Interrogé sur France 2 ce 26 octobre, Emmanuel Macron persiste et signe : « On n’a pas d’autre choix que de travailler davantage. » Le chef de l’État a confirmé vouloir repousser l’âge légal de départ à la retraite (de quatre mois par an, à partir de l’été 2023 pour arriver à 65 ans d’ici à 2031).
Deux arguments sont au cœur de son raisonnement : l’espérance de vie plus longue et le déficit du système de retraite (13 milliards d’euros en 2020). Un faux argument si l’on se fie aux chiffres du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui montrent que la transition démographique et les réformes déjà engagées suffiront à amener le système à l’équilibre.
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Alors, pourquoi réformer ? Pour Jean-Charles Simon, économiste et président de l’entreprise de statistiques Stacian, les choses sont très claires : « L’argument financier est secondaire. Derrière cette mesure, la principale motivation c’est que la France doit travailler davantage. Ce que les promoteurs de la réforme veulent, c’est augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans. » En 2020, ce taux a atteint 53,8 % en France contre 59,6 % en moyenne en zone euro, 71,8 % en Allemagne ou encore 77,6 % en Suède.

Taux d’emploi
Rapport en pourcentage entre le nombre de personnes en emploi et le nombre total de personnes. Il est calculé par rapport à la population en âge de travailler, généralement de 15 ans à 64 ans. Depuis 1990, celui des femmes a quasiment augmenté en continu durant cette période, alors que celui des hommes a plutôt eu tendance à baisser, notamment chez les moins de 25 ans et les plus de 55 ans.
Les effets de la réforme de 2010
Le taux d’emploi des seniors ne pourra de toute façon jamais égaler celui des 25-54 ans (81,3 % selon Eurostat), néanmoins il existe une grosse marge de progression, estime Jean-Charles Simon : « Si l’on compare à d’autres pays, la France affiche un déficit de production de la part des jeunes. On est en train de le combler en poussant l’apprentissage. Ce déficit existe aussi chez les seniors. »
Repousser l’âge de départ en retraite à 65 ans pourrait être la solution selon lui, car cela changerait totalement les comportements, tant pour les employés, que pour les entreprises. Cela pousserait les 55-64 ans à rechercher activement un emploi, au lieu d’attendre la retraite. Le passage à 65 ans encouragerait les employeurs à recruter plus, car les seniors embauchés resteraient plus longtemps dans l’entreprise.
Le surcroît d’activité induit par la réforme de 2010 se traduit majoritairement par un accroissement de l’emploi, mais également du chômage, voire de l’inactivité (hors retraite).
Yves Dubois et Malik KoubiDans Division Redistribution et politiques sociales, Insee. 2017
Pour affirmer cela, Jean-Charles Simon s’appuie sur une expérience passée : la réforme des retraites d’il y a 12 ans. Comme le montre l’Insee, « entre les premières générations concernées par la réforme de 2010 et celles immédiatement antérieures, le taux d’activité à 60 ans a augmenté fortement : de 24 points pour les hommes et de 22 points pour les femmes ». Avant la réforme, le taux d’activité à 60 ans était de 32 % pour les hommes et de 43 % pour les femmes.

Une hausse du taux d’emploi et… du chômage
Des effets sur le taux d’emploi ? Il y en a donc bien eu. « Mais pas pour tout le monde », nuance Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po et auteur de l’ouvrage Réformer les retraites (Presses de Sciences Po, 2021). « C’est surtout par l’allongement de la durée d’emploi des personnes encore en situation d’emploi entre 58 ans et 60 ans que la réforme aurait permis d’accroître l’emploi global », précise l’Insee.
Qui plus est, la mesure s’est traduite par un accroissement du chômage, voire de l’inactivité (hors retraite). « Les employeurs continuent de se débarrasser des seniors car ils coûtent cher et qu’ils ne sont plus aussi performants », déplore le chercheur de Sciences Po. « Et paradoxalement, on ne prend pas le temps de les former. »
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En Chiffres
16 %
Des 53-64 ans se retrouvaient sans emploi, ni retraite en 2019. Ils étaient 19 % en 2005.
Source : Les retraités et les retraites, édition 2021, DREES
En 2020, le taux de chômage des 55-64 ans s’établissait à 5,8 % et ils étaient davantage confrontés au chômage de longue durée (en moyenne 771 jours d’inscription à Pôle Emploi, contre 349 tous âges confondus).
Autre signe de précarité : 16 % des 53-69 ans se retrouvaient sans emploi, ni retraite (NER) en 2019. (Souvent des femmes, ou des personnes en moins bonne santé ou encore des individus moins diplômés.)
« En allongeant encore l’âge de départ en retraite, le risque, c’est de déplacer le problème et de voir le nombre de personnes sans emploi, ni retraite augmenter », résume Bruno Palier. « Il est clair qu’il ne suffit pas de décréter une borne d’âge pour que le marché du travail s’ajuste de lui-même. »

Repenser les fins de carrière
Avant de « vouloir forcer les Français à travailler plus longtemps », mieux vaudrait augmenter la quantité et améliorer la qualité des emplois pour les seniors, indique Bruno Palier. Comment ? « En veillant à prendre en compte le nombre d’années travaillées et pas seulement l’âge de départ », répond-il. En s’inspirant des pays nordiques pour la formation de toutes et tous, tout au long de la vie.
Autre impératif : lutter contre le "piège de l’hyper-productivité". Le chercheur s’explique : « Pour être compétitives, les entreprises ont tendance à exclure les personnes les moins productives (jeunes, seniors). Elles essaient d’employer le moins de monde possible et demandent de travailler comme des dingues. Pourquoi ne pas partager le fardeau ? Cela permettrait de répartir la productivité sur un plus grand nombre d’épaules. »
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Il faudrait pour cela d’abord changer une vision française très rigide, abonde l’économiste Jean-Charles Simon : « Pour l’employé, cela demanderait d’accepter l’idée de ne pas percevoir la même rémunération quand on est senior, que quand on est dans la force de l’âge. Pour l’employeur, cela demanderait de ne pas être effrayé par le 'coût d’un senior' et repenser le rapport à la productivité. Car une personne plus âgée a des expériences à apporter à l’entreprise. »
Enfin, revoir l’organisation du travail pour les fins de carrière est aussi une piste à suivre, s’accordent à dire les spécialistes. Cela pourrait passer par une adaptation des postes, une amélioration des conditions de travail ou encore la mise en place de temps partiel pour les seniors.