Contrairement à la crise de 2008, les milliards d'euros de la relance n’ont pas pour but de sauver les banques « trop grosses pour faire faillite » (too big to fail), mais l’ensemble des acteurs économiques.
Toutes les entreprises, y compris les petits commerces et les travailleurs indépendants obligés de baisser le rideau. Et tous les salariés. Qu’il s’agisse de les maintenir en emploi – solution privilégiée en Europe via le chômage partiel – ou d’augmenter les allocations des chômeurs, comme aux États-Unis.
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Chômage partiel
Terme désignant une aide versée aux entreprises par l’État et l’Unedic (l’Assurance chômage), lorsqu’elles se voient contraindre de réduire leur activité à cause d’évènements conjoncturels et temporaires (crises économique, pandémie…).
En clair, il s’agit d’inonder la planète de revenus de substitution afin de contenir l’incendie. Ces actions de sauvetage ont représenté près de 80 % des sommes engagées en 2020, selon une étude de l’université d’Oxford pour les Nations unies.
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Elles ont en grande partie atteint leur objectif, selon le FMI. En France, les effets ont même été spectaculaires. Malgré un effondrement du PIB de 8,3 % l’année dernière, les faillites ont chuté de 39 %, le taux de chômage est redescendu à 8 % et le revenu moyen des ménages n’a pas baissé.
Des bulles et des zombies
Cette véritable pluie d’argent a toutefois eu des effets secondaires indésirables. Une partie de cette manne se retrouve sur les marchés financiers, poussant les indices boursiers à leurs plus hauts historiques.
Certains actifs purement spéculatifs en profitent, à l’instar du bitcoin. D’aucuns n’hésitent pas à parler de bulles.
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Bulle spéculative
Situation de hausse du prix d'un actif financier ou immobilier au delà de sa valeur réelle correspondant aux données économiques et financières réelles. Cette hausse résulte du mimétisme et des anticipations auto-réalisatrices des spéculateurs.
À ne pas cibler les actions, on risque le gaspillage. Un risque assumé. Ainsi, en France, les prêts garantis par l’État, distribués largement aux entreprises pour un total de 135 milliards d’euros, ne seront pas tous remboursés.
Entre 5,5 % et 8 % d’entre eux, selon une estimation revue récemment à la hausse par BPI France.
« Les économistes ont très peur des “entreprises zombies” déjà non viables avant la crise et mises pourtant sous perfusion pendant celle-ci. »
Charles Wyplosz,professeur à l’Institut des hautes études internationales à Genève.
L’ère du « quoi qu’il en coûte » touche toutefois à sa fin. Les plans de relance destinés à faire repartir l’économie sont plus contraints. Ils ne représentent qu’un cinquième des « milliards du Covid » annoncés dans le monde (hors plan Biden).
Le sursaut européen attendra
Le contraste avec les États-Unis est saisissant. Doté d’une enveloppe de 750 milliards d’euros – dont 360 milliards de prêts et 390 milliards de subventions –, le plan de relance européen n’est toujours pas mis en œuvre alors qu’il a été adopté en juillet 2020. Et il ne le sera pas avant l’été, au mieux.
Le processus de ratification est bloqué en Allemagne où la Cour constitutionnelle examine la légalité du mécanisme de dette commune. La France a prévu de faire financer 40 milliards d’euros de son propre plan par l’UE.
Le plan français de 100 milliards d’euros, complété par des budgets rectificatifs de 7,2 et 15 milliards d'euros, illustre cet effort, à la fois important et mesuré. Car une limite a refait son apparition. Celle du mur de la dette, passée en un an de 100 % à 120 % du PIB.
Relance : la règle des 3 « T »
Face aux critiques réclamant un effort public plus important, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, reste droit dans ses bottes.
« Le plan de relance français est bien calibré. Le vrai défi, c’est la rapidité de l’exécution », a-t-il justifié. Pour réussir, un plan de relance budgétaire doit obéir à la règle des 3 « T ».
