Le phénomène est ancien, mais il prend des proportions inédites depuis la pandémie. Le manque de main-d’œuvre pour la saison estivale tient d’abord à des causes structurelles bien identifiées. La plus lourde d’entre elles est certainement la difficulté d’accéder à un logement temporaire dans les zones touristiques. Le gouvernement a promis l’ouverture de 1 300 places dans des résidences universitaires ou HLM dès cet été. La mesure est bienvenue, mais insuffisante. Le Groupement des hôtelleries et restaurations de France estime qu’entre 105 000 et 115 000 emplois saisonniers risquent de ne pas trouver preneurs cet été.
L’autre cause structurelle du manque de main-d’œuvre saisonnière dans l’hôtellerie-restauration est le déficit de travailleurs qualifiés. Pour y remédier, le gouvernement va financer des formations courtes (de 35 à 70 heures) pour 10 000 demandeurs d’emploi d’ici 2025. Là encore, mesure louable, mais il faudrait bien plus. La dernière enquête « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle Emploi révèle que serveur et employé de cuisine sont les deux métiers les plus demandés par les employeurs en 2023, l’agence enregistrant 390 510 projets de recrutement dans l’hôtellerie-restauration.
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La France sur la courbe de Beveridge
Cette situation particulièrement tendue tient aussi à des facteurs conjoncturels. D’abord, de nombreux saisonniers ont fui le tourisme après la pandémie, échaudés par les fermetures administratives et les carences du chômage partiel. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) rappelle par exemple que le nombre de saisonniers dans les stations de ski a été divisé par deux entre les saisons hivernales 2019-2020 et 2020-20211.
La deuxième cause conjoncturelle de la pénurie est la position actuelle de la France sur la courbe de Beveridge. William Beveridge2 (1879-1963) avait établi l’existence d’une relation décroissante entre le taux de vacance des emplois et le taux de chômage, la vacance s’élevant à mesure que le chômage diminue. Or la France évolue aujourd’hui en haut de cette courbe : elle affiche un taux de chômage à 7,1 % et un taux de vacance logiquement très élevé (3 %), pour un total de 350 800 emplois non pourvus3.
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Un troisième facteur conjoncturel de la pénurie de saisonniers tient enfin à la récente réforme de l’indemnisation du chômage. Un actif doit travailler désormais au moins six mois pour s’ouvrir des droits à l’allocation. Surtout, cette réforme intègre les jours non travaillés, donc non rémunérés, dans le calcul de l’indemnité. Celle-ci baisse donc fortement pour tous les salariés qui alternent emploi et non-emploi. Or, en 2019, 45 % des saisonniers n’occupaient pas d’autre poste durant l’année et ils signaient en moyenne 1,7 contrat par an d’une durée moyenne de 67 jours5. L’indemnisation du chômage représentait alors une part importante des revenus de ces salariés. Maintenant qu’ils n’y sont plus éligibles, nombre d’entre eux se sont retirés du marché du travail ou cherchent des emplois plus réguliers.
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Pour aller plus loin
1. « L’emploi saisonnier en zone de montagne durant l’hiver 2020-2021 », Émeline Limon, Dares Focus n°40, 2021.
2. Full Employment in a Free Society, William Beveridge, 1944.
3. « La situation du marché du travail au 1er trimestre 2023 », Fanny Labau, Adrien Lagouge, Dares, mai 2023.
4. et 5. « Quelle place occupe l’emploi saisonnier en France ? », Émeline Limon, Dares Analyses n°57, 2019.