Moins de maths, moins de productivité
L’économie française souffre d’un coût du travail trop élevé qui affecte la compétitivité prix des entreprises (en particulier, pour les produits de bas et de moyenne gamme). Longtemps, on a avancé que ce handicap était atténué par une productivité du travail particulièrement élevée.
Compétitivité prix
Capacité à produire des biens et des services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente. Elle dépend des coûts de production, notamment du coût du travail.
Cela ne semble plus tout à fait le cas. Dans une étude publiée par le Conseil d’analyse économique (CAE), les auteurs démontrent, chiffres à l’appui, que la productivité de la France ralentit depuis une vingtaine d’années par rapport à celle de l’Allemagne ou des États-Unis. Par exemple, sur la période 2004-2019, la France a perdu 7 points de niveau de vie (PIB/habitant) par rapport à l’Allemagne et la baisse relative de la productivité française (par rapport à celle de l’Allemagne) en explique 5 points.
Avec de plus faibles gains de productivité, les entreprises domestiques ne peuvent plus autant baisser leurs coûts unitaires, ce qui les affaiblit en termes de compétitivité prix et participe inévitablement au déficit commercial structurel qu'enregistre l’économie française depuis une vingtaine d’années.
Gains de productivité
Amélioration de l’efficacité des facteurs de production durant une période donnée. Cela peut venir de 3 facteurs : le facteur travail (amélioration des compétences des salariés, recrutement de personnes plus qualifiés, réorganisation du travail…). La hausse de la productivité peut également venir de la réorganisation du travail avec notamment les OST (organisation scientifique du travail), le facteur capital (robotisation, investissement dans des machines plus performantes…) ou le facteur stratégique (améliorer son réseau de fournisseurs, faire des économies d’échelle en rachetant un concurrent…). L’amélioration de la productivité permet à l’entreprise d’accroître ses revenus, et donc de pouvoir augmenter les salaires, réinvestir, ou baisser ses prix.
Si la compétitivité prix reste importante - compte tenu du mauvais positionnement de gamme de notre économie -, nous savons qu’il est difficile d’espérer de meilleures performances à l’exportation par ce vecteur, tant les pays émergents sont en avance : impossible de concurrencer le coût du travail des pays d’Asie du Sud par exemple. Il faudrait plutôt mettre en œuvre une remontée en gamme, ce qui renvoie notamment à notre capacité à innover.
Dans cette perspective, l’économie française souffre du déclin du système éducatif. Ce déclin impacte directement et nettement le capital humain. Pour améliorer la productivité du travail, pour se donner plus de chance d’être innovant, il faut renforcer le capital humain des actifs français. La formation initiale (ou l’enseignement scolaire) joue un rôle fondamental.
La note du CAE fait d’ailleurs référence à une étude qui démontre que le capital humain (mesuré par le nombre d’années d’études) contribue à la majorité des gains de productivité de l’économie française entre 1971 et 2018. De même, le déclin du système éducatif français expliquerait plus de la moitié du ralentissement de la productivité depuis 2000. Un déficit de productivité qui hypothèque également le niveau de notre croissance à long terme (appelée croissance potentielle).
Croissance potentielle
Estimation du taux de croissance du PIB lorsque les facteurs de production (travail, capital) sont utilisés de manière optimale, en l’absence de tension sur le marché des biens et services et sur celui du travail.
La note du CAE le souligne l'importance de l’enseignement des mathématiques. Aujourd’hui, les emplois qui progressent le plus (dans le total des emplois) sont précisément ceux qui réclament le plus de compétences en mathématiques. Autrement dit, on n’a jamais eu autant besoin des mathématiques pour réussir sa carrière professionnelle.
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Or, depuis la réforme du lycée impulsée par Jean-Michel Blanquer, l’ancien ministre de l’Education nationale, les élèves n’étaient plus dans l’obligation de faire des mathématiques (près de 45 % des lycéens de première ont alors abandonné les maths). « Ayant établi l’importance croissante des compétences mathématiques […], nous montrons maintenant que la France affiche des faibles performances dans ces domaines clés. L’offre de compétences en France est faible aujourd’hui, elle a diminué au cours des dernières décennies, même pour les meilleurs élèves » écrivent les auteurs de la note du CAE. C'est ce que montrent les classements internationaux (l'enquête PISA par exemple) : la dégradation du niveau moyen en mathématique est très nette.
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On pourrait espérer que les meilleurs élèves français conservent un excellent niveau. Las, la note du CAE indique que les élèves du haut de la distribution voient aussi leur niveau se dégrader et dans les mêmes proportions que la moyenne des élèves. Elle établit qu’une hausse de 10 points des résultats PISA de la France (hausse qui permettrait de réduire de moitié l’écart avec l’Allemagne dans ce classement) se traduirait par une hausse de la croissance économique de 0,20 point de pourcentage chaque année à long terme. Sur quinze ans, cela donnerait une hausse du PIB de 3 %.
Il est donc très important que nos élèves acquièrent de meilleures compétences en mathématiques. L’augmentation de l’offre de cette discipline en 6ème et au lycée à partir de septembre 2023 est donc une mesure qui va dans le bon sens. Une direction nécessaire mais sans doute pas suffisante.
Pour aller plus loin.
« Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité », Maria Guadalupe, Xavier Jaravel, Thomas Philippon et David Sraer, septembre 2022.