Télétravail extrême
Tout comme la réouverture des salles de sport ou de cinéma, l’assouplissement du télétravail a été très bien accueilli par nombre de salariés qui y étaient contraints depuis plus d’un an. Bonheur de retrouver des collègues autour de la machine à café après une longue période exempte de liens sociaux.
Mais aussi soulagement de renouer avec des conditions de travail plus confortables, quand beaucoup de télétravailleurs ont souffert de devoir charbonner depuis leur cuisine sur un mini-ordinateur portable.
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Nombre de mères de famille ont également connu des expériences de travail extrêmes quand les écoles ont fermé, contraintes de cumuler leurs double journée dans un espace-temps encore plus réduit qu’à l’ordinaire.
Travailler chez soi, c’est plus de liberté pour s’organiser, moins de fatigue et moins de temps perdu dans les transports.
Claudia Senik,professeure d’université et directrice de l’Observatoire du Bien-être-Cepremap.
Cependant, le télétravail semble avoir conquis la majorité de ceux qui l’ont pratiqué : selon un sondage CSA réalisé pour l’entreprise pharmaceutique Novartis fin mai 2021, si 81 % des Français étaient heureux de retourner au bureau, 76 % étaient tout aussi motivés pour continuer à télétravailler après la pandémie. Un changement de braquet qui va pousser les entreprises à évoluer ?
« Travailler chez soi, c’est plus de liberté pour s’organiser, moins de fatigue et moins de temps perdu dans les transports », souligne Claudia Senik, professeure d’université et directrice de l’Observatoire du Bien-être-Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications).
Avant même la pandémie, 80 % des Français disaient vouloir ralentir et aller vivre à la campagne.
Sandra Hoibian,directrice du pôle Société au Credoc.
« Pour l’entreprise, cela signifie une baisse du coût du travail, car elle a besoin de moins de mètres carrés, et donc un facteur favorable à l’emploi. Mais le télétravail, c’est aussi une perte de motivation, d’identité au travail et de structuration du temps, choses importantes pour la plupart des gens. »
De plus, seul un tiers des salariés français peut télétravailler à 100 %. La reconversion du quartier de La Défense en zone résidentielle n’est donc pas pour demain.
La revanche du foyer
Directeur Transaction chez Foncia, Jordan Frarier ne croit pas lui non plus à un effondrement du marché de l’immobilier de bureau et à une baisse du prix du mètre carré comme effet collatéral du développement du télétravail : « Sans vouloir prédire l’avenir, je pense que certaines entreprises ne souhaiteront pas garder leurs espaces en l’état et plutôt que de diminuer les mètres carrés, elles voudront proposer un aménagement plus sécurisant, avec moins d’open spaces, plus de lieux bien aérés et aussi plus d’espaces de repos. »
De même, le départ des villes pour les campagnes, rêve commun à beaucoup de Français, ne sera pas pour tout de suite, comme le souligne Sandra Hoibian, directrice du pôle Société au Credoc : « Avant même la pandémie, 80 % des Français disaient vouloir ralentir et aller vivre à la campagne. Avec le Covid, ils ont été obligés de ralentir. Une partie d’entre eux va peut-être en profiter pour “changer de vie”, mais il ne faut pas s’attendre pour autant à un exode rural, d’autant que la mobilité résidentielle diminue. »
« Le logement, le foyer et la sécurité qu’il apporte, est sorti renforcé de cette crise, complète Jordan Frarier. De même, celle-ci agit comme un déclencheur d’achat pour beaucoup de gens qui avaient des projets d’investissement locatifs ou d’achat de résidences secondaires. »
Ainsi, les agences immobilières situées sur les littoraux français ont croulé sous les requêtes de clients venus des grandes villes, au point parfois de vendre des biens sans visite, uniquement sur photos. Un phénomène qui ne concerne que les plus fortunés.
Logement : le rapport satisfaction-prix a changé
Pour Sandra Hoibian, directrice du pôle Société du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), « la période a été propice pour réévaluer positivement sa vie. Par effet de comparaison, le sentiment de restriction financière, de frustration, a beaucoup baissé en 2020 puisque les possibilités de loisirs ou de vacances étaient considérablement réduites pour tous, y compris les plus fortunés.
De même, le taux de satisfaction vis-à-vis du logement, un des éléments constitutifs du bonheur, a progressé : en passant plus de temps chez eux, les Français ont relativisé le coût de leur logement, car le service rendu par celui-ci s’est trouvé réévalué pendant les confinements ».
En revanche, à l’échelle du pays, les villes moyennes tirent plutôt bien leur épingle du jeu, la crise sanitaire ne faisant que renforcer un mouvement de fond engagé depuis plusieurs années, avec des prix qui restent à la hausse, quand, à l’inverse, le volume de ventes de logements anciens en Île-de-France chute de 12 %.
