Economie
Réforme des retraites. Reculer l’âge de départ, c’est plus d’arrêts maladie (et plus de dépenses sociales)
Le gouvernement assure que sa réforme doit permettre de réduire à terme les dépenses, mais des économistes montrent que repousser l’âge légal de départ engendrera des coûts importants et immédiats liés à l’invalidité, au chômage et aux absences maladie des seniors.
Audrey Fisné-Koch
© Stephane AUDRAS/REA
La ville de Saint-Avold, en Moselle, Danielle la connaît comme sa poche. Chaque jour, elle enquille entre 35 et 40 kilomètres de trajet autour et à l’intérieur de l’agglomération. Et pour cause : la quinquagénaire est factrice en pleine tournée ‘mixte’ : « Il faut que ça aille vite : je distribue les courriers dans les entreprises avant 9 heures, puis je dépose les lettres aux particuliers et je livre ensuite des colis. Beaucoup de colis. Certains pèsent jusqu’à 20-30 kilos. »
Si la réforme passe, Danielle sera concernée par l’allongement de l’âge de départ en retraite. Elle a fait ses calculs : « J’ai 57 ans, je devais partir à la retraite à 62 ans. Avec la réforme, je devrais travailler dix-huit mois de plus. » Dix-huit mois supplémentaires de stress, de trajets, de port de charge… non reconnus comme une pénibilité au travail. « Pour le moment, mon ossature tient le choc, sourit-elle. Je n’ai presque jamais été en arrêt maladie, mais je serre les dents. » Jusqu’à quand ?
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Plus d’arrêts maladie chez les seniors
Des économistes se sont penchés sur la réforme de 20101. L’âge d’ouverture des droits avait été repoussé de 60 à 62 ans.
En s’appuyant sur les données de l’Assurance maladie et les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et en comparant deux générations (l’une concernée par la réforme de 2010, l’autre non assujettie), les chercheurs ont obtenu des résultats précis : le report de l’âge légal de départ de deux ans a entraîné une augmentation significative des arrêts maladie, et ce, pour l’ensemble de la population. Ils constatent à la fois des arrêts maladie plus fréquents, mais aussi plus longs.
Les résultats peuvent différer selon les populations, nous montre l’étude : avec un allongement de l’âge de départ en retraite, les femmes sont davantage concernées par des arrêts maladie plus fréquents. Les hommes, par des arrêts maladie plus longs. « Un résultat assez connu dans la littérature scientifique puisque face aux problèmes de santé, les femmes vont plus facilement consulter un médecin alors que les hommes vont retarder les soins, au risque de devoir être arrêtés plus longuement pour des problèmes plus graves », nous explique Mohamed Ali Ben Halima, maître de conférences au Cnam et chercheur au Centre d’Études de l’Emploi et du Travail (CEET) et MESuRS.
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Si l’on compare en fonction des professions et catégories socioprofessionnelles, le report de l’âge de départ en retraite implique davantage les ouvriers et employés, qui sont plus touchés par les arrêts maladie (tant en termes de fréquence, qu’en termes de durée), « ce qu’on peut relier aux conditions de travail et à la pénibilité des tâches ».
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Les plus fragiles pénalisés
Mais les inégalités ne s’arrêtent pas là. Si l’on allonge la durée du travail, les individus ayant une santé plus fragile sont plus souvent arrêtés. En d’autres termes, une telle réforme « aggrave les problèmes de santé de ces individus. Le fait de rallonger de deux ans la durée de l’activité va déclencher de nouveaux problèmes de santé et de nouveaux arrêts maladie, voire de nouveaux accidents du travail ou des maladies professionnelles », résume Mohamed Ali Ben Halima.
Allonger de deux ans l’âge de départ en retraite aggrave les problèmes de santé des individus ayant une santé fragile. Cela va déclencher de nouveaux problèmes de santé et de nouveaux arrêts maladie, voire de nouveaux accidents de travail ou des maladies professionnelles.Mohamed Ali Ben Halima,
Maître de conférences au Cnam et chercheur au Centre d’Études de l’Emploi et du Travail (CEET) et MESuRS.
