Economie
Promesses et limites de la croissance verte
Conjuguer expansion économique, préservation des ressources naturelles et développement social harmonieux sur la planète… la croissance verte repose sur ce postulat ambitieux et, selon certains, utopique.
Béatrice Madeline
© pixabay
Au XIXe siècle, la révolution industrielle a introduit une véritable rupture dans le modèle de développement de l’humanité. L’invention du moteur à explosion, du chemin de fer, la création des premières industries lourdes, l’expansion du commerce international, changeait tout. Pour la première fois, le progrès et la vie des hommes semblaient pouvoir s’affranchir des limites imposées par la nature. Le XXe siècle a poursuivi sur cette lancée, avec une croissance fondée sur une production des biens et services toujours plus importante. À la clé, dans les pays occidentaux, une élévation inconnue jusqu’alors du niveau de vie et donc de la consommation.
Deux cents ans plus tard, le schéma est à bout de souffle. Les ressources naturelles s’épuisent, le changement climatique inquiète et les inégalités sont criantes d’un bout à l’autre de la planète. En 2008, le monde a plongé dans l’une des pires crises économiques de l’histoire. Onze ans plus tard avec la Covid-19, la prise de conscience se fait d'autant plus grande. Impossible de poursuivre dans cette voie, car elle mène dans le mur.
Mais par quoi remplacer notre modèle de développement ? Comment assurer aux générations futures une croissance suffisante pour conserver un mode de vie gourmand en ressources, alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter ? De 6,2 milliards d’habitants en 2000, elle sera de 9,2 milliards d’habitants en 2050 selon les dernières projections démographiques. Cette population aspire naturellement à un niveau de vie en progression.
Un compromis
Une première réponse arrive en 2009, juste après l’explosion de la crise financière. Les ministres de 34 pays de l’OCDE signent une déclaration dans laquelle ils s’engagent à « accentuer leurs efforts pour mettre en œuvre des stratégies de croissance verte en réponse à la crise actuelle ». Au-delà, ils reconnaissent que “croissance” et “souci de l’environnement” peuvent aller de pair. L’Organisation est chargée d’élaborer une véritable stratégie globale intégrant les aspects économiques, environnementaux, sociaux, technologiques et de développement. C’est un compromis : conserver les conditions de la croissance économique grâce à l’investissement et à l’innovation, mais limiter les externalités négatives telles que l’épuisement des ressources. Les dérives de la finance et le creusement des inégalités ne sont pas oubliés. Le concept a désormais un nom : croissance verte.
450 000
emplois dans les "éco-activités" aujourd'hui en France, dont 59 % dans la protection de l’environnement, 24 % dans la gestion des ressources (eau, énergie) et 17 % dans les activités transversales (R & D, ingénierie). Le traitement des déchets mobilise à lui seul 91 000 emplois, la gestion des eaux usées, 72 000 et les énergies renouvelables, 55 000.
Plan d’attaque multidimensionnel
Il ne s’agit pas seulement de conjuguer croissance et préservation du climat, même si le développement durable est une dimension essentielle et transversale de la stratégie. Il ne s’agit pas non plus d’instaurer une croissance zéro ou de prôner la décroissance. Non, l’idée est plutôt d’imaginer un modèle de développement entièrement nouveau, plus sobre en carbone, plus économe en ressources dont il convient désormais de maximiser le potentiel. Le nouveau modèle se veut à la fois plus social et tourné vers l’investissement et l’innovation, pour créer de nouvelles voies de progrès. L’OCDE met en place plusieurs piliers de sa stratégie : restructuration et renouveau des industries, soutien aux technologies vertes et innovation, développement des emplois verts et des aspects sociaux de la croissance, élaboration d’une fiscalité plus verte et plus égalitaire ; assainissement des financements publics. En juin 2012, la stratégie de croissance verte de l’OCDE constitue l’une des contributions majeures à la Conférence Rio + 20.
Parallèlement, fidèle à l’approche pragmatique des Anglo-Saxons, l’OCDE met en place des indicateurs pour mesurer de manière concrète les progrès obtenus. La croissance verte est donc à la fois un concept et un plan d’action qui fait l’objet d’un suivi permanent et se traduit dans la trentaine de pays membres par des inflexions de politiques.
En France, la loi de transition énergétique
En France, cette déclinaison prend forme en 2015 avec la loi de transition énergétique. Elle affiche un objectif ambitieux : diviser par deux la consommation d’énergie d’ici 2050, grâce à un arsenal de mesures, notamment la construction de bâtiments moins énergivores et l’installation de compteurs intelligents chez les particuliers.
Éco-mots
Aussi appelé bouquet énergétique, il désigne la répartition des différentes sources d’énergies primaires utilisées pour les besoins énergétiques dans une zone géographique donnée. Il inclut les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon), le nucléaire, les déchets non renouvelables et les diverses énergies renouvelables.
