C’est l’un des arguments majeurs qu’emploient les politiques – notamment Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse — pour justifier un allongement de l’âge de départ en retraite : nous vivons de plus en plus longtemps.
En 2019, l’espérance de vie à la naissance pour les Françaises était de 85,6 ans et pour les Français de 79,7 ans. Pour les promoteurs de la retraite à 65 ans, il faudrait donc indexer la fin des carrières sur l’espérance de vie. Se fonder sur cet argument, « c’est raisonner comme si tout le monde était pareil », souligne Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po et auteur de l'ouvrage Réformer les retraites (Presses de Sciences Po, 2021). Or, c’est loin d’être le cas.

Comme le font remarquer les économistes Thomas Barnay et Éric Defebvre, membres du laboratoire d'économie Paris-Est ERUDITE, pour une demande de travail donnée « les chances de poursuite d’une activité professionnelle au-delà de l’âge de 60 ans restent très fortement liées à l’état de santé des seniors et à leur qualité de vie au travail ».
De ce point de vue, il existe de fortes inégalités. Un ouvrier vit encore en moyenne 6 ans de moins qu’une personne cadre, qui est moins soumise aux risques professionnels (accidents, maladies, expositions à des produits toxiques…)

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Qui plus est, « non seulement, la retraite est moins longue pour les personnes ayant occupé des postes pénibles, mais en plus, elle se fait dans des conditions de vie détériorées », ajoute Bruno Palier.
Si l’on observe l’espérance de vie en bonne santé, là encore, il y a de grandes disparités. « Alors qu’un ancien cadre passera les ⅔ de sa retraite en bonne santé, les personnes ayant occupé des postes pénibles vont avoir des problèmes de santé plus tôt. »
La retraite, c'est la santé !
Les politiques l’assurent, « les carrières longues, les questions d’invalidité et la réalité des métiers et des tâches » seront prises en compte malgré la réforme. Il n’empêche, ajoute le politologue, « qu’on ne sait pas précisément si ces personnes vont pouvoir partir aussi tôt qu’aujourd’hui ».
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Pourtant, la retraite semble avoir des effets curatifs : c’est ce que montrent les récents travaux des économistes Thomas Barnay et Éric Defebvre : « La retraite joue un rôle positif sur la santé, particulièrement chez les personnes ayant été exposées à des conditions de travail pénibles », disent-ils, après avoir étudié un large échantillon (6 472 individus). La retraite diminuerait la probabilité de développer une maladie chronique, de l’anxiété ou encore une dépression.
A contrario, « la réforme des retraites de 1993 (allongement de la durée de cotisation) avait dégradé la santé perçue des personnes peu diplômées, peu enclines à connaître des carrières physiquement pénibles », écrivent les chercheurs.
Le modèle suédois
Aujourd’hui, la « pénibilité n’est déjà pas suffisamment prise en compte », juge l’économiste Michaël Zemmour. « Le compte personnel de prévention (CPP) est une version affaiblie du compte pénibilité qui existait avant. En plus, la pénibilité psychique n’est pas prise en compte. Et les recherches en science de la santé montrent une dégradation des conditions de travail. »
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L’enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS) en témoigne : « Plus d’un tiers des salariés français estiment que le travail détériore leur santé, contre seulement 23 % en Europe en 2021 », rappellent Thomas Barnay et Éric Defebvre. « Les expositions au bruit, à la poussière, aux produits chimiques ou aux agents infectieux, au port de charges lourdes et aux mouvements répétitifs des mains figurent parmi les contraintes physiques les plus discriminantes en France d’après Eurofound. »

« Non, la retraite à 65 ans n'est pas la mère des réformes. Il faudrait déjà que l’on s’arrange pour que les conditions de travail n’abîment pas les gens », tranche Bruno Palier.
Pour cela, le chercheur invite à s’inspirer des pays nordiques où la qualité de vie au travail est centrale. Adaptation des postes de travail, choix des horaires, ergonomie, implication des salariés dans les décisions… « Là-bas, c’est donnant-donnant : les individus s'investissent dans l'entreprise et l’entreprise investit dans leurs conditions de travail et leurs qualifications. » Résultat ? La Suède a le taux d’emploi des seniors le plus élevé au monde.
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De son côté, l’économiste et président de l’entreprise de statistiques Stacian Jean-Charles Simon voit des avantages à la retraite à 65 ans : « Garder les salariés dans les entreprises permettrait au paysde dégager des ressources qui pourraient être réinvesties pour les personnes fragiles ou pour une retraite plancher. »