Dans son cabinet, en Seine-Saint-Denis, Jean-Michel Sterdyniak le constate jour après jour. « Depuis une dizaine d’années, je vois des personnes qui ont 55-60 ans et qui ne sont plus en état de travailler. »
Pour le médecin du travail, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), il est clair qu'« avec cette nouvelle réforme, le gouvernement prend le problème à l’envers. Si l’on veut que les personnes puissent travailler plus longtemps et en bonne santé, il faut améliorer de façon significative les conditions de travail ».
Sur ce point, dit-il, la France aurait tout intérêt à s’inspirer des pays comme le Canada ou la Scandinavie, qui ont mis en place des dispositifs pour la santé au travail des seniors.
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Et en France ?
Alors pour justifier sa réforme, l’exécutif communique autour de la retraite progressive : un système qui permet aux seniors de continuer de travailler en temps partiel, tout en bénéficiant en partie de leurs droits à la retraite. Le Dr. Sterdyniak est sceptique : « Une aide soignante qui a mal au dos, au coude, une auxiliaire de vie qui travaille en Ehpad et qui doit soulever des patients, si son phyisque ne peut plus, elle ne peut travailler ni à plein temps, ni à temps partiel. Aujourd’hui déjà, dans ce genre de situation, on se retrouve à dire au malade ‘essayez de rester le plus longtemps possible en arrêt maladie, pour gagner du temps jusqu’à la retraite' », déplore le médecin.
Les effets sur la santé des seniors représentent aussi des coûts. En s'appuyant sur les données de la base administrative (2005-2015) et la réforme de 2010, Mohamed Ali Ben Halima et ses coauteurs ont estimé que « le surcoût global d’absence maladie se situe aux alentours de 68 millions d’euros. Mais attention, cette somme ne représente que 50 % du coût des arrêts maladie, soit la partie ‘sécu’ liée aux indemnités journalières. La deuxième partie est financée par les entreprises et dépend des conventions collectives des professions. Pour l’heure, on ne peut pas connaître ces dépenses à cause du trop grand nombre de conventions différentes », nous indique l’économiste.
(Schéma de l’indemnisation des arrêts maladie en France.)
Un coût social important
Pour avoir une idée réelle du coût social que représenterait l'actuelle réforme des retraites débattue, il faudrait ajouter aux 68 millions d’euros, les sommes déboursées par les employeurs pour les arrêts maladie, le coût des accidents de travail et des maladies professionnelles, le coût de l’invalidité, le coût du chômage des seniors et de ceux qui se retrouvent sans emploi ni retraite (NER).
Un calcul encore impossible à réaliser. Toutefois, cela montre bien qu’allonger l’âge de départ en retraite provoque un « effet de déversement vers des dispositifs alternatifs de protection sociale », conclut Mohamed Ali Ben Halima.
Une réalité statistique que le gouvernement se garde bien d'évoquer quand il parle de rééquilibrer les dépenses...
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Pour aller plus loin
1. Âge légal de départ en retraite et absences maladie : quels effets du passage à 62 ans en 2010 ?, Mohamed Ali Ben Halima, Camille Ciriez, Malik Koubi, Ali Skalli, Connaissance de l’emploi #187, Centre d’Études de l’Emploi et du Travail.
Quels effets sur le chômage des seniors ?
Des études ayant évalué la réforme de 2010 montre que repousser de deux ans l’âge minimum de liquidation de pension a certes augmenté le taux d’activité des seniors, mais a aussi augmenté le chômage en fin de carrière pour certains.
La réforme a également accru la précarité : en 2019, 16 % des 53-69 ans se retrouvaient sans emploi, ni retraite (NER).
Pour aller plus loin sur le sujet, lire notre article par ici.
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