Economie

Relance économique post-covid : la dette est-elle de l'argent magique ?

Au niveau mondial, les États ont déjà dépensé 11 000 milliards de dollars pour limiter la catastrophe économique provoquée par la pandémie. Ils n’ont eu apparemment aucun problème pour trouver les financements en quelques semaines. Un véritable tour de prestidigitation !

Yves Adaken
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© Getty Images

« Il n’y a pas d’argent magique. » La réponse d’Emmanuel Macron à une aide soignante du CHU de Rouen qui lui réclame plus de moyens ne souffre aucune réplique. « La dette de la France va vers les 100 % du PIB », explique le président de la République. Il est impossible d’aller au-delà. « Si c’est pas vous, c’est vos enfants qui payeront », assène-t-il alors.

Cette petite leçon d’économie remonte à avril 2018. Deux ans plus tard, en juillet 2020, le gouvernement annonce un plan de plus de huit milliards d’euros pour revaloriser les salaires à l’hôpital. Et il assume un endettement qui dépassera les 120 % du PIB à la fin de l’année.

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C’est qu’entre-temps, un coronavirus a frappé la planète, mettant l’économie mondiale à l’arrêt. Et obligeant le président de la République à changer de discours. L’heure est désormais au sauvetage « quoi qu’il en coûte », par des moyens inédits.

Nationalisation des salaires

En France, les pertes des entreprises pendant le confinement sont prises en charge via des Prêts de trésorerie garantis par l’État (PGE). Et les salaires du privé sont en grande partie nationalisés grâce au chômage partiel.

Aux États-Unis, l’administration Trump débloque 2000 milliards de dollars, c’est-à-dire 10 % du PIB : 290 milliards sont utilisés pour envoyer des chèques de 1 200 dollars à tous les citoyens !

Chaque pays dévoile son propre package. Selon un pointage du FMI, en juillet 2020, les États ont déjà dépensé 11 000 milliards de dollars en aides aux ménages et aux entreprises. « Il en résulte un déficit public considérable. En 2020, il devrait atteindre dans l’OCDE 14 % du PIB », contre seulement 4 % avant la crise, calcule l’économiste Patrick Artus dans une tribune parue dans Le Monde. Comment combler un tel gouffre ? Une solution s’impose…

« Dans l’urgence de la pandémie, nous avons fait le choix de l’emprunt », explique le député (LREM) Laurent Saint-Martin, en introduction d’un rapport sur la dette publique, publié fin juin.

« L’endettement qui, des années durant, nous a été présenté comme l’incurable maladie de nos finances publiques, s’avère aujourd’hui le meilleur remède face à la pandémie mondiale »,
 Laurent Saint-Martin

Député, auteur d'un rapport parlementaire sur la dette française

Un choix facilité par les conditions exceptionnelles du marché. Car aujourd’hui, pour un pays comme la France, s’endetter ne coûte rien. Le taux d’intérêt de nos obligations à 10 ans tourne en effet autour de zéro. Il est même souvent négatif : la France se fait alors payer pour emprunter de l’argent !

S'endetter pour contrer la crise économique

Les investisseurs, à la recherche de sécurité, continuent pourtant à se bousculer. « L’endettement qui, des années durant, nous a été présenté comme l’incurable maladie de nos finances publiques, s’avère aujourd’hui le meilleur remède face à la pandémie mondiale », souligne Laurent Saint-Martin.

Ainsi, « l’argent magique » ne serait rien d’autre que de la dette. Mais une dette bien particulière : à la fois gratuite et ne faisant plus peur à personne. « On a l’impression qu’on peut s’endetter indéfiniment », commente François Ecalle, président de l’association Fipeco. « Pourtant, on prend toujours un risque quand on s’endette. Mais c’est un risque à long terme, pas un risque immédiat. » Le paradoxe, c’est que plus la France s’endette, moins elle paie d’intérêts. La charge de la dette de l’État aura ainsi diminué de 10 milliards d’euros entre 2011 et 2020 !

baisse des taux d'intérêt finance

Les banques centrales, source de l'argent magique

Car il y a bien des magiciens à l’origine d’une dette si extraordinaire. Ce sont les banques centrales. L’argent gratuit est le fruit de leurs efforts infructueux pour tenter de faire remonter l’inflation. Malgré cela, celui-ci n’a plus dépassé 1 % en zone euro depuis 2015. Loin de l’objectif « proche de 2 % » jugé optimal.

Les banques centrales ont d’abord joué sur leurs taux d’intérêt directeurs à court terme pour stimuler l’activité et donc les prix. Mais une fois les taux ramenés à zéro, il a fallu trouver autre chose.

Les banques centrales se sont donc mises à acheter massivement des titres de dettes pour faire baisser directement les taux longs, ceux qui commandent l’investissement. Une véritable révolution connue sous le nom de "Quantitative Easing".
Avec ce type d’action non conventionnelle, la Banque centrale européenne joue avec les limites de son mandat. D’autant qu’elle achète de la dette privée, mais aussi publique.