De même la demande s’est accentuée pour les biens avec un espace extérieur – jardin ou balcon –, « mais on vend encore des appartements sans terrasse, ironise Jordan Frarier, c’est le budget qui dicte l’achat ». Côté chiffres, justement, les indicateurs sont au vert pour les vendeurs : contre toute attente, le secteur de l’immobilier a très bien résisté à la pandémie.
En Chiffres
142 milliards
d'euros de de plus qu'en temps normal épargnés par les Français entre la fin du premier semestre 2020 et la fin du premier semestre 2021.
Ainsi, selon les chiffres de la Chambre des notaires de juin 2021, la baisse du volume des transactions en 2020 s’est limitée à 4 %, ce qui est remarquable puisque les agents n’ont pas pu faire visiter les biens pendant plusieurs mois.

La progression du PIB ne reflète pas forcément l’évolution du niveau de vie de la population. Pour corriger ce décalage, l’Insee calcule un « PIB ressenti » qui prend en compte la diffusion de la croissance au sein de la population et le niveau de satisfaction des ménages. Cet indicateur ne mesure pas l’addition des revenus, mais l’addition des satisfactions tirées de ces revenus. Chiffres : « Du PIB au PIB ressenti », Insee Analyses n°57, octobre 2020. Graphique : Pour l'Éco.
Une explication est à chercher du côté du bas de laine que s’est constitué une partie des Français. Selon la Banque de France, ils ont épargné 142 milliards de plus qu’en temps normal entre la fin du premier semestre 2020 et la fin du premier semestre 2021.
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Localisme et circuits courts
Plus de pouvoir d’achat pour une partie des Français, cela s’est traduit dans un premier temps par un rebond de la consommation. L’alimentation, les travaux et l’équipement de la maison, mais aussi les livres, les piscines, et… les camping-cars, ont concentré une partie des dépenses en 2020.
Mais il reste difficile de déterminer quels produits seront susceptibles de faire le bonheur des consommateurs français dans les prochaines années et si l’argent épargné va être dépensé ou mis de côté, en prévision de la prochaine pandémie.
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Selon une étude du Credoc de novembre 2020, 37 % des Français déclaraient probable de ne jamais reprendre leurs habitudes de consommation d’avant la pandémie, 28 % affirmant vouloir fréquenter davantage leurs commerces de proximité et 18 % optant plutôt pour plus de shopping en ligne.
Ils sont 84 % à se dire plus incités à acheter des produits issus de circuits courts, soit huit points de plus par rapport à la même période de 2019.
Avis de gros temps à venir pour les hypers installés en périphérie ? D’autant que dans le même temps, 45 % des Français envisageaient de réduire leurs dépenses de consommation.
Notamment les plus jeunes, les moins diplômés, et les femmes qui, comme l’explique Sandra Hoibian (Credoc), ont été les plus négativement impactées par les effets conjugués de la crise sanitaire, économique, et sociale : « Plus généralement, dans nos enquêtes, la plupart des personnes interrogées pensent que la crise que nous traversons va continuer. »
Pessimiste ou réaliste, voilà un état d’esprit qui ne pousse pas à brûler ses économies.
Biens, services et… expériences
Mais alors, entre deux résurgences de nouveaux variants du coronavirus, comment faire pour cultiver son bonheur ? Peut-être faut-il chercher du côté des expériences, des rencontres, du lien et moins dans l’acquisition de biens matériels.
Le camping, tout comme les gîtes, est un mode de vacances qui colle parfaitement aux contraintes de la crise sanitaire.
Nicolas Dayot,président de la fédération de la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air.
Alors que le confinement nous a redonné le goût d’un plaisir gratuit – celui de la balade en plein air –, depuis un an, il est un secteur qui parvient à traverser la crise sans trop de casse : le camping. Leader mondial dans ce domaine (ex aequo avec les États-Unis), la France affiche plus de 7 900 campings sur son territoire.
En 2020, ceux-ci ont accueilli beaucoup de néo-campeurs à la recherche de bonheurs simples et de grand air. « Le camping, tout comme les gîtes, est un mode de vacances qui colle parfaitement aux contraintes de la crise sanitaire », souligne Nicolas Dayot, président de la fédération de la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air. « C’est ce qui explique qu’en 2020, 10 % de nos clients étaient des néo-campeurs. »
Beaucoup d’entre eux, issus des CSP +, se sont d’ailleurs tournés majoritairement vers les destinations « vertes » et les campings ruraux, en Ardèche ou en Dordogne… Histoire d’aller vérifier que l’herbe est plus verte ailleurs ?