L’aura de la maison d’arrêt des Baumettes, on la ressent jusque sur la petite terrasse d’un café de la place de l’église de Mazargues. À deux kilomètres de la célèbre prison marseillaise, avec ses 153 % de surpopulation carcérale, rien à faire, « ça me colle à la peau ».
Patrick Merly n’a connu dans sa vie qu’un seul métier : surveillant pénitentiaire. Aux Baumettes, mais aussi à Fresnes, La Santé, Orléans ou Lannemezan (Lot-et-Garonne). Autant dire qu’il la connaît « la cabane », comme il l’appelle.
Quel regard porte ce désormais retraité et auteur sur la prison ? « C’est un univers à part, malsain et violent. » Parole de maton.
Au 1er février 2022, on comptait 69 964 détenus dans les prisons françaises, selon le ministère de la Justice… pour un peu plus de 60 000 places. Après une baisse significative des incarcérations pendant l’année 2020 par crainte d’une propagation du Covid-19, le nombre de détenus a augmenté à nouveau en 2021 (+9,7 % par rapport à l’année précédente).
Le taux d’occupation des prisons françaises atteint désormais 115 %. Cette proportion interpelle, mais elle masque de fortes disparités entre les établissements. Les maisons d’arrêt (pour les prévenus en attente de condamnation) sont bien plus surpeuplées que les autres prisons. En moyenne, elles le sont autour de… 137 %.

« Certains établissements dépassent même les 200 % de surcapacité », indique Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Lorsqu’elle nous répond, elle revient tout juste d’une visite à la maison d’arrêt de Tours.
« Là-bas, la prison atteint 210 % de surpopulation. On parque trois détenus dans des cellules de 12 m² », détaille-t-elle avant de préciser : « Ce que j’y ai vu m’a secouée. »
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ne s’y est pas trompée. En janvier 2020, elle a condamné la France pour « surpeuplement chronique ». Depuis plusieurs années, la France est le seul pays de l’Union qui voit sa population carcérale augmenter.
Partout ailleurs, les chiffres sont en baisse. « J’ai toujours connu les prisons pleines. La promiscuité est abominable », confie Patrick Merly. Le Conseil de l’Europe compile justement les effectifs dans les prisons de ses pays membres dans un rapport nommé « Space ».
Au 1er janvier 2021, l’Hexagone occupait la septième place du classement… en partant de la fin, loin derrière l’Allemagne, l’Espagne, la Hongrie ou la Moldavie.
40 000 euros par détenu
Et cette politique carcérale coûte cher. En France, un détenu « coûte » entre 110 et 160 euros par jour, soit environ 40 000 euros par an. Multiplié par les presque 70 000 détenus qui occupent les prisons françaises, ce sont plus de deux milliards d’euros dépensés chaque année pour l’incarcération des détenus.

À cette enveloppe, il faut ajouter le budget dédié à la construction de nouvelles places de prisons. À chaque gouvernement son plan immobilier pénitentiaire. Au lendemain de son élection, en 2017, Emmanuel Macron s’attelle à faire voter le « plan 15 000 », soit 8 000 nouvelles places de prison d’ici à 2027, venant s’ajouter aux 7 000 déjà prévues.
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Objectif fixé : atteindre un encellulement individuel à 80 %. « Plus de 1,7 milliard d’euros de crédits mobilisés d’ici la fin du quinquennat », assure à ce moment-là Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux.
En tout, 10 milliards d’euros sont dépensés pour la construction de 20 000 places de prison supplémentaires en 10 ans par les gouvernements Sarkozy, Hollande et Macron.
Construire de nouvelles places de prisons, est-ce la solution pour résorber la surpopulation ? « C’est une fumisterie !, s’exclame Patrick Merly. C’est bien beau de condamner les gens, mais après, il faut s’occuper des mecs, leur donner à manger, leur trouver un lit et les occuper », rappelle-t-il.

