Economie
Public, privé : qui pour gérer la santé ?
Sélection abonnésAvec la pandémie, ceux qui avaient pu l'oublier redécouvrent l’utilité irremplaçable de l’hôpital public, mais les lourdeurs étatiques grippent la logistique, alors que start-up et Big Pharma rivalisent dans la course au vaccin. L’économie de l’épidémie a inventé une nouvelle répartition des tâches.
Richard Robert
© Getty Images/iStockphoto
La santé est le bien public par excellence, la condition de tout le reste. Et la pandémie rappelle son importance fondamentale pour que l’économie fonctionne. Sans des citoyens salariés en bonne santé, capables de travailler et de consommer sans risques, rien n’est possible. Mais d’où vient la santé, qui la « fabrique » ?
La production de ce bien commun est partagée entre une multitude d’acteurs, certains publics, d’autres privés. L’État joue un rôle central. En France et ailleurs, pendant la crise du Covid, par exemple, il s’est mobilisé pour fournir masques et respirateurs alors qu’en temps normal, la production et la livraison de ces produits auraient été gérées par des acteurs privés selon de simples mécanismes de marché.
L’épaisse bureaucratie française
Mais la pandémie a aussi rappelé que l’État ne sait pas tout : LVMH, le groupe Bolloré, et d’innombrables PME du textile ont été plus réactifs que les États pour lancer les premières commandes massives de masques et les acheminer. C’est l’industrie du médicament, pas les États, qui a développé les vaccins. Et la logistique du vaccin a mis à rude épreuve les moyens publics.
La santé est le bien public par excellence, la condition de tout le reste. Et la pandémie rappelle son importance fondamentale pour que l’économie fonctionne. Sans des citoyens salariés en bonne santé, capables de travailler et de consommer sans risques, rien n’est possible. Mais d’où vient la santé, qui la « fabrique » ?
La production de ce bien commun est partagée entre une multitude d’acteurs, certains publics, d’autres privés. L’État joue un rôle central. En France et ailleurs, pendant la crise du Covid, par exemple, il s’est mobilisé pour fournir masques et respirateurs alors qu’en temps normal, la production et la livraison de ces produits auraient été gérées par des acteurs privés selon de simples mécanismes de marché.
L’épaisse bureaucratie française
Mais la pandémie a aussi rappelé que l’État ne sait pas tout : LVMH, le groupe Bolloré, et d’innombrables PME du textile ont été plus réactifs que les États pour lancer les premières commandes massives de masques et les acheminer. C’est l’industrie du médicament, pas les États, qui a développé les vaccins. Et la logistique du vaccin a mis à rude épreuve les moyens publics.
Deux milliards de dollars pour un médicament
Face aux futures pandémies, les États vont revenir au centre du jeu pour gérer la prévention et la détection. Mais pour le développement de vaccins et la disponibilité des tests, c’est l’écosystème d’innovation privé qui apportera la réponse la plus puissante et la plus rapide. L’alliance entre Pfizer et BioNTech fait figure de modèle. N’oublions tout de même pas l’importance de la recherche fondamentale, menée pour l’essentiel dans le secteur public.
La crise a révélé la qualité d’innovation dans le domaine médical. La lutte contre le cancer, le diabète, les maladies cardiovasculaires, fait des progrès constants. L’imagerie, la robotique (y compris les nanorobots agissant à l’échelle de la cellule), la prothétique (cœurs artificiels, exosquelettes), la chimie (nouvelles molécules), la biologie (thérapies géniques) ouvrent des champs nouveaux, tout comme les applications de l’Intelligence artificielle et du numérique, du traitement des données à la télémédecine.
Mais l’innovation est de plus en plus coûteuse. En 2018, une étude de Deloittte sur les 12 plus grandes sociétés biopharmaceutiques mondiales montrait que le coût moyen de la mise sur le marché d’un médicament atteignait près de deux milliards de dollars. Ces investissements très risqués ne sont possibles que par un financement public et la solvabilisation du marché par les grands systèmes assurantiels. Reste que chaque année supplémentaire d’espérance de vie coûte de plus en plus cher.
