La prime de 100 dollars a été pour la toute première fois proposée en Virginie Occidentale en avril 2021. Elle s’adressait alors aux jeunes de 16 à 35 ans. Dès la fin du mois de juillet, de nombreux États comme l’Ohio, le Maryland, le Minnesota ou encore New York ont appliqué eux aussi cette mesure en proposant une rémunération de 100 dollars à toute personne primo-vaccinée. Lors d’une conférence de presse, le 29 juillet, Joe Biden a appelé l’ensemble des États à démocratiser cette mesure pour accélérer la vaccination.
Selon un article publié par l’économiste américain Robert Litan pour l’influent think tank progressiste américain Brookings, les États-Unis auraient intérêt à payer 1 000 dollars à chaque citoyen pour se faire vacciner.
Pour un investissement de 50 milliards de dollars bien moindre que les 60 milliards de livres sterling (environ 70 milliards de dollars) qu’ont coûté les indemnisations du chômage au Royaume-Uni selon l’étude. En plus d’être moins chère, cette solution aurait pour avantage d’être moins chronophage et de limiter les atteintes à la liberté selon l’étude.
Une telle mesure serait-elle efficace en France ? “En France, l’État ne semble pas avoir envie de prendre la responsabilité du vaccin pour ne pas être tenu pour responsable de tout effet indésirable qui pourrait apparaître, et faire face à plusieurs procès”, explique Xavier Bioy, professeur en droit public spécialiste des droits humains fondamentaux à l’Université de Toulouse Capitole.
Vaccin obligatoire et responsabilité juridique de l’État
Malgré l’absence de preuve scientifique concernant une relation de cause à effet entre le vaccin contre l’hépatite B et l’apparition de la sclérose en plaques, la France avait été condamnée en 2014 à verser 2,4 millions d’euros à une ancienne infirmière qui avait déclaré la maladie après l’injection du vaccin contre l’hépatite B.
En 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne a rendu le laboratoire Sanofi-Pasteur responsable de la sclérose en plaques contractée par un patient suite à son vaccin contre l’hépatite B.
Ainsi pour le CJUE, l’absence de consensus scientifique ainsi que le “faisceau d’indices graves précis et concordant” apporté par la victime peut suffire à caractériser la responsabilité.
Dans ce contexte, on peut se douter que l’État français ne souhaite pas rendre le vaccin contre le Covid-19 obligatoire pour éviter des poursuites judiciaires coûteuses.
Il faut donc trouver un moyen d’inciter les populations à se faire vacciner sans les y obliger. La rémunération ne semble cependant pas la solution la plus appropriée au cas français.
En français, santé rime avec gratuité
L’idée de payer les citoyens en burger, en bière ou même en liquide paraît loufoque depuis la France. Et pour cause, les études comme celles de Brookings ont été menées aux États-Unis où le marché de la santé est monétisé.
Puisque les citoyens étasuniens ont l’habitude de payer pour leur soin, il leur semble naturel et intéressant d’en recevoir à la suite de la vaccination.
En France, les soins sont gratuits et la santé n’est pas un bien monétisé. Pour Angela Sutan, chercheuse et professeure en économie comportementale à la Burgundy Schools of Business, “payer les citoyens pour qu’ils se fassent vacciner pourrait même avoir un effet contre productif”.
La chercheuse explique que la mise en place d’incitations viendrait détruire la motivation intrinsèque des individus. Face à un tel dispositif, les citoyens français deviendraient méfiants. “Nous sommes en France sur une population extrêmement responsable qui est capable de prendre ses responsabilités pour contribuer à la vaccination qui est un bien public, surtout en ce qui concerne les jeunes”, poursuit la chercheuse.
Pour elle, le marché vaccinal pourrait alors prendre des allures de marché répugnant.
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Marché répugnant
Marché pour lequel la transaction d’un bien est contrainte, voire empêchée, dans la mesure où elle est jugée inappropriée par certains individus qui ne sont pas directement concernés par ces transactions même si certains souhaiteraient s’y engager, selon la définition de l’économiste Alvin Roth.
Les études menées par Angela Sutan et ses équipes font état d’une deuxième limite liée à l’instauration d’une incitation pécuniaire : la campagne vaccinale française est essoufflée.
Près de 46 millions de personnes ont déjà reçu leur première dose en France. “La norme de vaccination est en train de se mettre en place et les résistances se font de moins en moins présentes”, explique Angela Sutan.
