Pourquoi lui ?
Gedeão Locks est un économiste brésilien installé en France et doctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il s’intéresse notamment à l’évaluation des politiques publiques. Des données relatives au sans-abrisme en France lui ont donné envie, en 2018, de chercher à savoir si le Revenu de solidarité active (RSA) pourrait avoir un effet sur la vie des jeunes dans cette situation.
Cinq ans plus tard, ses travaux réalisés avec son directeur de thèse, Josselin Thuilliez, sont enfin publiés dans la revue de référence Journal of Urban Economics (The impact of minimum income on homelessness : Evidence from France).
Pour l’Éco. Pourquoi vous êtes-vous penché sur ce sujet ?
Gedeão Locks. Lorsque j’étais encore assistant au CNRS, je travaillais sur des données de l’Insee et de l’Institut national d’études démographiques (Ined) relatives au recensement des personnes qui utilisent des services d’hébergement et de distribution de repas en France métropolitaine. J’ai ensuite cherché à savoir si le RSA – quel sujet fascinant ! – pourrait aider cette population à sortir de la rue ou à trouver un logement stable.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la méthode consistant à donner directement de l’argent aux gens pour savoir si cela les aidera à sortir de la rue reste relativement inusitée en sciences sociales. Ces données m’ont permis d’obtenir un groupe de traitement et de commencer à travailler là-dessus.
Vos hypothèses de départ ont-elles été validées ?
J’avais bien sûr en tête que recevoir 500 à 600 euros par mois, au lieu de zéro, aurait probablement un effet positif sur la capacité des jeunes sans-abri à trouver un logement. Et en effet, mes travaux m’ont permis d’établir qu’aux alentours de 25 ans [seuil à partir duquel on peut légalement percevoir le RSA, hors exception, NDLR]), toucher le RSA réduit de 20 % la probabilité d’être sans-abri. Cela aide à trouver un logement dans de meilleures conditions, même si le temps que cela peut prendre varie selon les personnes.
Mais l’argent n’est qu’une partie de l’équation. Le versement du RSA permet aussi à ces jeunes de mettre un premier pied dans la structure sociale qui gère cette aide. C’est un point d’entrée dans le système d’aide français, particulièrement généreux, mais complexe. Le système social en France est très interconnecté : Il est parfois difficile de savoir où commence un programme d’aide et où termine l’autre. Une fois familier des processus, le récipiendaire peut devenir peu à peu un locataire qui paye régulièrement son loyer et se réintégrer dans la société.
Comment avez-vous procédé ?
Mes travaux ont beaucoup évolué en cinq ans, jusqu’à obtenir quelque chose qui tienne la route, en utilisant une méthode de Régression sur discontinuité (RSD), que l’on retrouve souvent dans les études sur le marché du travail. Dans notre cas, il existe une discontinuité autour de l’âge de 25 ans : à 24 ans, pas de droit au RSA mais à 25 ans, ce droit est là.
Cela nous permet de mener une expérience comme dans un laboratoire : les plus de 25 ans sont notre groupe de traitement, les jeunes de 24 ans sont le groupe témoin. Donc s’il y a une différence significative dans les taux de sans-abrisme, cela ne peut s’expliquer que par le RSA, à la fois financièrement et psychologiquement.
En parallèle, j’ai étudié la littérature de nombreux pays sur ce sujet, des expérimentations réalisées au Canada, aux États-Unis, en Finlande, etc. Dans ce domaine, on connaît bien les conséquences de telles mesures, mais moins les causes. L’idée étant in fine de savoir comment dépenser l’agent public de la manière la plus efficace possible.
Or, mes travaux montrent qu’en abaissant l’âge d’éligibilité du RSA jusqu’à 18 ans, l’État pourrait récupérer au moins 60 % de ses coûts d’investissement. Et pourtant, à l’origine, le RSA est une aide sociale qui n’est pas destinée à lutter contre le sans-abrisme !
Si un décideur politique vous consacrait deux minutes, que lui diriez-vous de vos résultats de recherche et des politiques publiques à mettre en place ?
D’abord, que nous avons besoin d’un nouveau recensement des sans-abri en France. Ce genre de données relatives aux politiques publiques manquent cruellement. Le dernier, c’était il y a 11 ans. Que s’est-il passé depuis ? On constate, en se baladant dans la rue, dans les grandes villes, que cette population a beaucoup évolué.
Ensuite, en toute humilité, je dirais simplement que nos résultats viennent appuyer l’intérêt d’étendre la plage d’âge d’obtention du RSA de manière bien ciblée et de créer un programme spécifique. Nos résultats indiquent qu’il pourrait y avoir plus de bénéfices que de coûts, permettant d’avoir un effet positif sur une population très vulnérable et coûteuse pour l’État (soins, réinsertion, etc.).