D’autant que l’existant mériterait déjà une mise à niveau. « En 2017, on estimait qu’une prison sur trois nécessitait des travaux de rénovation lourds », précise Prune Missoffe, responsable plaidoyer à l’Observatoire international des prisons (OIP).
« Cette année, 80 millions d’euros sont consacrés à ces travaux, or la seule prison de Fresnes nécessiterait à elle seule 500 millions d’euros », renchérit-elle.
Le dogme : les condamnés doivent en baver
Cette politique carcérale de masse produit-elle des effets ? Enfermer permet-il d’empêcher les condamnés de récidiver ? Rien n’est moins sûr. C’est même le ministère de la Justice qui le dit.
Dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines votée sous le gouvernement Hollande, le constat est sans appel : « La récidive – entendue comme le taux de recondamnation – est toujours moindre après des sanctions non carcérales. »
On y apprend que 61 % des détenus passés par la case prison sont réincarcérés dans les cinq ans. Et que seulement 32 % des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement en mode sursis avec mise à l’épreuve sont recondamnées à de la prison ferme.
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« Ma conviction, c’est que la grande majorité des détenus n’a rien à faire en prison », avance une conseillère du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui tient à garder l’anonymat. Tous les interlocuteurs interrogés en conviennent : plus la peine est sévère, plus le taux de récidive est élevé.
Si, face à la récidive, elle est coûteuse et moins efficace que les peines alternatives, comment expliquer la poursuite de la politique du tout-carcéral ? « Je nous vois comme un vieux pays qui manque d’audace, avance Dominique Simonnot. C’est ancré dans la mentalité de beaucoup de politiques et de magistrats : il faut que les condamnés en bavent. »
Et Patrick Merly d’ajouter : « On devrait pouvoir proposer autre chose que l’enfermement. Une meilleure prise en charge est possible, il serait temps de rattraper notre retard. »
Travailler dehors, ça change tout
Si la prison coûte cher, les peines alternatives ont le mérite d’être plus « abordables ». Une journée en régime de semi-liberté est évaluée à 50 euros, le placement extérieur à 33 euros et le bracelet électronique à 10 euros, d’après l’OIP.
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Ce bracelet, Jordan le porte depuis 10 mois. Plusieurs arrestations au volant sans permis l’ont conduit au trou. Bêche à la main, il déboule à la sortie d’un champ, le pantalon plein de terre. Il s’apprête à terminer sa journée sur l’exploitation gérée par Graines de Soleil, une AMAP d’insertion, comme elle aime se qualifier, installée à Châteauneuf-Les-Martigues, dans les Bouches-du-Rhône.
Ici, 32 personnes sont en contrat d’insertion, dont quatre sont des détenus en aménagement de peine ou détenteurs de bracelet électronique. En tout, 55 à 60 personnes passent ici chaque année produire 30 tonnes de fruits et légumes bio, vendus aux habitants du coin dans des paniers, sur le modèle des AMAP ou auprès de restaurants locaux.
« Travailler ici, dehors, c’est inespéré », confie Jordan. La prison ? « Une bonne claque. Ça m’a puni à un moment où j’en avais besoin. »
Il est papa depuis trois mois, « raison de plus pour en finir avec les conneries. Ce contrat m’a permis de passer mon code, de prendre des heures de conduite, d’obtenir plusieurs certifications pour piloter des tractopelles. Ça m’a aidé à reprendre confiance en moi », raconte-t-il.
Bob enfoncé sur le crâne, clope roulée entre des doigts chargés de bagues imposantes, embonpoint planqué sous le T-shirt et quelques dents en moins, Olivier fait fuser les mots sous une serre surchauffée : « Nique ta mère… En prison, c’est la phrase que tu entends partout, tout le temps. Dedans, c’est la jungle. »
Transpirant, mais souriant, comme un détenu en semi-liberté, il retrace son parcours. « Quand tu sors de prison, c’est impossible de changer de mentalité comme ça, en quelques mois. Ici, ils sont patients. J’ai appris à écouter, à m’exprimer, à demander de l’aide, j’ai pu retrouver un logement et je me sens vraiment mieux aujourd’hui. »
« L’idée de jardiner, c’est aussi de se reconnecter à la terre, commente Sam, animateur de l’association. Ça fait un peu “cui-cui les petits oiseaux”, mais on se fatigue, on se donne du mal pour récolter le fruit de ce travail, c’est hyper-valorisant pour les mecs. » Il n’y a pas que des détenus qui bêchent.
Chômeurs de longue durée, bénéficiaires de minima sociaux, personnes éloignées de l’emploi travaillent côte à côte. « Ici, un etit lascar va côtoyer un réfugié tibétain et c’est voulu. Les gens apprennent les uns des autres. Comment imaginer réinsérer des détenus dans la société si on se contente de les parquer ensemble ? », s’interroge Jonathan Monserat, directeur de la structure, avant d’affirmer fièrement : « 76 % des gens qui passent par chez nous trouvent une formation ou un emploi à l’issue de leur contrat. »
De quoi inspirer de nouveaux projets alternatifs pour les détenus ? La route est encore longue. La loi de 2014 ne disait pas autre chose : « Bien que faisant l’objet d’un large consensus positif, la libération conditionnelle a concerné en France, en 2012, moins de 8 000 personnes contre plus de 40 000 en Allemagne. »