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Politique économique
Quels indicateurs pour mesurer la santé du marché de l’emploi ?
La réforme de l’assurance chômage prévoit une modulation de la durée d’indemnisation du chômage en fonction de la conjoncture économique. Cela nécessite de répondre à une question importante : comment mesurer au mieux l’état du marché du travail ?
L’essentiel
- Conditionner les allocations-chômages à la santé de l'économie et du marché de l'emploi est un principe généralement salué par les économistes. Mais trouver les bons indicateurs pour mesurer cette dernière divise davantage les experts.
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Le ministre du travail, Olivier Dussopt résume ainsi le projet de modulation de la durée d’indemnisation chômage en fonction de la conjoncture : « Le principe est simple : quand les choses vont très bien, il faut que les règles soient plus incitatives et quand les choses vont moins bien, il faut qu’elles soient plus protectrices ». Mais comment sait-on quand les choses vont très bien et quand elles vont moins bien ? Sur quels indicateurs se baser ?
Au Canada, pays qui module l’accès au chômage et la durée d’indemnisation en fonction de la conjecture, c’est le taux de chômage régional établi chaque mois par l’organisme public Statistique Canada qui donne le 'la'. Si vous perdez votre travail dans le Grand Nord canadien, et que là-bas le taux de chômage est à moins de 6 %, pour bénéficier de vos droits au chômage, vous devrez avoir travaillé au moins 700 heures au cours de l’année écoulée. Et vous serez indemnisé maximum 14 semaines. Par contre, si vous perdez votre emploi à Toronto (capitale de la province Ontario) où le taux de chômage régional dépasse les 16 %, il suffit d’avoir travaillé 420 heures pour être indemnisé jusqu’à 32 semaines.
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« Ce calibrage n’est pas adapté à la France qui contrairement au Canada et de par son histoire n’est pas un pays fédéral. Les régions ne sont pas homogènes. Il y a autant ou plus de différences au sein des régions qu’entre les régions entre elles. Il faudra adapter le modèle canadien, une mesure nationale serait peut-être plus judicieuse » estime Stéphane Carcillo de l’OCDE.
Il serait aussi plus judicieux de changer d’indicateur. « Le taux de chômage est un des plus mauvais indicateur pour rendre compte de la situation de l’emploi. Par exemple, en Lozère, le taux de chômage est très bas, mais n’est-ce pas dû au fait que pour trouver un emploi, les actifs partent ailleurs, dans des villes plus grandes où les emplois se créent ? En Île-de-France à l’inverse, le taux de chômage est plus élevé, mais c’est aussi parce que c’est là que sont créés le plus d’emplois, là où on a le plus de chance d’en trouver comme d’en perdre. À mon avis, le meilleur indicateur pour rendre compte de la situation de l’emploi est le nombre de créations d’emplois en équivalent temps plein » juge Mathieu Plane de l’OFCE.
La personnalisation et le risque d'usine à gaz
Mais pour vraiment bien faire les choses, il faudrait même « des critères individualisés : par secteur et aussi selon la personne. Car en fonction de l’âge et des qualifications, on a accès à une offre plus ou moins grande d’emplois disponibles » ajoute Eric Heyer de l’OFCE.
En 2021, ainsi, la France a retrouvé puis dépassé le niveau d’emploi qu’elle avait avant la crise sanitaire : 300 000 emplois en plus par rapport à la fin de l’année 2019, selon les chiffres de l’Insee. Mais cette embellie n’a pas eu lieu dans tous les secteurs. L’aéronautique n’a pas gagné ce qu’elle avait perdu en 2020 (-8 % de ses effectifs). Dans la construction à l’inverse, 2021 a été un très bon cru. Fin 2021, l’emploi y dépassait de 4,5 % son niveau d’avant-crise.
Quant aux catégories d’âges, ce sont les jeunes (15-24 ans) et les seniors (55-64 ans) qui ont le plus profité du rebond, le taux de chômage a fortement diminué en 2021 pour ces deux catégories et le taux de l’emploi y a augmenté. Ces deux catégories partent de plus loin, il est vrai.
Faire un tableau aussi fouillé avec des parcours presque individualisé avec des indicateurs mesurant la situation de l’emploi par secteur, par bassin d’emploi, âge et niveau de qualification est-il faisable ? « Une vraie usine à gaz, juge Mathieu Plane. Sans compter qu’il y a une autre limite : ce tableau n’est pas une boule de cristal. On se base sur une situation passée de l’emploi - comment s’est porté le marché de l’emploi au cours des deux derniers trimestres - pour établir des règles qui s’appliqueront dans l’avenir ».
Vraiment pas simple, cette question.
Dans le programme de SES
Terminal : « Comment lutter contre le chômage ? » ; « Quelles mutations du travail et de l’emploi ? »
Première : « Comment l’assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ? »
Pour aller plus loin
Améliorer l’assurance chômage, de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, Les Presses de Sciences Po, coll. « Sécuriser l’emploi », 2014.
« Job creation and job destruction in the theory of unemployment » de Dale Mortensen et Christopher Pissarides dans Review of Economic Studies, p. 397 – 415, 1994
« Job search and labor market analysis » de Dale Mortensen, Chapitre 15 de Handbook of Labor Economics, vol. 2, 1986.