Sociologie

Soutien, coaching : le business en or de l’angoisse scolaire

Soutien, coaching, entretiens avec des psychologues, séjours linguistiques… Il existe tout un panel de services pour répondre à l’angoisse des parents quant à l’éducation de leur progéniture.

Adeline Raynal
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© Getty Images

La France est le pays d’Europe où l’on a le plus recours aux cours particuliers, d’après une étude du cabinet Xerfi publiée en 2017. Et pour cause ! Entre manque de confiance dans l’Éducation nationale et angoisse du chômage, l’avenir professionnel des enfants cristallise souvent les inquiétudes des parents. Coachs, voyages, tests… rien n’est trop beau pour « booster » leur profil scolaire.

Signe d’un marché en croissance, de nombreuses start-up – dont Kartable, Superprof ou MyMentor – se positionnent sur le créneau du soutien scolaire depuis une dizaine d’années.

Si certains élèves ont de sérieuses difficultés d’apprentissage, pour d’autres familles, cet accompagnement coûteux a pour but de viser toujours plus haut afin d’accéder, peut-être, à des formations prestigieuses dans l’espoir d’une insertion professionnelle « réussie », c’est-à-dire un poste stable et la rémunération la plus élevée possible.

L’offre de stages intensifs de prérentrée commercialisés par des organismes privés dénote elle aussi une demande forte de la part de parents inquiets prêts à débourser plusieurs centaines d’euros pour quelques jours de cours la dernière semaine d’août. 

Ce marché de l’accompagnement scolaire ne concerne pas toute la population, tant s’en faut. Les jeunes évoqués ici sont en grande majorité issus des catégories socioprofessionnelles supérieures et l’accompagnement est alors un véritable investissement, à coups de sommes rondelettes.

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Source : Le Coaching scolaire, Un marché de la réalisation de soi, Anne-Claudine Oller, PUF, juin 2020

Un accompagnement non disciplinaire

La nouveauté depuis le début des années 2000 ? Le coaching scolaire. En fort développement depuis 10 ans, c’est un accompagnement non disciplinaire de la scolarité.

« Il s’agit d’un mélange de développement personnel, d’optimisation des performances et de travail sur le stress. Les coachs ont souvent recours à l’analyse neuro-linguistique, aux exercices de projections mentales, aux tests Riasec », décrit Anne-Claudine Oller*, sociologue, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil.

Cela s’adresse principalement à des jeunes de 15 à 25 ans et la prestation est commercialisée de 50 à 150 euros de l’heure. Pour la sociologue, il ne fait aucun doute que ce service a progressé ces dernières années : « Ce marché a émergé dans un contexte socio-économique structurel : chômage des cadres, évolutions libérales du marché du travail. L’orientation et la réussite scolaire deviennent des enjeux majeurs. »

Des enjeux qui poussent certaines familles à développer des stratégies : recours aux cours particuliers, évitement de la carte scolaire, choix des spécialités…

En France, « le poids du diplôme demeure fort, en particulier dans des milieux où les conditions matérielles d’existence sont très favorables, note Anne-Claudine Oller. Ce rapport hédoniste est particulièrement marqué chez les cadres du secteur privé et ce sont eux qui font le plus appel aux cours particuliers. La rhétorique des coachs scolaires fait écho à leur vision du monde », souligne-t-elle. Des organismes comme Futurness ou l’association Génération 15-25 s’engouffrent dans la brèche.

« Certains jeunes que nous accompagnons expriment de grosses angoisses, notamment sur la pression que peuvent leur mettre leurs parents quant aux choix d’orientation. »
Hervé Rime,

Directeur du centre d'orientation Corep à Paris

Valoriser des compétences plutôt que définir un métier-cible

Quid de la pression ressentie par les jeunes ? Directeur d’un centre d’orientation parisien, le Corep, Hervé Rime en sait quelque chose : « Certains jeunes que nous accompagnons expriment de grosses angoisses, notamment sur la pression que peuvent leur mettre leurs parents quant aux choix d’orientation. Nous les accompagnons pour dédramatiser, souligner qu’il existe toujours des passerelles entre filières. »

L’angoisse des parents vient en écho à leur propre parcours. « On doit faire comprendre aux familles que l’important est de construire un parcours d’orientation en fonction des aptitudes et des qualités du jeune. Certains parents sont focalisés sur l’évocation d’un métier précis alors qu’en réalité, la plupart des jeunes vont devoir évoluer, changer de métier au cours de leur vie. C’est pourquoi nous travaillons à définir des domaines de compétences plutôt que des métiers », détaille Hervé Rime.

Le centre reçoit aussi les parents au moment de l’annonce des résultats : « Ils doivent entendre en même temps que leur enfant les éléments que l’on a pu identifier. Parfois cela ne correspond pas à ce qu’ils avaient imaginé et le fait d’étayer nos propos par des éléments concrets de psychologie peut les amener à évoluer », précise le directeur du Corep.

La voie express française

Le Corep propose des bilans d’orientation et psychologiques, collectifs ou individuels, moyennant 320 à 570 euros. Jacky Ling y a accompagné cinq de ses cousins, dont Robert, élève de terminale, il y a quelques semaines : « Je suis l’aîné et j’ai conscience que dans ma famille, certains métiers sont prohibés ou inconnus. Les plus jeunes ont tendance à copier les plus âgés. […] Je veux mettre un coup de pied dans les préjugés familiaux, encourager mes cousins à penser par eux-mêmes à partir de leurs points forts… et éviter qu’ils perdent un an. »

Cette idée selon laquelle il faut foncer, suivre le chemin tracé, est bien française. Dans d’autres pays, notamment en Allemagne ou en Israël, on encourage les jeunes à voyager, à faire des expériences, au lieu de « choisir sa voie » à 18 ans.

Certains parents n’hésitent d’ailleurs pas à débourser 1 000 euros pour que leur enfant aillent améliorer leur anglais à l’étranger… même si celui-ci ne veut pas. « C’est parfois plus le projet des parents que celui des enfants », remarque Antoine Bretin, directeur des séjours linguistiques chez Verdié Voyages.

Les séjours linguistiques représentent 30 % à 40 % de l’activité de l’agence de voyages ruthénoise. Depuis une dizaine d’années, le voyagiste a remarqué un changement chez les parents : « Ils veulent connaître en détail le programme, bien plus qu’avant. Nous passons beaucoup de temps à les rassurer. Un parent rasséréné saura motiver son enfant. » Et si on faisait la même chose pour l’orientation ?

*Autrice du Coaching scolaire. Un marché de la réalisation de soi, PUF, 2020

Un cran au-dessus, la phobie scolaire

Par angoisse scolaire, on entend la forte préoccupation des parents quant à la réussite de la scolarité et de l’orientation professionnelle de leurs enfants. Une inquiétude qui n’a néanmoins rien de pathologique. C’est pourquoi il ne faut pas la confondre avec la phobie scolaire.

D’après la définition du neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra, cela concerne « des jeunes qui, pour des raisons irrationnelles, refusent de se rendre à l’école et résistent par des réactions d’anxiété très vives ou d’angoisse si on les force à y aller ».

L’enfant garde le goût d’apprendre, mais c’est l’environnement éducatif, parfois le fait de se rendre devant son collège, son lycée, qui le tétanisent.

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