Du coup, la pandémie permet de comparer les systèmes de santé. Elle met en lumière les forces et les faiblesses des modèles nationaux, par exemple l’épaisse couche bureaucratique qui enrobe l’hôpital public en France et consomme une part significative de son budget.
Alors que, de l’autre côté du Rhin, le même niveau de financement produit des résultats bien meilleurs. La France disposait au début de la crise de 5 000 lits de réanimation, contre plus de 12 800 en Allemagne. Mais les hôpitaux publics ont su faire preuve d’agilité, se réorganiser et s’équiper à toute allure.
3 037 euros
Représentation des dépenses de santé par Français en 2018.
La crise est un révélateur de compétence et d’incompétence. C’est aussi un apprentissage accéléré à grande échelle. À l’arrivée, la frontière entre public et privé n’est plus tout à fait la même.
Une affaire sociale
En France, comme dans la plupart des pays développés, la santé est une affaire publique. Ou, plus précisément, une affaire sociale : son financement est presque entièrement socialisé. Quelques chiffres suffisent à comprendre pourquoi : en 2018, les dépenses de santé représentaient 3 037 euros par Français.
Merci les Américains !
Les États-Unis dépensent 17 % de leur PIB pour la santé (contre 10 % dans l’OCDE). Un modèle inefficace que l’économiste Branko Milanović compare à la destruction de valeur ajoutée en URSS. « Le système de santé américain dépense 100 et la valeur réelle de sa production est de 80 » (Twitter, 5 janvier 2021).
Les surcoûts se nichent en particulier dans les médicaments. Face aux Big Pharma, les 300 organismes financeurs américains sont incapables d’imposer des tarifs. Sur les 1 106 milliards de dollars du marché mondial du médicament en 2019, 47,5 % sont réalisés aux États-Unis (source IQVIA). Bref, les patients américains financent les investissements pharmaceutiques dont nous bénéficions.
C’est vrai dans tous les pays développés : les soins les plus coûteux sont concentrés sur une toute petite partie de la population. Voilà pourquoi tous les systèmes de santé sont financés par une socialisation (mutualisation) du risque de maladie et d’accident.
Dans l’économie de la santé, nous ne sommes pas des consommateurs, mais des assurés sociaux. D’autres modèles existent. Au Royaume-Uni, le cœur du système est financé par l’impôt.
Lire aussi : Covid-19 : Allemagne, Corée du Sud... Quels meilleurs systèmes de santé ?
En France, l’essentiel du financement est assuré par les salariés et leurs employeurs, via l’Assurance-maladie. Gérée par les partenaires sociaux dans un cadre budgétaire de plus en plus défini par le Parlement, celle-ci finançait 78,1 % de la Consommation de soins et biens médicaux (CSBM) en 2018, un chiffre en progression sur 10 ans. Le reste revient aux mutuelles et assurances (13,4 %).
Gagnerait-on à être assurés par des acteurs privés, aiguillonnés par la concurrence ? L’exemple américain, organisé autour de compagnies d’assurances, suggère que non. Avec des structures trop nombreuses, mal coordonnées, une partie des Américains reste hors système (et ne cotise pas) : l’ensemble occasionne des surcoûts.
Convergence des pays développés
La consommation de soins et de biens médicaux forme un bloc considérable : 203 milliards d’euros en 2018 (8,6 % du PIB, contre 2,6 % en 1950 !). Le secteur hospitalier représentait à lui seul près de la moitié du total : 97,1 milliards en 2019. La croissance des dépenses a été très forte dans les années 1950 et 1960, au moment où se constituait l’infrastructure sanitaire et où se développait l’Assurance-maladie. Elle est plus faible depuis la fin des années 80.