Il doit être déployé au moment opportun (timely, en anglais), en l’occurrence dès que les contraintes sanitaires seront levées. Il doit être ciblé (targeted) sur les mesures les plus efficaces pour faire repartir l’activité. Et il doit être temporaire (temporary) afin de ne pas peser durablement sur les comptes publics.
C’est à ces conditions que la dépense publique sera la plus efficace et que son effet multiplicateur sera maximal. Le premier moteur à faire redémarrer est celui de la consommation.
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Multiplicateur
Mécanisme de la croissance économique. Il traduit le fait que toute augmentation de l’investissement, de la consommation ou de la dépense publique entraîne une hausse plus que proportionnelle de la richesse. Il justifie le recours à des politiques budgétaires expansionnistes en cas de dépression de la demande privée. Mis en avant en 1936 par John-Maynard Keynes.
Le plan français prévoit quelques mesures dans ce sens. Mais il table surtout sur le déblocage des 130 milliards d’euros que les ménages ont été contraints d’épargner pendant la crise.
Et sur un scénario « Années folles », où les gens se mettraient à consommer à corps perdu dans l’euphorie de la victoire sur la maladie. Un tel rebond avait d’ailleurs pointé à l’issue du premier confinement.
Problème, cette épargne est concentrée à 70 % dans les comptes bancaires des 20 % de Français les plus « riches » (gagnant plus de 2 300 euros net par mois).

Source : Coronavirus watch: three key questions on savings, Oxford Economics, mars 2021.
Or, ces ménages ne vont pas forcément acheter plusieurs voitures ou plusieurs frigos. Les plus pauvres, de leur côté, se sont appauvris pendant la crise : ils n’auront pas les moyens de participer à la fête. Et on ne peut exclure un scénario pessimiste où une part importante d’épargne de précaution resterait bloquée par peur de l’avenir.
Trouver le bon rythme
« Une fois qu’on aura arrêté les mesures sanitaires, faudra-t-il un plan de relance de la consommation ? », s’interroge Xavier Ragot, président de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).
« On est au cœur des débats actuels entre prévisionnistes. » Éric Chaney, conseiller économique à l’Institut Montaigne, fait partie de ceux qui veulent pousser les feux de la consommation.
Il préconise 30 milliards d’euros d’aides ciblant les bas revenus, les jeunes et les indépendants. En plus du plan gouvernemental français. Ce plan mobilise d’abord l’investissement public. Il lui consacre 36,7 milliards d’euros, selon l’OFCE, dont 18 milliards pour la transition écologique et 6,5 milliards pour les transports.
Le Centre de recherche en économie de Sciences Po s’inquiète de la possibilité de déployer en deux ans un tel « plan de relance fortement orienté vers l’investissement de moyen terme ».
En Chiffres
250 milliards
Voici le montant en euros de la rallonge du plan de relance proposé par François Bayrou, haut-commissaire au Plan.
Une faute de rythme ? Éric Chaney suggère une approche beaucoup plus immédiate et massive : « Une subvention à hauteur de 15 % de tous les investissements des entreprises – sans distinction, qu’ils soient verts, jaunes ou bleus – pour amplifier l’accélérateur d’investissement. » Coût estimé : à nouveau 30 milliards d’euros.
Il n’est pas le seul à réclamer une rallonge du plan de relance. Des députés En Marche appellent à rajouter 75 milliards d’euros sur huit ans pour la transition écologique.

L’index de vertu écologique mesure, pour les pays du G20, l’argent de la relance qui soutient des industries polluantes (en marron) ou vertueuses (en vert). Source : Climate Transparency Report 2020. Comparing G20 climate action and responses to the Covid-19 crisis.
Quant au haut-commissaire au Plan, François Bayrou, il propose 250 milliards d’euros de plus pour des « investissements de reconquête » dans « tous les secteurs stratégiques d’avenir ». On n’est plus là dans la simple relance, mais dans la préparation du « monde d’après ». Il s’agit de profiter de la fenêtre des taux d’intérêt bas, voire négatifs, pour créer le futur.