La loi veut réduire la consommation primaire d’énergies fossiles de 30 % d’ici 2030 et abandonner progressivement certaines énergies. Les dernières centrales à charbon fermeront d’ici 2022, la part du nucléaire dans la production électrique tomberait à 50 % en 2035, contre 71,7 % en 2018. Elle prévoit aussi une montée en puissance des énergies renouvelables dans le « mix » énergétique, leur part passant de 10,7 % en 2017 à plus de 30 % en 2030. Quant aux transports, ils doivent devenir plus durables et moins consommateurs d’énergie, par exemple en réduisant la vitesse sur les routes. Troisième volet, l’économie circulaire et la gestion des déchets. Le volet social n’est pas oublié : 100 000 créations d’emplois devraient découler de ces mesures, sur trois ans.
Les prémisses de la finance verte
La loi sur la transition énergétique vise aussi à un « verdissement » de la finance. Difficile, en effet, d’imaginer relever le défi de la croissance verte sans que les acteurs de la finance fassent leur aggiornamento. Pourquoi ? Les banques, assurances et autres établissements financiers jouent un rôle essentiel dans l’orientation des choix d’investissements, en raison des masses considérables d’argent qu’ils gèrent et placent pour le compte des entreprises ou des particuliers. Qu’ils décident de financer l’éolien plutôt que le nucléaire, de soutenir une industrie qui pratique l’extraction de ressources plutôt qu’une industrie « propre » n’est donc pas anodin.
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Pour la première fois, l’idée de publier des informations sur les critères environnementaux, sociaux, et de gouvernance propres aux investissements apparaît. La loi de transition énergétique rend obligatoire la publication de ces critères dits « ESG » par les investisseurs institutionnels.
Enfin, la dimension budgétaire, stratégique dans les choix de développement, est prise en compte. En septembre 2019, l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ont présenté une nouvelle méthode budgétaire visant à recenser les dépenses et recettes du budget de l’État ayant un impact environnemental. Son objectif : intégrer dans le budget des engagements climatiques et environnementaux.
Croissance zéro ?
Si louable et vertueuse qu’elle soit, la « croissance verte » n’échappe pas à la critique. Pour certains économistes ou responsables politiques, le choix même de poursuivre sur la voie de la croissance est une aberration. D’abord parce que le niveau de vie ne peut pas s’aligner sur la croissance démographique. Selon eux, les ressources disponibles ne suffiront pas. Une alternative est parfois avancée, mais elle est explosive : il s’agirait d’assurer les conditions d’une croissance démographique zéro. Autre critique, le « verdissement » de l’industrie ou de l’économie implique un coût environnemental : brûler ou recycler les déchets, par exemple, consomme de l’énergie et produit des substances nocives.
Pour ces observateurs, la seule voie réaliste est celle de la croissance économique, voire de la décroissance : réduire les niveaux de vie, renoncer à la course au PIB, au nom d’une autre forme de progrès. Mais lequel ? Avec quels indicateurs et quelle gouvernance ? Les questions sont beaucoup plus nombreuses que les réponses.
L’introuvable gouvernance verte
Orienter les politiques publiques et les stratégies des entreprises pour aller vers un modèle de croissance verte ? Un impératif, qui doit passer par une évolution des modes de gouvernance, c’est-à-dire de la manière dont les décisions sont prises à la tête de ces organisations. Faute de quoi les incantations et déclarations risquent fort de rester… juste cela.
Or, si la prise de conscience de cet impératif s’est brusquement accélérée ces derniers mois, la révolution de la gouvernance n’a pas eu lieu. En France, les démissions des ministres de l’Environnement et autres couacs gouvernementaux sur des mesures simples comme la réduction de la vitesse sur les routes ou sur la question du nucléaire, en disent long sur l’ampleur de la difficulté.
Quant à l’échelle supranationale… Conférences, sommets, accords se multiplient, mais sans articulation forte et surtout, sans instance multinationale unique chargée de l’impulsion, du contrôle et de la régulation. Le dossier des feux en Amazonie, l’été dernier, a démontré qu’il était délicat de laisser les États décider seuls. Mais l’idée de créer une Organisation mondiale de l’environnement, qui plane depuis plusieurs années, n’a jamais abouti.
Pourquoi cette incapacité des États à mettre en place cette gouvernance verte ? De nombreuses explications peuvent être avancées : la division, voire l’antagonisme nord-sud sur certains sujets ; la prééminence des intérêts commerciaux sur les intérêts environnementaux ; les rivalités de pouvoir entre les institutions internationales, voire entre les États ; le manque de volonté politique. Le résultat est désastreux : des pays aussi importants que les États-Unis refusent de ratifier des accords clés.
Selon Yvon Pesqueux, titulaire de la Chaire de développement des systèmes d’organisation au Conservatoire national des arts et métiers, une régulation mondiale des sujets environnementaux est nécessaire pour harmoniser les actions des différentes organisations. Cela passerait par une identification des acteurs et une « désappropriation » des ressources, qui deviendraient alors au sens propre du terme des biens communs à toute l’humanité.
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