La polarisation fait référence à une déformation de la structure des emplois en faveur à la fois des métiers hautement qualifiés (bien payés) et des métiers peu qualifiés (mal payés). Il en résulterait une érosion des métiers situés au milieu de la distribution des salaires, donnant crédit au thème de la « disparition de la classe moyenne ».
Les tâches routinières propres aux métiers du milieu de la distribution des salaires, la comptabilité, par exemple, pourraient être exécutées par des logiciels ou des robots pour un coût moins élevé.
En revanche, les tâches non routinières que l’on rencontre aussi bien dans le haut de la distribution des salaires (dans les métiers dits intellectuels, comme les ingénieurs) que dans le bas de la distribution (restauration ou services à la personne, par exemple) seraient moins susceptibles d’être effectuées par des automates.
Progrès technique biaisé
La polarisation des emplois est bien documentée pour quelques pays, en particulier les États-Unis. Cependant, en accord avec la thèse « du progrès technique biaisé », de nombreuses études ont établi que depuis plusieurs décennies, le progrès technique augmente de façon continue la demande de travail qualifié au détriment de celle du travail non qualifié.
Ce constat soulève au moins deux questions : la polarisation des emplois est-elle un phénomène universel et le progrès technique en est-il vraiment la cause principale ?
Salaire médian à la loupe

Une étude récente sur l’Europe répond plutôt par la négative à ces deux questions1. Cette étude analyse les changements de la structure des métiers entre 1992 et 2015 pour quatre pays européens ayant des institutions politiques et sociales sensiblement différentes : l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni.
Elle s’appuie sur des données d’enquêtes représentatives des habitants de ces pays, ce qui couvre plus de 200 millions de personnes, en incluant l’ensemble de la main-d’œuvre dans l’analyse, notamment les travailleurs agricoles, les travailleurs à temps partiel, les migrants, les travailleurs indépendants et les fonctionnaires.
Cette étude classe par quintiles de taille égale les professions au début de la période 1992-2015 selon leur revenu médian.
Le quintile n° 1 comprend ainsi les 20 % de travailleurs occupant les professions les mieux rémunérées en 1992 tandis que le quintile n°5 comprend les 20 % de travailleurs occupant les professions les moins rémunérées cette même année (graphique 1). Il apparaît que, dans les quatre pays étudiés, la croissance de l’emploi a été la plus forte dans les professions du quintile supérieur. La proportion de l’emploi dans ces professions haut de gamme a augmenté de neuf à 12 points de pourcentage.
Parallèlement, la part de l’emploi dans le quintile inférieur a diminué partout sauf au Royaume-Uni où il a augmenté de cinq points de pourcentage. Pour ce pays, une certaine (mais modeste) polarisation des emplois a donc vu le jour.
Le levier de la scolarité
La même analyse a été reproduite avec les professions classées selon la scolarité moyenne.
Cette fois, le Royaume-Uni ne fait plus exception. Dans les quatre pays européens examinés, la croissance de l’emploi a été la plus forte dans le quintile des professions ayant le plus haut niveau de scolarité et la part de l’emploi dans le quintile inférieur d’éducation a diminué partout.
Autrement dit, la structure des emplois est devenue de plus en plus qualifiée. La thèse du « progrès technique biaisé » se vérifie. Dans cette perspective, la polarisation des emplois selon les revenus constatée aux États-Unis, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni, résulterait plus du mode de fixation des salaires que du progrès technique qui touche toutes les économies avancées de la même manière.
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, le fonctionnement du marché du travail est flexible, les salaires minimums sont peu élevés et le pouvoir de négociation des travailleurs est faible. Autant de facteurs qui tendent à faire grossir le bas de la distribution des revenus.
Vraisemblablement, les opportunités d’emploi pour les personnes les moins qualifiées continueront à se raréfier dans le futur et celles pour les personnes moyennement et hautement qualifiées s’accroîtront.
Pour faire face à ce défi, les politiques publiques doivent développer la formation continue tout au long de la vie afin d’accroître en permanence les qualifications de la main-d’œuvre dans tous les métiers.