"On pense, à tort, que les personnes n’ayant pas encore eu leur première dose sont tous des antivax qui pourraient changer d’avis face à une rémunération", poursuit la chercheuse qui rappelle que beaucoup sont surtout découragées par la difficulté de prendre un rendez-vous.
Enfin, la plupart des études menées dans ce sens l'ont été sur une base déclarative et rien ne présage que les individus agissent in fine en accord avec leurs discours. Les résultats de ce type d’études doivent donc être pris avec des pincettes, insiste Angela Sutan.
Négocier pour la santé, une pratique très peu déontologique
Une autre question se pose, celle de la légalité d’une telle incitation. Dans le droit français, pour préserver l’intégrité physique des individus, les actes médicaux sont des actes gratuits.
“Il est possible d’avoir une rémunération dans le domaine de la recherche biomédicale mais elle ne sert qu’à indemniser les efforts du patient. Elle prend en compte des coûts très précis comme le coût de transport mais aussi les coûts plus subjectifs comme celui des désagréments occasionnés qui permettent aux laboratoires pharmaceutiques de rendre les essais plus attractifs”, explique Xavier Bioy, professeur en droit public.
Néanmoins, il reste illégal, en France, de biaiser le consentement des patients pour quelque acte médical que ce soit. Le code de déontologie de médecine précise même que toute pression à un patient doit être évitée, même s’il s’agit d’un traitement curatif.
Ainsi une rémunération trop élevée pourrait remettre en cause le caractère consenti de la vaccination des plus vulnérables. Pour Xavier Bioy, la seule option possible pour ne pas aller contre la loi serait de mettre une rémunération modeste, bien loin des 1 000 dollars préconisés par Robert Litan donc.
Par ailleurs, le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) ne mentionne ni dans sa publication du 21 décembre 2020, en réponse à la demande du ministre des solidarités et de la santé pour définir un cadre éthique sur la politique de vaccination, ni dans son dernier avis rendu le 21 avril 2021, la possibilité d’une rémunération pour les vaccinés. Cela repousse d’autant plus la possibilité qu’une telle mesure soit étudiée sérieusement.
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Comité consultatif national d'éthique
Organisme consultatif français ayant le statut d'autorité administrative indépendante, dont la mission est de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. »
Il est possible d’avoir une rémunération dans le domaine de la recherche biomédicale mais elle ne sert qu’à indemniser les efforts du patient. Elle prend en compte des coûts très précis comme le coût de transport mais aussi les coûts plus subjectifs comme celui des désagréments occasionés qui permettent aux laboratoires pharmaceutiques de rendre les essais plus attractifs.
Xavier Bioy,Professeur en droit public spécialiste des droits humains fondamentaux à l’Université de Toulouse Capitole
Des gains sociaux plutôt que pécuniaires
Le gain pécuniaire n’est pas le seul moteur à la vaccination. Le pass sanitaire semble ainsi être une des meilleures solutions entre incitation et obligation aux vues des éléments apportés par l’étude de Julian Savulescu publiée dans le British Medical Journals ainsi que par Angela Sutan et son équipe.
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Angela Sutan suggère de mettre en avant les gains collectifs et sociaux (cohésion sociale, retour à la normalité et à la liberté, etc.) de l’instauration d’un pass sanitaire pour qu'il ne soit plus vu par certains comme une porte ouverte à la dictature.
La chercheure insiste sur la présence indispensable du président Macron auprès des Français. “On a remarqué qu’après la prise de parole du président sur la stratégie vaccinale, les Français sont allés plus massivement se faire vacciner” explique la chercheuse. Son équipe appelle plus particulièrement à une plus grande mobilisation des élus locaux, traditionnellement plus proche des citoyens.
Enfin, Angela Sutan attire l’attention sur la complexité des plateformes de rendez-vous, plus responsables selon elle du découragement de certaines populations à se faire vacciner qu’une réelle méfiance vis-à-vis du vaccin.
Pour pallier cette faiblesse, elle propose de permettre aux médecins généralistes de prendre un rendez-vous pour leurs patients et de leur envoyer directement une convocation. “C’est ce que l’on appelle une option ‘op-out’ dont il est très difficile de se défaire” affirme-t-elle.
Ce système de convocation a permis à l’Espagne de vacciner entièrement 62,9 % de sa population, contre 52,2 % en France.