Bien sûr, les différences de dotation en capital culturel sont un puissant facteur d’inégalités face à la réussite scolaire, les analyses de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964) demeurant d’une grande actualité.
Bien sûr, le niveau de diplôme et l’affinité des parents vis-à-vis des valeurs et des attentes de l’école restent un puissant déterminant de la réussite de leurs enfants, comme l’étayait encore récemment un collectif de sociologues réunis sous le patronage d’Agnès van Zanten (2018). Mais la sociologie de l’éducation identifie au moins un autre facteur de la réussite des élèves : l’effet établissement.
Celui-ci désigne l’effet propre d’un établissement sur la réussite de ses élèves aux examens et le niveau qu’ils atteignent aux tests de performance scolaire, toutes choses égales par ailleurs. Autrement dit, tout autre déterminant neutralisé (dont la catégorie socioprofessionnelle d’origine des élèves), il est établi que certains établissements favorisent davantage la réussite que d’autres.
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Ce constat fait consensus en sociologie de l’éducation depuis le début des années 1980 et la publication d’une série de travaux aux États-Unis et en Grande-Bretagne créant un champ d’études aujourd’hui connu sous le nom de « school effectiveness studies ».
Moins de 10 % de la variance des acquis des élèves
L’ampleur de cet effet est fortement variable d’un pays à l’autre. Dans Sociologie de l’école (2018), Marie Duru-Bellat, Géraldine Farges et Agnès van Zanten expliquent que l’effet établissement est d’autant plus élevé que les différences de niveau entre établissements le sont aussi.
En d’autres termes, c’est dans un paysage scolaire très inégalitaire, partagé entre établissements d’excellence et d’autres aux conditions d’enseignement médiocres, que les effets établissements sont les plus marqués. Mais les sociologues préviennent : ces effets « ne sont jamais massifs : ils expliquent en moyenne, une année donnée, moins de 10 % de la variance des acquis des élèves dans les pays anglo-saxons […] ; ce chiffre est encore plus faible en France (plutôt 4-5 %) ».
Variance
Utilisée en probabilités et en statistique, la variance est une mesure de la dispersion d’une distribution, c’est-à-dire une mesure des écarts, positifs comme négatifs, entre les valeurs et leur moyenne. Plus la variance est élevée, plus la dispersion des valeurs est importante.
Le lycée privé Jules Richard devant Louis-le-Grand
Si l’effet établissement est de faible ampleur, il n’en est pas moins réel. Et les travaux de recherche ont contribué à faire évoluer les politiques publiques en la matière. Dès 1993, le ministère de l’Éducation nationale crée ainsi l’indicateur de valeur ajoutée des lycées (IVAL). Celui-ci mesure l’écart entre les taux d’accès et de réussite aux examens observés et ceux qui étaient attendus, compte tenu notamment de l’origine socioprofessionnelle des élèves.
Cet indicateur donne à voir un tout autre classement que celui du taux de réussite à l’examen. Par exemple, dans l’académie de Paris, c’est le lycée technologique privé Jules Richard qui présente l’IVAL le plus élevé, reléguant les prestigieux lycées publics Louis-le-Grand et Janson-de-Sailly aux huitième et neuvième places du classement.
Pas de recette miracle pour la réussite
Mais l’identification d’un effet établissement par les sociologues n’a pas seulement servi à créer de nouveaux indicateurs de performance. Elle constitue aussi le sous-bassement théorique de certaines politiques d’autonomisation des établissements.
En effet, la grande leçon des school effectiveness studies est que la recette miracle universelle de la réussite… n’existe pas ! M. Duru-Bellat, G. Farges et A. van Zanten confirment que « des configurations de caractéristiques […] donnent de bons résultats avec certaines populations scolaires […] et de moins bons dans des situations différentes ».
Par exemple, les études s’accordent pour constater qu’un niveau d’exigence élevé partagé par tous les membres d’une équipe pédagogique est souvent associé à une progression notable des élèves. Ces fortes attentes en termes de résultats se traduisent par des incitations au dépassement de soi. Or les mêmes travaux montrent que cette « pression au résultat » est contre-productive dans les établissements qui regroupent des élèves d’un niveau scolaire plutôt faible (Aletta Grisay, 2006).
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Dans ces environnements, la bienveillance constitue une stratégie éducative souvent plus productive que l’excellence à tout prix. La leçon tirée de ces analyses est qu’il faudrait donc donner aux établissements les moyens de s’adapter aux spécificités de leurs publics. C’est par exemple le sens de l’expérimentation « Écoles du futur » dans l’enseignement primaire.
Lancée dans 59 établissements de Marseille en septembre 2021, le chef de l’État a promis de la généraliser à tout le territoire national à compter de cet automne. Elle accorde aux directeurs d’école publiques à la fois le droit de recruter eux-mêmes certains professeurs mais également une enveloppe budgétaire pour financer du matériel et des actions en fonction de projets pédagogiques laissés à leur libre choix.
La mixité sociale, « une piste incontournable »
M. Duru-Bellat, G. Farges et A. van Zanten signalent cependant l’existence d’un biais majeur : l’effet établissement est largement généré… par les élèves eux-mêmes ! Concrètement, quand ils sont majoritaires dans un établissement, les élèves socialement favorisés ont tendance à créer un climat scolaire favorable à la progression et à la réussite de tous, engendrant ainsi un effet établissement positif.
À l’inverse, les trois sociologues insistent sur les conséquences délétères du regroupement d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés dans les mêmes établissements. Elles estiment qu’une atténuation de la ségrégation scolaire est « une piste incontournable en termes de justice sociale ». Et que la réduction des inégalités à l’école passe aussi (et surtout) par davantage de mixité sociale au sein des établissements.
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Les références mobilisées :
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, 1964
Agnès van Zanten (dir.), « Les pratiques éducatives des parents enseignants », Revue française de pédagogie, 2018
Marie Duru-Bellat, Géraldine Farges et Agnès van Zanten, Sociologie de l’école, 2018
Franck Evain, « Indicateurs de valeur ajoutée des lycées : du pilotage interne à la diffusion grand public », Courrier des statistiques, 2020
Aletta Grisay, « Que savons-nous de « l’effet établissement » ? », dans Améliorer l’école, 2006
Les questions au programme de SES au lycée dont des notions ou des mécanismes sont abordés dans cet article :
« Quelle est l’action de l’école sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? » au programme de Terminale en Sciences économiques et sociales.
Plus précisément, il peut être exploité dans le traitement de l’objectif d’apprentissage « Comprendre la multiplicité́ des facteurs d’inégalités de réussite scolaire (notamment, rôle de l’école, rôle du capital culturel et des investissements familiaux, socialisation selon le genre, effets des stratégies des ménages) dans la construction des trajectoires individuelles de formation ».
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