L’essentiel
- Pour la rentrée 2023, Emmanuel Macron prévoit plus de temps en entreprises pour les lycéens professionnels.
- La France dépense beaucoup plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour ses bacheliers professionnels, mais ils ont moins de débouchés universitaires que leurs homologues des pays de l’OCDE.
- La voie scolaire professionnelle souffre d’un manque de reconnaissance, qui pourrait être comblé par une meilleure formation des enseignants.
_______
Pourquoi lui ?

Éric Charbonnier est analyste à la Direction de l’éducation de l’OCDE, auteur notamment de l’étude Regards sur l’éducation 2022.
Pour l’Éco : Où se situe la France en matière d’éducation professionnelle au lycée, par rapport aux autres pays de l’OCDE ?
Éric Charbonnier. Les filières professionnelles sont bien développées en France en termes de nombre d’élèves scolarisés. Par contre, elles sont moins dispensées sous forme d’apprentissage que dans beaucoup de pays de l’OCDE. Les chiffres de l’OCDE montrent que seuls deux à trois élèves sur dix scolarisés dans les filières professionnelles, le sont en apprentissage, avec trois quarts du temps en entreprise et le reste en classe, dans un centre de formation professionnelle. Or des études internationales montrent que l’apprentissage permet souvent une meilleure employabilité des jeunes, une fois qu’ils ont obtenu un diplôme.
Et nous avons aussi un problème de valorisation de la voie professionnelle. En France, l’orientation vers ces filières est une orientation par l’échec. Une statistique publiée dans Regards sur l’éducation 2018 le confirme : seuls 13 % des parents d’élève en lycée professionnel disposaient d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 50 % dans les filières générales et technologiques. L’enjeu consiste donc à réduire ces inégalités d’accès, puis d’offrir dans un second temps l’opportunité aux bacheliers professionnels de poursuivre leurs études.
Stratégies scolaires
Ensemble des actions ou attitudes des membres d’une famille, coordonnées dans le but de faire réussir leurs enfants. Cela peut concerner le choix de l’établissement, le choix de la classe par le biais des options et les choix d’orientation. Les différentes stratégies scolaires causent des inégalités dans la réussite scolaire. Cette thèse est défendue par le courant de l’individualisme méthodologique de Raymond Boudon.
Des pays voisins comme l’Autriche, le Luxembourg, les Pays Bas, l’Allemagne, la Suisse offrent, aux bacheliers professionnels, ces possibilités de poursuite d’études jusqu’au niveau master, avec des spécialisations fines dans certaines branches. Cela évite justement à ces jeunes de se limiter à la recherche d’emploi directement après l’obtention de leur bac professionnel, grâce à des opportunités créatrices de vocation.
Aujourd’hui, pour s’insérer sur le marché du travail français, il faut une vraie spécialisation, un diplôme de l’enseignement supérieur. Quand de rares, malgré l’existence de quotas, jeunes bacheliers professionnels parviennent à atteindre l’université, le taux d’échec scolaire est catastrophique.
Pourquoi les bacheliers professionnels français ont-ils du mal à poursuivre dans le supérieur ?
La filière professionnelle ne sélectionne pas les jeunes par rapport à leur projet professionnel. La France est très axée sur les compétences académiques. Les élèves sont ultra-notés, quelle que soit la filière. Ces notes opèrent in fine une sélection entre les lycées professionnels et les lycées généraux. Or, dans ces derniers, les notes obtenues en mathématique vont orienter les meilleurs élèves vers les plus grandes écoles sans qu’il n’y ait forcément de lien avec le métier qu’ils voudraient exercer. À l’inverse, les élèves les plus en difficulté sont, eux, envoyés dans la voie professionnelle.
En soi, pourquoi pas. Mais on peut tout de même se poser la question : pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à gérer leurs difficultés plus tôt ? Cela marque une faiblesse du système d’éducation français où les inégalités commencent dès le plus jeune âge.
Comme il est très disciplinaire et très académique, notre système d’éducation n’intègre pas les notions de métier et de vocation. Le premier rapport à l’entreprise se fait avec le stage d’observation en troisième, qui ne dure qu’une semaine. Il y a une volonté politique de développer l’aspect technique pratique dès le collège.
