Dans le même temps est apparu un phénomène de « divergence des territoires » : les villes ayant initialement une part importante d’emplois qualifiés – généralement de grandes villes – ont vu cette part encore augmenter tandis qu’à l’inverse, les villes comptant une proportion importante d’emplois peu qualifiés – généralement des villes de taille modeste – ont créé encore plus d’emplois de ce type.
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La polarisation des emplois et la divergence des territoires ont ainsi évolué de concert. Une étude récente montre que la France a été particulièrement frappée par ce double mouvement.
Polarisation des emplois
Cette étude s’est penchée de manière exhaustive sur le sort des emplois dans les 117 villes françaises de plus de 50 000 habitants sur la période 1994-2015. Le graphique résume les principaux résultats. En premier lieu, il met clairement en évidence le mouvement de polarisation des emplois.
Dans l’ensemble des agglomérations, la part des emplois moyennement rémunérés a diminué sur cette période, tandis que celle des emplois hautement ou faiblement rémunérés a augmenté. Mais ces mouvements ne sont pas de même ampleur selon la taille des villes : c’est le phénomène de divergence des territoires.
Dans les grandes villes, la part des emplois moyennement rémunérés a diminué de 18 points, tandis que dans les villes moyennes et petites, la baisse est respectivement de 12 et 13 points. Le graphique montre aussi que dans les grandes villes, la part des emplois bien rémunérés progresse de 12 points tandis que dans les petites villes, la progression est trois fois plus faible (4 points).
À l’inverse, la création d’emplois faiblement rémunérés est plus forte dans les petites villes que dans les grandes villes. Leur part respective augmente de 8 et 6 points.
Infrastructures d’éducation
À cet égard, l’exemple de Paris s’avère emblématique. Entre 1982 et 2013, la proportion de cadres dans la population active est passée de 24,7 % à 46,4 %, tandis que celle des ouvriers diminuait de 18,2 % à 6,9 % et celle des employés de 29,7 % à 18,4 %.
Comment expliquer que les emplois les plus qualifiés et donc les mieux rémunérés aient été majoritairement créés dans les grandes villes ? La principale raison tient à l’externalité positive que procure la concentration locale de compétences spécialisées.

Les progrès en termes de productivité et de compétitivité proviennent des innovations, souvent le fruit de la confrontation des idées. Or cette dernière sera plus importante dès lors que les personnes se côtoient ou ont la possibilité de se retrouver aisément dans un périmètre restreint, y compris en dehors des lieux de travail.
Les grandes villes sont propices à cette concentration de « talents », car elles offrent souvent de meilleures infrastructures pour l’éducation des enfants et des adolescents, pour les activités culturelles et de loisir et pour les services de santé.
L’afflux de cette nouvelle population à fort pouvoir d’achat a pour conséquence de faire grimper les loyers, ce qui contribue à l’éviction relative des populations moins favorisées vers les banlieues ou des villes plus petites.
Favoriser le télétravail
Cette divergence des territoires s’accompagne ainsi d’un écart dans l’accès à nombre de services ou de commerces de proximité, à l’avantage des grandes villes, ce qui explique en partie le mouvement des « gilets jaunes » et la montée du vote en faveur des partis se situant aux extrêmes de l’échiquier politique.
Mais faire obstacle à la concentration spatiale de métiers hautement qualifiés serait préjudiciable à la création de valeur et à la place de la France dans la compétition internationale.
Plutôt que de chercher à contrecarrer cette tendance, les politiques publiques et les collectivités locales devraient faire en sorte que les « territoires » fassent valoir leurs avantages comparatifs par rapport aux grands centres urbains. Elles devraient ainsi favoriser les investissements qui les différencient.
La qualité de l’environnement (nature, espace), des possibilités fiables de travail à distance, la qualité des transports et des communications, mais aussi le développement du tourisme et l’accueil des personnes retraitées en font partie.