Au cours des 10 dernières années, la santé mentale des adolescents semble s’être dégradée dans plusieurs pays. Par exemple, de 2008 à 2015, les admissions à l’hôpital pour tentatives de suicide et idées suicidaires chez les adolescents ont doublé aux États-Unis. Au Royaume-Uni, entre 2005 et 2019, les entrées dans les établissements de santé pour automutilation ou auto-intoxication ont augmenté de 42 % pour les garçons de 11 à 17 ans et de 60 % pour les filles du même âge. En France, les tentatives de suicide parmi les filles âgées de 17 ans ont augmenté de 30 % entre 2011 et 2017.
L’usage intensif des réseaux sociaux et la navigation sans frein sur internet auraient-ils contribué à la dégradation de la santé mentale des adolescents ? Une étude récente sur l’Espagne confirme que c’est bien le cas1. Cette étude exploite les conséquences du développement spectaculaire de la fibre optique, et donc de l’accès à l’internet haut débit, qu’a connu ce pays à partir de 2013. En 2019, plus de 80 % de sa population disposaient de la fibre optique.
Or, il a été documenté que l’accès à l’internet haut débit accroît la fréquentation des réseaux sociaux et de toutes sortes de plateformes d’échanges directs et peu contrôlés.
La figure 1 illustre le développement parallèle de la fibre optique en Espagne et la dégradation de la santé mentale des adolescents. Jusqu’en 2013, la pénétration de la fibre est modeste et les tentatives de suicide et d’automutilation chez les adolescents de 15 à 19 ans sont stables. En revanche, à partir de 2013, la pénétration de la fibre décolle de manière exponentielle et les tentatives de suicide et d’automutilation s’accroissent considérablement, surtout chez les filles.

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Temps familial volé
Mais il ne s’agit là que d’une corrélation qui ne préjuge pas du sens de la causalité : après tout, il est possible que les adolescents se tournent vers internet et les réseaux sociaux pour atténuer leur mal-être.
Pour prouver qu’internet et les réseaux sociaux figurent bien parmi les responsables de la dégradation de la santé mentale, l’étude s’est fondée sur le déploiement très inégal de la fibre optique dans les provinces espagnoles entre 2007 et 2019. Elle a pu ainsi comparer les indicateurs de santé mentale entre les provinces selon leur taux de couverture par la fibre optique.
Le résultat est sans appel : toutes choses égales par ailleurs, la santé mentale des adolescents se dégrade lorsque le taux de pénétration de la fibre optique augmente. Ainsi, la province ayant le taux le plus élevé de pénétration de la fibre affiche, parmi les adolescents âgés de 15 à 19 ans, un nombre d’hospitalisations liées à l’anxiété, la toxicomanie, l’automutilation et aux tentatives de suicide de 35 % supérieur à la moyenne des provinces.
Comme le suggérait la figure 1, des vérifications économétrique confirment que ce sont surtout les filles qui subissent une détérioration de leur état mental, l’effet sur les garçons étant nettement plus faible. Enfin, aucun effet significatif sur les individus plus âgés (20 à 24 ans) n’est décelé.
Il reste à expliquer pourquoi les adolescents sont particulièrement perturbés par l’exposition aux médias en ligne. Pour cela, les auteurs de l’étude ont utilisé les données d’une enquête interrogeant régulièrement, entre 2006 et 2018, un échantillon représentatif de près de 185 000 jeunes de 14 à 18 ans sur leur usage du temps au cours d’une journée. Ils ont pu ainsi mesurer la modification du temps passé sur certaines activités en fonction du développement de la fibre optique.
La figure 2 résume les principaux résultats : pour les filles, une hausse de 10 % du temps passé sur internet et les réseaux sociaux se traduit par une baisse comprise entre 3 % et 5 % du temps de sommeil, du temps consacré aux devoirs scolaires et du temps dévolu à la famille ou aux amis. Les effets sur les garçons sont plus faibles.
Cette étude sur l’Espagne met ainsi en évidence qu’une addiction accrue à Internet et aux réseaux sociaux diminue le temps consacré à des activités – dormir, faire ses devoirs, voir sa famille et ses amis – qui contribuent à l’équilibre psychique des adolescents.
C’est en diminuant le temps consacré à ces activités « saines » qu’internet et les réseaux sociaux détériorent la santé mentale des adolescents et surtout des adolescentes. Vraisemblablement, les filles sont plus visées et touchées par les stéréotypes de genre véhiculés par les médias en ligne.
Sources
1. « Online media and the adolescent mental health crisis », Esther Arenas-Arr yo, Daniel Fernández Kranz et Natalia Nollenberger, CEPR VoxEU column, 9 avril 2023.