Notre société a pourtant besoin de métiers techniques et il faut permettre à des jeunes d’aller dans cette voie-là… et pas simplement parce qu’ils ont des mauvaises notes. Leur orientation devrait avant tout être le fruit de leur envie de se spécialiser dans certains métiers, qui offrent par ailleurs d’énormes débouchés et la possibilité de poursuivre des études.
La création de filières plus attrayantes pour les jeunes permettrait-elle de lutter contre le décrochage ?
Oui. Et cela fonctionne bien comme ça dans les pays nordiques par exemple. La voie professionnelle y est très présente, dans tous les cursus, dès le collège. Cela permet aux collégiens, de, très tôt, déjà apercevoir une vision professionnelle de leur avenir, qu’ils soient bons élèves ou en difficulté.
À l’inverse, en France, ces voies sont complètement séparées. Le collège unique est une bonne chose et permet d’éviter les inégalités, mais reste malgré trop académique. Pour permettre aux élèves de développer des vocations, il faudrait sans doute y développer davantage le caractère professionnel du cursus.
Égalité des chances
Principe selon lequel les individus doivent connaître dans leur vie sociale des conditions de départ identiques, les privilèges, héritages ou handicaps initiaux devant être condamnés. L’égalité des chances renvoie à la situation où non seulement on donne à chacun le droit d’accéder à n’importe quelle position sociale ou à n’importe quel bien, mais en plus on garantit à tous les mêmes chances d’accès au départ. C’est donc bien une égalité initiale garantie par la société, par la loi notamment.
Les pays de l’OCDE créent-ils plutôt des filières en fonction de leurs besoins en main-d’œuvre ou en fonction des désirs des jeunes ?
Dans deux tiers des pays de l’OCDE, le monde de l’entreprise est impliqué dans la réflexion sur le programme éducatif des voies professionnelles. La responsabilité relève toujours du ministère de l’Éducation, mais les organisations professionnelles sont consultées pour apporter leur expertise et leur regard sur le contenu des filières et pour soulever le besoin de futurs diplômés dans tel ou tel secteur, la mécanique ou le numérique par exemple.
Il ne faut pas non plus basculer du tout au tout : nous avons aussi besoin de jeunes qui sont bien formés sur la partie académique. Je m’explique. Les métiers, parfois techniques, professionnels, vont beaucoup évoluer dans le futur. Certains vont disparaître ou a minima se transformer. Et pour faire face à ces transformations, les jeunes doivent posséder un solide bagage sur l’aspect académique et sur certaines compétences fondamentales, conditions sine qua non pour leur permettre de rester flexibles et de garder une bonne employabilité.
C’est pour ça qu’à l’OCDE, nous recommandons de renforcer la coopération avec les entreprises, tout en gardant un volet académique dans les filières professionnelles.
La France dépense-t-elle plus ou moins que les autres pays de l’OCDE pour les bacheliers pro ?
Tous les pays dépensent davantage pour les bacheliers pros que les bacheliers généraux. Mais en France, et peut-être contrairement aux idées reçues, nous dépensons vraiment beaucoup plus. Et d’un point de vue général, en France, la dépense par élève au lycée, toutes filières confondues, est 30 % supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE, alors que pour l’école élémentaire, la dépense est 10 % inférieure à la moyenne de l’OCDE. La France surinvestit dans les lycées. Il y a de l’argent dans les filières professionnelles ! Nous avons de nombreuses branches et un bon niveau d’équipements.
Mais maintenant, il faut les valoriser. Nous devons sensibiliser les familles et les élèves à l’intérêt de la voie professionnelle. Une piste serait de flécher cet argent pour développer les possibilités de poursuite d’études. Se dire que la voie professionnelle, ça commence au lycée et ça peut continuer jusqu’au master.
La qualité des formations pourrait aussi être rehaussée. Le métier d’enseignant doit également s’adapter à l’évolution rapide des compétences techniques et professionnelles, en continuant de se former tout au long de la carrière. Par exemple, en Allemagne, nombreux sont les enseignants en filières professionnelles à temps partiel et qui travaillent le reste de leur temps dans une entreprise. Il faut aussi que les enseignants puissent avoir la bonne formation et les possibilités de développer leurs compétences régulièrement pour bien transmettre les compétences techniques et professionnelles qui évoluent très rapidement aujourd'hui.
Dans le programme de SES :
Terminale : « Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? »