Economie

Taxer les riches pour renflouer les finances ? L'idée séduit de plus de plus les États

En plus de provoquer des niveaux de dette publique sans précédent, la crise sanitaire a enrichi les plus riches et appauvrit les plus pauvres. De quoi relancer le débat sur une possible taxation des grandes fortunes et des grandes entreprises. 

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© Jonathan Ernst - Pool Via Cnp/ZU

« Il est temps que les grandes entreprises américaines et que les 1 % d’Américains les plus riches commencent à payer leur juste part. » Ce sont les mots prononcés par le président étatsunien Joe Biden lors de son premier discours devant le Congrès, mercredi 28 avril. Il souhaite une contribution plus élevée des hauts revenus et des grandes entreprises pour financer ses plans d’aides et de relance à l’économie sans creuser les comptes publics.

C’est un tournant majeur dans la politique économique américaine après les baisses d’impôts aux plus aisés votées sous le mandat Donald Trump et de divers présidents — démocrates et républicains — depuis Ronald Reagan.

Pour financer son « Projet pour les familles américaines », un plan massif de près de 2 000 milliards de dollars, Joe Biden compte sur une hausse du taux marginal d’imposition individuel à 39,6 %, au lieu de 37 %, pour les 1 % d’Américains les plus riches.

Le chef d'État souhaite aussi passer de 20% à 39,6% la taxation des plus-values sur les capitaux, comme les transactions boursières, pour les 0,3 % les plus aisés.

À l’heure des déficits creusés dans les comptes publics par les conséquences économiques de la pandémie et pour financer les plans de sortie de crise, cette révolution fiscale apparaît, au-delà des États-Unis, comme une solution de plus en plus envisagée par de nombreux pays et institutions internationales.

L’endettement des États oblige à trouver des solutions

La zone euro, par exemple, est passée d’une dette publique de 84 à 101 % du PIB entre 2019 et 2020. Quant à la dette publique américaine, elle est passée de 109 à 131% du PIB, selon le FMI.

Éco-mots

Déficit budgétaire

Solde négatif du budget d'un État (hors emprunt)  lorsque ses dépenses excèdent ses recettes (hors remboursement d'emprunt). Un déficit budgétaire nécessite que l'État contracte de nouveaux emprunts qui ont pour conséquence d'augmenter la dette publique.

« En moyenne, le niveau d’endettement des PIB des pays de l’OCDE a augmenté d’environ 20 points avec la pandémie », expose Anne-Sophie Alsif, cheffe économique du Bureau d’informations et de prévisions économiques (Bipe). Des niveaux de dettes abyssaux qui posent la question du remboursement.

Obligées de retrouver de l’argent pour se désendetter, les économies occidentales se voient obligées à repenser leur fiscalité afin de trouver “un système plus juste qui évite ces phénomènes de rente et d’accumulation”, explique l’économiste.

Une stratégie qui s’étalera sur les cinq ans à venir. « Deux ans où il n’y aura pas d’augmentation des impôts, car on ne pourra pas taxer la croissance. Au bout de trois, quatre ou cinq ans, on cherchera des sources de financement, dans des hausses d’impôts ciblées sur les entreprises et les ménages les plus riches, aux fortunes supérieures à 5 ou 10 milliards de dollars, car ils ne représentent que 1 ou 2 % de la totalité des agents économiques », détaille Anne-Sophie Alsif.

Des taxe ciblées sur les patrimoines

Le 1er avril, le Fond Monétaire International (FMI) a publié une ordonnance où elle suggère que cette taxation pourrait prendre la forme d’un alourdissement de la taxe foncière, relative au patrimoine immobilier, ou d’une « contribution temporaire au titre de la reprise post-Covid-19, prélevée sur les hauts revenus ou sur la fortune ».

Le but de ces taxes serait « d’éviter qu'elles ne portent sur les investissements productifs, comme des startups qui créent des brevets, et de cibler les activités de rente comme l’immobilier », soutient Anne-Sophie Alsif. « Au niveau européen, une grande part de l’augmentation des patrimoines a été du fait de l’immobilier. Il y a un risque de bulles et cela crée très peu de valeur ajoutée pour l’économie en général. »

Et d'appuyer : « Générer un milliard d’euros de bénéfices en ayant créé un vaccin ou des milliers d’emplois n’a pas la même valeur ajoutée qu’acheter une résidence secondaire, même si le montant final peut être équivalent. »

Éco-mots

Optimisation fiscale

Contrairement à la fraude, l’optimisation fiscale est légale. Il s’agit de payer le moins d’impôts possible dans le cadre de la réglementation fiscale en vigueur.

Réduire les inégalités

Si l’endettement des États s’est creusé avec la pandémie, le virus n’a pas eu de conséquences sur le patrimoine des plus aisés. Portés par des marchés boursiers dopés par l’argent massivement injecté dans l’économie par les banques centrales, les dix hommes les plus riches du monde ont vu leur fortune totale, majoritairement composée d’actions de leurs entreprises, augmenter de plus de 500 milliards de dollars depuis le début de la pandémie.

Les suggestions du FMI s’inscrivent dans « une tendance internationale qui rouvre le débat de la distribution de la richesse. Dans ce contexte post-Covid, où les États cherchent des formes de financer leur budget, ils veulent que ceux qui ont des revenus très élevés contribuent davantage pour que le bien-être collectif s’améliore », analyse Philippe Waechter, chef économiste d’Ostrum Asset Managment, une entreprise de gestion d’actifs financiers.

Pour lui, cette réforme fiscale « traduit deux phénomènes : d’un côté, une crise fiscale qui a accru l’écart entre les revenus les plus élevés et les plus faibles. De l’autre, un revenu médian qui a très peu évolué, c’est-à-dire que l’enrichissement de certaines personnes et l’appauvrissement d’autres est fixe dans le temps ».

Vers la fin des paradis fiscaux ?

Si la proposition de Joe Biden arrive à passer au Congrès américain, Philippe Waechter estime qu'« elle pourrait avoir une incidence globale très importante, car elle forcerait l’Europe, qui a besoin de l’unanimité dans les décisions, à adopter des mesures similaires ».

Alors que des pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas pouvaient freiner les discussions à l’échelle continentale, les ambitions de Joe Biden pourraient mettre fin à l’intérêt pour ces pays de miser sur une fiscalité avantageuse et accélérer les projets en cours d’uniformisation de la fiscalité des entreprises.

« Si les États-Unis mettent effectivement en place comme promis un prélèvement sur les bénéfices des filiales étrangères de 21 %, l’optimisation fiscale, au cœur de la stratégie d’un grand nombre d’entreprises internationales ne fonctionnerait plus, appuie Philippe Waechter. En Europe, les pays qui sont des paradis fiscaux vont être affectés par cette stratégie américaine. »

Ce que confirme Anne-Sophie Alsif du Bureau d’informations et de prévisions économiques : « Au niveau international, nous nous dirigeons probablement vers une uniformisation, autour d’un taux commun compris entre 21 et 26 %. Même si cela prendra du temps. »

Les finances publiques des États auront en tout cas beaucoup à y gagner.

« La concurrence fiscale entre pays est pénalisante pour tout le monde, car l’abaissement des taux d’imposition fait peser le poids fiscal sur les épaules de ceux qui ne peuvent pas bouger ; les salariés, explique Philippe Waechter. C’est ce que dit l’OCDE depuis des années, et ce que veut faire Biden va dans ce sens. »

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