuité "partisane" entre l’exécutif (le gouvernement) et la majorité législative à l’Assemblée, alors qu’aux États-Unis, la séparation des pouvoirs est réelle : le gouvernement Biden est Démocrate et la Chambre des représentants est à majorité républicaine. Ils doivent donc coexister.

Par ailleurs, en France, en cas de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée, c’est cette dernière qui a toujours le dernier mot. Ensuite, afin d’éviter tout risque de blocage budgétaire, le gouvernement dispose d’outils, notamment le fameux "49-3" qui permet d’adopter un texte sans vote, ou encore au cas où le Parlement dépasserait la période de soixante-dix jours pour se prononcer, il peut, par ordonnances, continuer "à financer les services publics" en vertu du principe de continuité de l’État. Donc peu de risques que des services publics, tous "d’intérêt général", ferment et que des fonctionnaires ne soient pas rémunérés, même temporairement.

Toutefois cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de limites à l’endettement public en France. En effet, les créanciers de l’État (pour moitié non-résidents) sont attentifs à sa solvabilité et s’ils doutent de sa capacité à rembourser, ils réclament une "prime de risque" qui augmente le taux d’intérêt. Rappelons qu’en avril l’agence Fitch qui évalue la qualité des emprunteurs, a dégradé la dette française, de "AA à AA-". Ensuite, vient la sanction des marchés.

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En fait, un État doit veiller à la soutenabilité de sa dette pour éviter une crise. Il lui faut surveiller son déficit public et surtout le stabiliser à un certain niveau de richesse produite. Dans la zone euro, le déficit des États membres ne doit en principe pas dépasser 3 % du PIB, mais la Banque Centrale Européenne (BCE) a les moyens de leur éviter la cessation de paiement, si elle le souhaite et sous conditions.

Dans le programme de SES

Première. « Comment les agents économiques se financent-ils ? »