« Elle contourne l’interdiction de prêter directement aux agents non financiers et offre aux Etats un accès illimité à la liquidité qui dynamite tous les repères », explique Olivier Passet, directeur de la recherche à l’institut Xerfi. « La frontière devient floue entre politique monétaire et politique de soutien à la politique budgétaire, renchérit Christophe Blot, directeur adjoint de l’OFCE, surtout quand on présente cette politique comme temporaire et qu’en réalité, elle a tendance à s’amplifier. »

Depuis l’irruption de la Covid-19, la BCE s’est engagée à racheter près de 1500 milliards d’euros d’actifs jusqu’à la mi-juin 2021. « Ce qui constitue, en volume, la principale politique de la zone euro pour risposter à la crise », analyse Laurent Saint-Martin.

Ces programmes de rachat de la BCE signifient que toute la « dette Covid » de la zone euro a vocation à figurer en large partie dans son bilan. Au point qu’elle s’est affranchie de la limite qui lui interdit de racheter plus de 33 % de la dette d’un État membre.

En Chiffres

1500 milliards

Depuis l’irruption de la Covid-19, la BCE s’est engagée à racheter près de 1500 milliards d’euros d’actifs jusqu’à la mi-juin 2021.

La dette est déjà perpétuelle

La situation alimente un débat très riche sur la meilleure façon de gérer cette dette. Des économistes français préconisent d’annuler les obligations souveraines acquises par la BCE depuis 2015. « Ce n’est pas de l’économie vaudou », affirment-ils. La BCE a la faculté de créer à volonté de la monnaie centrale pour effacer ces créances. L’opération permettrait de réduire le ratio dette/PIB pour éviter qu’il « ne serve ensuite à justifier une austérité budgétaire qui ne ferait qu’aggraver la déflation ».

« C’est globalement faisable, reconnaît Stéphane Blot. C’est compliqué toutefois sur le plan institutionnel. Je ne pense pas que la BCE franchisse le pas. Mais au fond, est-ce vraiment utile d’en arriver là ? »

Éco-mots

Rachat de dette

La Banque centrale européenne n’a pas le droit de prêter de l’argent aux États de la zone euro. Elle ne participe donc pas à l’achat de dettes souveraines au moment de leur émission. Les premiers acquéreurs sont toujours des institutions financières. Ces titres de dette, appelés obligations, sont en revanche échangés sur un marché dit secondaire. C’est là que la BCE les rachète... parfois quelques jours à peine après leur émission

De facto, la France ne rembourse jamais vraiment le capital de ses emprunts. Elle les renouvelle dès qu’ils arrivent à échéance, en profitant des taux plus faibles et en allongeant leur maturité. C’est ce que l’on appelle le roulement de la dette souveraine, une action assurée par l'Agence France Trésor (voir son rôle ici). Pour Laurent Saint-Martin, cette stratégie « peut être considérée comme une forme de “dette perpétuelle” ».

Monétisation des déficits publics

Patrick Artus va plus loin : « Si une banque centrale achète de la dette publique sans la revendre et si elle la renouvelle indéfiniment, cette dette devient irréversible et se trouve de fait annulée. » Pour l’économiste, la BCE aura du mal à revenir sur cette « monétisation des déficits publics ».

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Le financement direct par la « planche à billets » est interdit par l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais les rachats quasi automatiques équivalent bien à une monétisation de fait.

Si une banque centrale achète de la dette publique sans la revendre et si elle la renouvelle indéfiniment, cette dette devient irréversible et se trouve de fait annulée.
Patrick Artus

Economiste

Vers un retour de l'inflation ?

Reste à savoir jusqu’à quand la BCE pourra continuer dans cette voie peu conventionnelle. Que se passera-t-il si l’inflation remonte et frôle les 2 % ? Dans un arrêt très commenté en mai, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé sa détermination à empêcher la BCE de s’éloigner trop de son mandat. « Passer d’un financement monétaire implicite à un financement explicite aurait le mérite de la clarté », estime Stéphane Blot. Mais il est peu probable que l’Allemagne y soit disposée.

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En attendant, officiellement, la France ne mise que sur la croissance pour rembourser sa dette Covid. Mais la promesse gouvernementale de ne pas augmenter les impôts a du plomb dans l’aile. Quelque 150 milliards d’euros empruntés pendant la crise vont être « cantonnés » dans une caisse spéciale alimentée par une taxe, afin de l’éteindre d’ici 2042. Ça rappelle la CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale) qui, elle aussi, devait être provisoire... Bref, du grand classique. Rien de magique là-dedans.

De la « monnaie hélicoptère » dans toutes les poches ?

Porté par l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, le projet de « monnaie hélicoptère » consisterait à verser directement aux citoyens l’argent émis par la BCE dans le cadre du plan anti-Covid. Soit 280 euros par mois pendant un an à tous les Européens de plus de 15 ans.
L’argent ainsi distribué aurait l’avantage d’être intégralement dépensé directement au lieu de se perdre en partie dans le circuit des intermédiaires financiers. Mais d’autres économistes s’interrogent : la BCE a-t-elle la capacité technique et la légitimité démocratique pour opérer de tels transferts ?

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