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Réforme du lycée pro : afficher le taux d'insertion, une bonne idée ?
Politique économique
Réforme du lycée pro : afficher le taux d'insertion, une bonne idée ?
Détaillée le 4 mai 2023, la réforme du lycée professionnel entend faire coïncider les formations avec les besoins de main-d’œuvre. Mais est-ce que ça fonctionne vraiment comme ça ?
Cathy Dogon
© Mathilde MAZARS/REA
L’essentiel :
- Le taux d'insertion sur le marché du travail à la sortie du lycée professionnel est jugé insatisfaisant par le gouvernement.
- Il propose d'y remédier en orientant les élèves vers les filières avec les meilleurs débouchés, notamment grâce à l'affichage, dans l'établissement scolaire, du taux d'emploi de la filière.
- Selon Céline Gasquet, du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), le maintien sur la durée d'un diplômé dans sa filière de formation ne dépend pas que du taux d'insertion, mais aussi de la qualité de sa première expérience professionnelle.
« On laisse vivre trop de filières où il n’y a quasiment pas de débouchés, s'écriait Emmanuel Macron lors d’un meeting de campagne à Poissy, en mars 2020, on doit réussir à avoir des filières où il y a, derrière, des débouchés parce qu’on aura trouvé des maîtres d’apprentissage ou d’alternance qui pourront accompagner ces jeunes. »
Trois ans plus tard, il a dévoilé un dispositif concret. Le Président déclarait le 4 mai dernier : « Nous afficherons les taux d’insertion et de poursuite d’études par filière et par établissement (ndlr : afin que chacun connaisse les besoins réels de l'économie), ce sera prêt pour la prochaine campagne Affelnet d’avril 2024, et ce sera enrichi d'informations concernant les rémunérations par filière dés avril 2025 ».
L'enjeu est considérable. En 2022, selon l’Insee, le taux de chômage des diplômés d'un bac, CAP, BEP ou équivalent, était de 19,3 % entre un et quatre ans après la sortie des études, contre 8,1 % pour les diplômés de bac +2. Une déception alors que l’une des ambitions du lycée professionnel consiste justement à permettre aux bacheliers de s’insérer rapidement sur le marché du travail.
Il existe aujourd’hui 600 spécialités de diplômes, du CAP au BTS, et 14 familles de métiers en baccalauréat professionnel. Alors, faut-il faire coïncider cette offre avec la demande de main-d’œuvre ?
« Quand une filière a très peu de débouchés en emploi et très peu de débouchés en enseignement supérieur, c’est sans doute une filière qu’il faut fermer, continuait le Président, Il faut avoir le courage de le faire et plutôt ouvrir là où sont les besoins ». Le danger, soulevé par les syndicats de professeurs : former les jeunes aux métiers dont le territoire a besoin à une date donnée, au lieu de former en fonction des aspirations des élèves.
« Attention, ce n’est pas parce qu’on est formé à un métier qu’on va forcément exercer ce métier » rétorque Céline Gasquet, directrice scientifique du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). « Et pourtant, comme ça semble plus simple, on a tendance à faire en sorte que ça se passe comme ça. »
La chercheuse, dont l’institut est missionné par le ministère de l’Éducation nationale et le ministère du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion, donne des exemples : « Parmi les jeunes formés aux métiers de bouche, 66 % vont effectivement avoir un premier emploi directement lié à leur spécialité de formation. Mais ce chiffre descend à 55 % au bout de trois ans. Dans le transport et la logistique, ils sont 59 % à exercer un métier en lien avec leur formation pour leur premier emploi, mais seulement 54 % après trois ans. » Comment faire alors pour garder les jeunes diplômés ?
Lutter contre le décrochage
La rupture entre la formation et le métier finalement exercé dépend de plusieurs facteurs : la qualité de la formation, du niveau de diplôme et de l'âge auquel sortent les élèves, plus ou moins en adequation avec les employeurs, du caractère très théorique de la voie scolaire ou au contraire pratique de l’apprentissage. Céline Gasquet ajoute un dernier facteur : « La première expérience vécue par ces jeunes-là est un élément extrêmement important. Plus cette première expérience est de qualité, en termes de contrat, d'accompagnement ou de temps de travail, plus les jeunes restent dans la filière ».
Pour créer des vocations et éviter le décrochage, la Fondation Jean Jaurès recommande de créer des filières attractives d'abord pour les élèves eux-mêmes, comme les métiers des médias, de la communication, du sport, des solidarités, du jeu vidéo, de la mercatique, de la musicologie, du juridique ou encore du web.