Penser la France de 2030
Reste à savoir où. La France présente tant de retards : dans les réseaux routiers et ferrés, la rénovation des logements, les universités, les hôpitaux, la recherche…
Et elle doit mener à bien les transitions écologique et numérique. Sauf que trouver des projets industriels concrets à financer n’est pas si facile. Bruno Le Maire a mis en avant cette difficulté pour justifier le calibrage du plan français. À l’inverse, « ce type de dispositifs attire les lobbies et les grandes entreprises », dénonce Charles Wyplosz. Au détriment des PME.
La solution ? Pour Xavier Ragot, il faut « réactualiser le Plan », le grand outil de la reconstruction après-guerre. « Ce n’était pas le Gosplan soviétique et autoritaire, défend-il. C’était un outil de dialogue social pour identifier des priorités et orienter l’investissement public et privé. »
Il propose de fusionner le haut-commissariat au Plan, France Stratégie et le secrétariat général à l’investissement public pour en faire « un grand centre de réflexion stratégique et de programmation pluriannuelle de l’investissement, en relation avec les collectivités locales et les corps intermédiaires ».
Seul hic, admet-il, les fonctionnaires ont été formés depuis 20 ans à raboter la dépense publique, pas à programmer la transformation de la France. « Il faut réinvestir dans notre capacité à penser l’avenir, nous avons besoin de gens capables d’assumer une prise de risques. »
Le méga-plan Biden pour ressouder l’Amérique
Frapper vite et fort. À peine entré à la Maison Blanche, Joe Biden applique cette recette du succès de tout plan de relance. Adoptés par le Congrès le 10 mars, les 1 900 milliards de dollars de subventions aux familles, écoles, collectivités locales et petites entreprises s’ajoutent aux 900 milliards d’aide d’urgence déjà votés en décembre.
Autant d’argent qui alimentera la demande et donc la croissance en 2021. Or cet effort de relance – déjà équivalent au PIB de la France – n’est que le premier étage de la riposte américaine à la crise du Covid.
Celle-ci n’est pas que sanitaire et économique. Elle est aussi sociale, écologique et politique. Après l’électrochoc de l’occupation du Capitole, Joe Biden n’a pas mégoté pour y répondre.
D’où un plan d’investissement massif de 2 300 milliards de dollars. Il vise aussi bien à réparer les infrastructures dans les transports, les réseaux d’eau et d’électricité, les bâtiments et les services publics qu’à doper l’innovation technologique ou à étendre l’internet en milieu rural…
Il est tout entier traversé par la volonté de favoriser la production et l’emploi made in America. Et la dimension environnementale infuse toutes les mesures. Enfin, il comporte un important volet destiné à la réduction des inégalités, désormais priorité nationale.
Avec ce plan, Biden signe le retour de l’État dans la résolution des problèmes après des décennies de néo-libéralisme où le marché était censé assurer l’allocation optimale des ressources.
Ce n’est pas la seule rupture. Si le plan de relance est entièrement financé par la dette, le plan d’investissement sera en partie payé par des hausses d’impôts.
Aussi bien ceux des entreprises – projet d’augmenter le taux d’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 % –, que des ménages aisés (gagnant plus de 400 000 dollars par an). Ce qui promet une résistance des républicains lors de son examen au Congrès.
Unanimement loué, voire envié en Europe, le plan Biden suscite des critiques aux États-Unis. La gauche du parti démocrate juge le volet investissement insuffisant, car il ne représente que 11 % du PIB d’une année alors qu’il s’étale sur huit ans.
Des économistes critiquent un volet de relance plus important que nécessaire, avec des chèques distribués à des ménages qui n’en ont pas besoin (jusqu’à 150 000 dollars de revenus) et qui risque de faire flamber l’inflation. Un risque hypothétique dont on peut se demander s’il n’est pas assumé.
Restaurer l’inflation serait un bon moyen de financer sans douleur la montagne de dette créée par ce gigantesque plan.