Lire aussi : Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam)
Depuis les années 70, on assiste à une convergence au sein des pays développés. L’indicateur de référence ici n’est pas la CSBM, mais la « dépense courante de santé au sens international », qui intègre la prévention. En France, elle s’établissait à 266 milliards d’euros en 2018, soit 11,3 % du PIB, au même niveau que l’Allemagne ou la Suède.
La moyenne de l’UE15 est à 10 %. La Suisse (12 %) n’est devancée que par les États-Unis, qui détiennent le record de l’OCDE avec 17 % du PIB en 2017.
Négocier les prix
Ces sommes énormes, comment sont-elles dépensées, elles achètent quoi ? D’une part, les biens sont principalement produits par le privé, avec deux industries de pointe très développées : les dispositifs médicaux (surtout des PME) avec 20 milliards de chiffre d’affaires et les laboratoires pharmaceutiques, secteur dominé par quelques grandes entreprises – dont le géant français Sanofi – qui exportent 50 % de leur production.
Les médicaments, pour leur part, représentent près de 20 % des dépenses de santé. Ici aussi, l’utilité du secteur privé ne se discute pas. Mais la fixation des prix avec l’Assurance-maladie est houleuse et le médicament est un marché très régulé. C’est l’ampleur du marché français, grâce à l’Assurance-maladie, qui a permis l’essor d’une industrie très exportatrice.
Salarier les médecins
Du côté des services, c’est un peu plus compliqué. Les soins courants sont le domaine de la « médecine de ville », exercée hors de l’hôpital, principalement par le secteur privé. Avec 56,5 milliards en 2018, elle représente un gros quart des dépenses.
Elle va des médecins libéraux à d’autres professions (masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, infirmiers) exerçant soit comme salariés, soit en indépendants.
Une partie d’entre eux, notamment des médecins généralistes ou spécialistes, pratiquent des tarifs libres. Mais le « conventionnement » amène nombre de professionnels à pratiquer les tarifs réglementés. Le vaste continent de la médecine de ville s’inscrit ainsi dans un cadre étroit, sans beaucoup de marge de manœuvre.
Au point qu’on doit se poser la question : est-ce vraiment un secteur privé ? Ne serait-il pas plus simple d’en faire des salariés de l’Assurance-maladie ? Après tout, elle est leur principale cliente. On voit aussi pointer une remise en cause de la liberté d’installation dont ils bénéficient, cette liberté étant une des sources de la formation des déserts médicaux.
Ni confusion ni opposition
Comme un paradoxe n’arrive jamais seul, au moment où la médecine libérale est peu à peu aspirée vers le service public, l’hôpital public lorgne vers le privé. Au 31 décembre 2015, le secteur hospitalier français était constitué de 3 089 structures, dont 1 389 du secteur public, 1 009 cliniques privées à but lucratif et 691 à but non lucratif. Le public reste ici au centre du jeu. Le cœur des missions de service public, par exemple les urgences, y est concentré. L’hôpital public est également connecté étroitement aux facultés de médecine, ce qui en fait un lieu d’enseignement et de recherche. Mais c’est un monde en crise, qui s’interroge sur ses façons de faire.
La pandémie a fait apparaître certains travers du management public : stagnation des rémunérations et attractivité, lourdeur des procédures, surcouche administrative trop épaisse. Inversement, certains choix des dernières décennies, comme la tarification à l’acte et la logique de financiarisation, ont été accusés de contribuer à une crise de l’hôpital en alignant le service public sur les logiques du secteur privé. La qualité des soins, la qualité du travail, ne seraient plus que des éléments de second ordre dans des structures obsédées par la réduction des coûts, où les gestionnaires auraient pris le pouvoir.
La crise a permis des apprentissages croisés. De grandes structures publiques, comme l’AP-HP, ont su renouveler leur organisation. Les cliniques privées, écartées alors qu’elles avaient des capacités et des compétences, ont fait valoir leur inscription dans une œuvre de service public qui n’est pas incompatible, à leurs yeux, avec un statut de droit privé.
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