Et Céline Gasquet de conclure : « La question du décrochage est essentielle. Dans notre enquête Générations 2017, un tiers de ceux qui ont entamé une voie professionnelle sont sortis sans rien. C’est énorme. Quant à savoir s'il faut créer des filières et lesquelles sont nécessaires pour répondre aux besoins de main-d’œuvre et fournir des candidats pour les métiers en tension, encore une fois, il y a tellement d’éléments à prendre en compte, l’exercice est horriblement complexe ».
« À l’OCDE, nous recommandons de renforcer la coopération avec les entreprises, tout en gardant un volet académique dans les filières professionnelles » témoigne Éric Charbonnier, analyste à la Direction de l’éducation de l’OCDE, auteur notamment de l’étude Regards sur l’éducation 2022. « Dans deux tiers des pays de l’OCDE, le monde de l’entreprise est impliqué dans la réflexion sur le programme éducatif des voies professionnelles. La responsabilité relève toujours du ministère de l’Éducation, mais les organisations professionnelles sont consultées pour apporter leur expertise et leur regard sur le contenu des filières et pour soulever le besoin de futurs diplômés dans tel ou tel secteur, la mécanique ou le numérique par exemple. »
Lire > Éric Charbonnier, OCDE : « L’apprentissage permet une meilleure employabilité que le bac pro »
Il souligne néanmoins le besoin de former des professionnels possédant des bases suffisament théoriques pour pouvoir s'adapter tout au long de leur carrière : « les métiers, parfois techniques, professionnels, vont beaucoup évoluer dans le futur. Certains vont disparaître ou a minima se transformer. Pour faire face à ces transformations, les jeunes doivent posséder un solide bagage académique et certaines compétences fondamentales, conditions sine qua non pour leur permettre de rester flexibles et de garder une bonne employabilité ».
France Compétences oriente
Pour créer une nouvelle filière, France Compétences arbitre. Cette institution a été créée en 2019 en application de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle procède ainsi : l’initiative part des branches professionnelles, qui sollicitent le ministère de l’Éducation nationale pour la création ou la révision de diplômes. Ils négocient entre eux, pour établir des priorités, vérifier l’adéquation des besoins en main-d’œuvre avec le profil du public cible. Une fois actée, la préparation du programme scolaire prend généralement 18 mois. Une fois le programme établi, les partenaires sociaux spécifiques à la branche se réunissent au sein de la commission professionnelle consultative de France compétences et rendent leur avis. Enfin, les diplômes sont enregistrés pour une durée de 5 ans, après quoi ils doivent être révisés avec les partenaires sociaux.
Aujourd’hui, au sein de l’OCDE, c’est dans le domaine de l’ingénierie, des industries de transformation et de la construction (33 %) que l’on trouve le plus de bacheliers. Viennent ensuite le commerce, l’administration et le droit (17 %), les services (17 %) et la santé et la protection sociale (12 %). La France enregistre un classement identique.
En 2022, deux bacs pros ont été créés : Transport par câbles et remontées mécaniques et Systèmes photoniques, c’est-à-dire la conception, la réalisation et la maintenance d’appareils de technologies optiques. Dans ce dernier secteur, les entreprises peinent à recruter et mettent en moyenne 4,6 mois pour trouver un profil répondant à leurs besoins sur les postes juniors non expérimentés. La filière prévoit d’embaucher 24 000 personnes entre 2024 et 2026, dont 14 % en bac pro.
Mais attention à ne pas non plus aller trop vite en besogne. Il y a quelques mois, on aurait pu par exemple penser que créer une filière dédiée au métavers serait une bonne idée, mais avec du recul maintenant, on est en droit de se demander si on ne les aurait pas envoyés dans le mur, nous confiait en début d’année le directeur de France Compétences.
À l’inverse, les professionnels de la santé demandent depuis 5 ans la création de diplômes tel qu’un CAP dédié au Grand âge, qui ne voit pas le jour. Là, la problématique avancée par France Compétences se situerait plutôt autour de l’âge : le marché du travail a certes besoin de ces professionnels spécialisés, mais est-ce qu’on les embauchera s’ils sortent diplômés à l’âge de 18 ans ?
D’autres enjeux s’insèrent aussi dans les négociations : la création d’un diplôme demande de grands investissements. La nouvelle formation sera-t-elle finalement rentable en terme financier et en termes de mobilisation de ressources ? L’effectif de professeurs en lycées professionnels a priori stable, une concurrence s’opère entre les formations.