Economie

"Prime Covid" : un coup de pouce à double tranchant

Pour récompenser les salariés engagés dans la lutte contre la crise du Covid-19, l’État incite les structures publiques ou privées, via un mécanisme fiscal avantageux, à verser des primes. Si cette somme peut gonfler le pouvoir d’achat des ménages concernés, elles limiteraient, à terme, la hausse des salaires. Le personnel soignant, qui manifeste ce mardi 16 juin, veut voir ses revenus mensuels augmenter durablement.

Nassira El Moaddem
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Illustration de l'article "Prime Covid" : un coup de pouce à double tranchant

© Patrick ALLARD/REA

Saliha* est déçue et en colère. Aide-soignante depuis cinq ans dans un hôpital des Bouches-du-Rhône, elle a reçu son salaire du mois de mai 2020. Résultat : pas de prime Covid pouvant aller jusqu’à 1 500 euros, pourtant promise par le gouvernement aux soignants des établissements concernés. “Fin avril, la direction de l’hôpital nous avait informés qu’ils attendaient de recevoir des éléments supplémentaires sur les conditions de versement de la prime."

Comme Saliha, nombreux sont les salariés du privé et du public à s’être vus promettre des primes ces dernières semaines. C’est Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances qui, le premier, avait ouvert le bal le 21 mars 2020 sur LCI, une semaine après le début du confinement. “Annoncer cette prime c’était une manière d’inciter les gens à aller travailler, une sorte de carotte tendue car beaucoup de salariés s’étaient mis en arrêt, dans les supermarchés notamment”, analyse Amar Lagha, secrétaire de la Fédération Commerce et Services de la CGT.

Les primes sont présentées par les managers comme une manière de récompenser des salariés mobilisés, comme lors de cette crise sanitaire. Dans d'autres cas, notamment pour les cadres, les primes sont des indicateurs de performances. Si les objectifs commerciaux sont remplis, le salarié se voit verser une rémunération supplémentaire.

Un mécanisme avantageux pour les entreprises

La prime s’appuie sur le dispositif de la PEPA, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, dite prime Macron, créée en décembre 2018 en réponse aux revendications des gilets jaunes. Elle donnait la possibilité aux entreprises de verser une prime exonérée de charges sociales et fiscales à la fois pour l’employeur mais aussi pour le salarié. Même esprit pour la prime 2020 dite "prime Covid", exonérée de charges fiscales et sociales jusqu’à 1 000 euros sans accord d’intéressement dans l’entreprise ; et jusqu’à 2 000 euros avec accord. Le versement de la prime Covid doit être effectif avant le 31 août 2020.

Éco-mots

Accord d’entreprise

C’est un texte négocié et signé entre la direction d’une entreprise et les représentants des salariés (délégués syndicaux, des élus ou des salariés). Ce document vise à adapter les règles prévues par le code du travail à la spécificité de l’entreprise.

C’est la grande distribution qui, la première, a annoncé qu’elle verserait la prime à ses salariés pour récompenser leur mobilisation. Auchan s’est engagé, le 22 mars, à distribuer une prime forfaitaire de 1 000 euros à 65 000 salariés. Mais la promesse ne dura pas longtemps : un mois plus tard, l’entreprise, propriété de la famille Mulliez, faisait marche arrière annonçant finalement une prime non plus forfaitaire mais au prorata du temps de travail effectué. La loi autorise en effet les employeurs à verser des montants de prime différents selon les travailleurs en fonction de leur rémunération, des conditions de travail et du temps de travail effectif. Les arrêts maladie, y compris ceux liés au Covid-19, ne sont pas considérés comme du temps de travail effectif et ne rentrent donc pas en compte dans le calcul de la prime.

Des hausses de salaires plutôt que des primes

“Accepter le jeu de la prime, c’est accepter que le niveau de vie des salariés continue de baisser. Dans la grande distribution par exemple, des femmes à temps partiel reçoivent des salaires de 800 euros par mois. Les primes ne règlent jamais le problème de la précarisation du travail”, poursuit le représentant des salariés. Seule solution pour plusieurs syndicats : une hausse des salaires d’au moins 300 euros nets.

"Ces primes posent un vrai problème car elles ne règlent pas la question de la valorisation de ces métiers, appuie Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre. Il y a une inversion systématique entre l’utilité sociale de ces métiers et les salaires qui leur sont versés. Cela montre aussi que ces professions, souvent occupées par des femmes, ne sont pas vues comme des métiers qui nécessitent une reconnaissance décente par le salaire".

Une prime exclue du calcul de la pension de retraite

Ce raisonnement anime les personnels soignants réunis depuis le 26 mai 2020 autour du gouvernement pour le "Ségur de la Santé", une vaste concertation de sept semaines qui doit, entre autres, déboucher sur des hausses de salaires des personnels soignants. Le corps médical ne veut pas se contenter de primes ponctuelles. Les syndicats, dans une large coalition (CGT, FO, SUD, Unsa), et les collectifs hospitaliers (Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences) manifestent justement ce mardi 16 juin. Ils expriment leur revendication portée depuis plusieurs années : une augmentation mensuelle d’au moins 300 euros nets qui passe par une revalorisation du point d’indice, gelé depuis 2017. Il sert de base au calcul des salaires des agents publics, y compris ceux de la fonction publique hospitalière.

“Mon traitement de base est de 1 560,45 euros brut par mois alors que j’ai cinq années d’ancienneté. Je touche chaque mois des petites primes, de résidence, de nuit qui me permettent de monter à 1 700 euros pour un loyer à payer de 620 euros". Ni ces petites primes que Saliha touche tous les mois ni la prime qui doit en principe lui être versée dans le cadre du Covid-19 ne seront d’ailleurs prises en compte pour le calcul de sa future pension de retraite.

Crédit photo : Patrick ALLARD/REA

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