C’est l’une de ces relations logiques que tous les macroéconomistes en herbe apprennent à maîtriser : quand la croissance des emplois est supérieure à celle de la richesse produite, la productivité baisse. La productivité par tête rapporte en effet la valeur ajoutée au nombre de personnes en emploi. En France, entre fin 2019 et fin 2022, la richesse générée par le secteur marchand a augmenté de 1,2 % seulement quand l’emploi dans ce secteur croissait, lui, de 4,6 %. On en déduit que la productivité par tête a chuté de 3,4 %. En tenant compte de la croissance tendancielle de la productivité depuis 2000 (+0,85 % par an), la France a perdu près de 6 points d’efficacité productive ces trois dernières années, une baisse d’une ampleur inédite depuis au moins 1980.
C’est à cette conclusion que parviennent les macroéconomistes de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE). Compte tenu à la fois de la faiblesse de la croissance économique entre 2019 et 2022 et de la trajectoire de long terme de la productivité, ils estiment que 270 000 emplois marchands auraient dû être détruits dans l’économie française1. Or nous en avons créé 797 000 sur la période. Cet écart entre le nombre d’emplois effectivement créés et le nombre d’emplois normalement attendus est à l’origine de la chute de notre productivité.
Lire aussi > Croissance en berne, recul du chômage : d'où vient ce paradoxe ?
Préférence pour le loisir
Selon l’OFCE, 26 % de l’écart à la normale résultent d’abord des mesures de soutien aux entreprises pendant et après la pandémie. Au plus fort de la crise sanitaire, les aides directes ont mis sous oxygène des entreprises peu productives et maintenu leurs salariés en emploi. Le chômage partiel a permis, lui, à des centaines de milliers de travailleurs de garder leurs emplois sans travailler, donc sans produire. Encore aujourd’hui, de l’agroalimentaire à l’automobile, ce dispositif est activé par des dizaines d’employeurs pour cesser ou ralentir temporairement la production tout en conservant les effectifs.
24 % de l’écart entre le niveau réel et le niveau attendu de l’emploi, et donc une proportion égale de la baisse de la productivité, sont ensuite attribués à l’essor de l’alternance. Le nombre de travailleurs en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation est en effet passé de 700 000 fin 2018 à 1,1 million fin 20222. Or les statisticiens publics comptabilisent un emploi en alternance comme un emploi classique alors même que les alternants sont moins productifs.
Lire aussi > L'apprentissage, succès durable ou effet d'aubaine ?
18 % de cet écart s’expliquent enfin par un repli du temps de travail des salariés. La pandémie a conduit les salariés français à développer une « préférence pour le loisir » plus marquée qu’auparavant. Face aux demandes de temps partiel et aux refus d’heures supplémentaires plus fréquents, les entreprises ont donc dû embaucher.
Au total, 68 % de la baisse de la productivité actuelle s’explique par ces trois facteurs listés par l’OFCE. Les 32 % restants tiennent à des causes multiples et plus secondaires. On y trouve notamment la rétention de main-d’œuvre par les entreprises pour faire face à des hausses futures de la demande ou encore une plus grande tendance des employeurs à déclarer des travailleurs auparavant employés au noir, pour bénéficier du chômage partiel.
Lire aussi > Productivité. ChatGPT va-t-il rendre obsolète le paradoxe de Solow ?
Pour aller plus loin
1. « Perspectives 2023-2024 pour l’économie française », OFCE Policy Brief n°113, avril 2023.
2. « Quel impact de la hausse de l’alternance depuis 2019 sur la productivité moyenne du travail ? », Fanny Labau et Adrien Lagouge, Dares Focus n°5, janvier 2023.